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comme nous l'avons rejetée pour la caution et les débiteurs solidaires et par identité de motifs.

122. Les débiteurs et les créanciers d'une chose indivisible se représentent-ils les uns les autres? Quoique la question soit controversée, la négative ne nous paraît pas douteuse. Rappelons-nous la théorie de l'indivisibilité. Les débiteurs doivent payer chacun toute la dette, et chacun des créanciers peut en demander le payement pour le total est-ce à dire que chaque débiteur doive le total et que la chose soit due pour le tout à chaque créancier? Non, il n'y a aucun lien juridique entre les débiteurs ni entre les créanciers; donc il ne peut être question d'un mandat qu'ils se donnent de plaider. On reste, par conséquent, sous l'empire du droit commun, qui permet à chacun de soutenir son droit en justice (1).

On objecte la tradition : l'indivisibilité du droit, dit Pothier, fait regarder tous les débiteurs ou tous les créanciers comme une même partie (2). Cela s'appelle décider la question par la question. La difficulté est précisément de savoir si les débiteurs ou les créanciers sont une même partie, et ce n'est pas en affirmant qu'ils le sont qu'on le prouve. Remarquons encore que Pothier est inconséquent; du moins la jurisprudence ancienne qu'il rapporte, sans la critiquer, était inconséquente. Suivant nos usages, dit-il, le jugement rendu contre un créancier d'un droit indivisible peut être opposé aux autres; mais ils peuvent former tierce opposition, sans être obligés de prouver qu'il y a eu collusion frauduleuse entre le créancier et le débiteur. Cela prouve qu'ils sont tiers, et s'ils sont tiers, il est impossible qu'ils soient parties. Il y a des auteurs modernes qui répètent ce que dit Pothier, sans y ajouter un motif (3). La cour de cassation s'est prononcée en faveur de la même opinion (4). Nous ne pouvons pas discuter une opinion qui n'est point motivée. Les éditeurs de Zachariæ, conséquents à leur principe, appliquent à l'in

(1) Colmet de Santerre, t V, p. 638, nos 328 bis XXVI et XXVIII. (2) Pothier, Des obligations, no 907.

(3) Toullier, t. V, 2, p. 174, no 206. Larombière, t. II, 797, no 121 et 122 (Ed. B., t. III, p. 269).

4) Rejet, chambre civ., 19 dec. 1832 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 269).

divisibilité la distinction des jugements favorables et défavorables (1); comme ils ne donnent pas de raison spéciale pour les obligations indivisibles, nous nous bornons à renvoyer à ce qui a été dit plus haut.

De nouvelles difficultés s'élèvent dans l'application du principe. Un droit est réclamé contre l'un des copropriétaires par indivis. Si la contestation porte sur le droit de propriété qui est divisible, la solution n'est pas douteuse: quoiqu'il y ait indivision, chacun des communistes a un droit distinct, indépendant de celui des autres; chacun agit donc pour son compte, et il ne peut être question de représenter les autres; l'intérêt des communistes est le même, il est vrai, et la question de décider à l'égard de chacun d'eux est identique, mais cela ne suffit pas pour qu'il y ait identité de personnes : chacun des communistes a son droit à défendre, et le droit de défense l'emporte, quand même il en devrait résulter une contrariété de jugements.

Si un droit indivisible est réclamé sur un fonds indivis contre l'un des copropriétaires, y aura-t-il chose jugée à l'égard de tous? Les auteurs sont divisés; nous croyons que l'un des copropriétaires ne représente pas les autres. Quand le jugement est défavorable, il y a un motif péremptoire pour rejeter la chose jugée. Un des copropriétaires ne pourrait pas faire une convention au préjudice des autres, il ne peut pas davantage contracter judiciairement à leur préjudice. Or, s'il ne représente pas les autres communistes pour perdre le procès, il ne peut les représenter pour le gagner (2). Toullier et Pardessus admettent la chose jugée en vertu du principe de l'indivisibilité (3); nous avons d'avance répondu à l'argument. Duranton et les éditeurs de Zachariæ reproduisent leur distinction. entre les jugements défavorables et les jugements favorables (4). Nous croyons inutile de renouveler ce débat.

(1) Aubry et Rau, t. VI, p. 489, note 42, § 769.

(2) Colmet de Santerre, t. V, p. 633, no 238 bis XXI, et p. 634, no 238 bis XXII.

(3) Toullier, t. V, 2, p. 174, nos 207 et 208. Pardessus, Des servitudes, t. II, n° 334.

(4) Duranton, t. XIII, p. 570, no 528. Aubry et Rau, t. VI, p. 489 et suiv.

123. La même difficulté se présente lorsqu'un jugement est rendu avec un propriétaire sous condition résolutoire. Si la condition se réalise, le jugement aura-t-il l'autorité de la chose jugée à l'égard du propriétaire, qui par suite de la résolution n'a jamais cessé d'être propriétaire? La plupart des auteurs appliquent à cette question la distinction de la représentation imparfaite. Tout le monde est d'accord pour décider que les jugements rendus pendant que la condition était en suspens ne peuvent être opposés au propriétaire: comment celui qui n'a jamais eu de droit sur la chose pourrait-il nuire, par des conventions ou des jugements, à celui qui seul avait le droit de contracter et de plaider? A notre avis, le même principe doit recevoir son application au cas où le jugement est favorable; nous ne comprenons pas que celui qui est sans droit ait qualité de représenter celui qui a un droit. Pour lui reconnaître un droit, il faut avoir recours à des présomptions et supposer que le propriétaire qui vend son fonds sous condition résolutoire donne à l'acquéreur le mandat d'administrer et de conserver; sans doute l'acquéreur a le droit d'administrer, comme il a le droit de disposer; mais tous les actes qu'il fait sont résolus quand la condition résolutoire s'accomplit; et si les con ventions sont résolues, comment les jugements lieraientils le propriétaire? Nous n'insistons pas, parce que nous avons examiné la question de principe en traitant des conditions (1).

124. L'usufruitier est-il représenté par le nu propriétaire quant à l'usufruit, et le nu propriétaire est-il représenté par l'usufruitier quant à la nue propriété? Mêmes controverses. Les partisans de la représentation imparfaite appliquent leur distinction et décident qu'il y a représentation pour les jugements favorables et qu'il n'y en a point pour les jugements défavorables (2). Nous

(1) Colmet de Santerre, t. V,p. 634, no 328 bis XXIII. En sens contraire, Duranton, t. XIII, p. 543, nos 509 et 510; Proudhon, De l'usufruit, t. III, p. 325, no 1353: Larombière, t. V, p. 296, nos 112 et 113 (Ed. B., t. III, p. 266 et 267); Marcadé, t. V, p. 197 et suiv.

(2) Aubry et Rau, t. VI, p. 487, note 38. Marcadé, t. V, p. 197, no XIII.

avons exposé ailleurs notre opinion sur cette question (1). 125. Enfin, on applique la même distinction aux jugements rendus avec l'ancien propriétaire lorsque les instances ont été engagées depuis l'époque où il a aliéné ses droits. Tout le monde admet que ces jugements ne peuvent pas nuire aux ayants cause à titre particulier. Mais les partisans de la représentation imparfaite soutiennent que les jugements favorables leur profitent (2). N'admettant pas le principe, nous rejetons l'application que l'on en fait à cette espèce. La seule raison que l'on donne nous touche peu. Si l'acquéreur, dit-on, n'était pas autorisé à se prévaloir de ces jugements, ils resteraient sans effet, même en ce qui concerne l'ancien propriétaire, puisque l'acquéreur, s'il était évincé en vertu d'un second jugement, aurait son recours contre son auteur. C'est une objection analogue à celle que l'on fait pour les jugements rendus avec le débiteur principal ou avec un codébiteur solidaire, et la réponse est la même. L'ancien propriétaire n'a aucune qualité pour représenter son ayant cause, une fois qu'il a transféré la propriété. S'il veut se mettre à l'abri d'un recours en garantie, il n'a qu'à mettre en cause le successeur à qui il a transmis ses droits.

No 3. MÊME QUALITÉ.

126. L'article 1351, après avoir dit que la demande doit être formée entre les mêmes parties, ajoute : « et formée par elles et contre elles en la même qualité. » Ce n'est pas une quatrième condition prescrite pour qu'il y ait chose jugée, c'est une explication qui complète la condition que nous venons d'expliquer; l'identité de personnes et l'identité de qualités constituent une seule et même condition, l'identité des personnes juridiques. En droit, l'on considère la personne juridique et non la personne physique. Quand le tuteur figure dans une première instance comme représentant de son pupille et qu'il figure dans une seconde instance en son propre nom, c'est tou

(1) Voyez le tome VII de mes Principes, p. 59, nos 46-48. (2) Aubry et Rau, t. VI, p. 491, note 45, § 769

jours la même personne physique qui agit, mais les personnes juridiques diffèrent; dans la première instance, c'est le mineur qui agit, représenté par son tuteur; dans la seconde, le mineur n'est plus en cause, ce n'est pas un tuteur qui y figure, c'est une autre personne juridique(1). Or, dès que la personne juridique est différente, les jugements rendus avec une autre personne juridique n'ont pas, à son égard, l'autorité de la chose jugée, quand même il y aurait identité d'objet et de cause la question qui sera débattue dans la seconde instance sera identique, mais peu importe; celui qui figure dans le second procès a le droit de soutenir ses prétentions; il en pourra résulter des décisions contradictoires, mais le droit sacré de la défense l'emporte sur cet inconvénient. Par contre, si la personne juridique est la même et qu'il y ait seulement une différence dans le mode d'exercer le droit résultant de la créance, il y aura chose jugée si, du reste, il y a identité d'objet et de cause (2).

127. Le principe s'applique sans difficulté au tuteur ainsi qu'à tout mandataire, conventionnel, légal ou judiciaire. Cela est élémentaire, bien que des cours d'appel s'y soient trompées et que la question ait été portée plus d'une fois devant la cour de cassation. Paul, en qualité de tuteur, forme contre moi une demande en délaissement d'un héritage; il succombe. Plus tard, il revendique cet héritage contre moi en son nom personnel. Puis-je lui opposer l'exception de chose jugée? On pose ces questions dans un cours élémentaire de droit; on ne devrait pas les porter devant les tribunaux, car elles sont décidées par le texte du code : là où il n'y a pas identité de personnes juridiques, il ne saurait être question de chose jugée (3).

La jurisprudence a fait de nombreuses applications de ce principe; comme aucune n'est douteuse, nous nous bor

(1) Colmet de Santerre, t. V, p. 629, no 328 bis XIII.

(2) Rejet de la cour de cassation de Belgique, 17 avril 1845 (Pasicrisie, 1846, 1, 471).

(3) Pothier, Des obligations, no 897. Duranton, t. XIII, p. 534, no 499, et tous les auteurs.

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