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de chose jugée, car l'une des conditions exigées par la loi pour qu'il y ait chose jugée est que la nouvelle demande soit formée contre la partie qui a été en cause dans une première instance; or, dans l'espèce, il n'y a pas eu de parties en cause lors de la demande d'autorisation; la femme adresse une requête, mais elle n'a pas de contradicteur, le tiers qui a intérêt à l'autorisation ne figure pas dans l'instance; pour mieux dire, il n'y a pas de débat. Comment y aurait-il chose jugée, alors qu'il n'y a personne qui puisse l'invoquer (1)?

Il y a des arrêts qui admettent des distinctions. Une femme dotale est instituée par son contrat de mariage donataire de la moitié des biens de ses père et mère; cette partie de son patrimoine était donc dotale, partant inaliénable. Elle recueillit ensuite l'autre moitié des biens à titre d'héritière; ces biens étaient paraphernaux, puisqu'ils n'avaient pas été constitués en dot. Afin de déterminer quels biens étaient dotaux et quels biens étaient paraphernaux, la femme et le mari s'adressèrent à la justice pour faire fixer leur situation, contradictoirement avec le ministère public; une expertise fut ordonnée et homologuée par le tribunal. Ce jugement formait-il chose. jugée? D'abord nous ne voyons pas de quel droit le tribunal est intervenu. Il n'y avait pas de procès et il ne s'agissait pas d'autoriser la femme à aliéner, donc il n'y avait pas lieu à l'exercice de la juridiction volontaire que la loi confie aux tribunaux en cette matière. Et en supposant que le jugement fût légal, ce n'était qu'un acte de juridiction gracieuse, donc il ne pouvait passer en force de chose jugée. Enfin, de quel droit les tiers étrangers au jugement l'invoquaient-ils contre la femme? Néanmoins la cour de Pau a jugé que les tiers pouvaient se prévaloir du jugement. Ce qui paraît l'avoir décidé, c'est qu'il avait été rendu contradictoirement avec le ministère public (2). Mauvaise raison, nous semble-t-il; le ministère public

(1) Aix, 5 août 1850, et Rejet, 7 juillet 1851, sur le rapport de Hardouin (Dalloz, 1851, 1, 297). Dans le même sens, cassation, 29 août 1860 (Dalloz, 1860, 1, 393). Lyon, 31 janvier 1872 (Dalloz, 1874, 2, 43).

(2) Pau, 3 mars 1853 (Dalloz, 1853, 2, 148).

ne représente pas les tiers, et ceux qui ne sont pas parties en cause ne peuvent pas invoquer le jugement comme ayant jugé en leur faveur.

Un arrêt récent de la cour de cassation, rendu sur le rapport de Larombière, semble admettre une autre distinction. La femme dotale avait consenti une transaction concernant ses biens dotaux ; elle demanda et obtint l'homologation de cet acte. Il a été jugé que cette décision n'avait pas l'autorité de chose jugée, ce qui nous paraît évident. La transaction avait mis fin au litige qui divisait les parties; aucune contestation n'était soumise au tribunal; on lui demandait d'homologuer une transaction, il aurait dû décider qu'il n'avait aucune qualité pour cela, car l'homologation est un acte de juridiction volontaire; or, les tribunaux n'ont cette juridiction que par exception dans les cas déterminés par la loi, et où est la loi qui donne au juge le droit d'homologuer des transactions consenties par une femme dotale? Le tribunal était donc radicalement incompétent, et eût-il été compétent, l'homologation n'était rien qu'un acte de juridiction gracieuse et comme tel le jugement ne pouvait avoir force de chose jugée. La cour de cassation allègue d'autres motifs :

L'arrêt, dit-elle, qui sanctionne la transaction se fonde, non sur une appréciation en fait et en droit des prétentions respectives des parties, mais uniquement sur l'existence du contrat qui est l'oeuvre de leurs volontés; le dispositif même n'est autre chose que la teneur de la transaction dont la cour d'appel ordonne l'annexion à la minute de son arrêt; la force obligatoire d'un pareil acte d'homologation ne diffère point de celle qui s'attache à la transaction elle-même. » Cependant la cour d'appel avait admis la chose jugée : sa décision a été cassée (1). Or pourrait induire des motifs de l'arrêt de cassation, et l'arrêtiste en tire cette conséquence, que si le juge avait motivé sa décision sur des considérations de fait et de droit à lui propres, on ne pourrait lui refuser le caractère de jugement et, par suite, de chose jugée. Nous doutons que

(1) Cassation, 11 novembre 1873 (Dalloz 1873, 1, 457).

telle ait été la pensée de la cour. Ce serait, en tout cas, une erreur. Motivée ou non, l'homologation est toujours un acte de juridiction volontaire, et à ce titre elle ne peut produire l'autorité de chose jugée.

La question présente encore d'autres difficultés, que nous examinerons au titre du Contrat de mariage.

9. Les jugements d'adjudication ont-ils l'autorité de chose jugée? La cour de cassation a jugé que le cahier des charges d'une vente ou d'une licitation constitue un véritable contrat de vente; cette vente ne change pas de nature, parce qu'elle se fait en justice; le jugement d'adjudication équivaut à l'acte dressé par le notaire, c'est donc essentiellement un acte de juridiction volontaire. De là suit que ce jugement ne peut avoir l'autorité de la chose jugée à l'égard des contestations qui s'élèveraient ultérieurement au sujet des immeubles vendus ou licités entre les parties qui ont figuré audit jugement (1). Il y a un léger motif de douter qui ne se présente pas dans les actes ordinaires de juridiction gracieuse c'est que les mêmes parties entre lesquelles le procès s'élève ont été en cause dans le jugement d'adjudication. Mais quand on dit qu'elles ont été en cause dans l'adjudication, on s'exprime inexactement; il n'y a pas de véritable instance judiciaire, parce qu'il n'y a rien à juger; dès lors les parties intéressées ne peuvent pas se prévaloir de ce qui a été décidé, parce que rien n'a été décidé, pas plus que si la vente s'était passée par-devant notaire.

Il se peut cependant que le jugement d'adjudication décide un incident qui constitue une véritable contestation. Dans ce cas, il y a un jugement contentieux sur l'incident et ce jugement, comme toute décision judiciaire rendue en matière contentieuse, a l'autorité de chose jugée (2).

(1) Rejet, 24 février 1868 (Dalloz, 1868, 1, 308).

(2) Comparez Rejet, chambre civile, 6 avril 1857 (Dalloz, 1857, 1, 157).

111. Faut-il que le jugement soit valable

10. Y a-t-il des conditions requises pour qu'un jugement existe? et à défaut de l'une de ces conditions faut-il dire que le jugement est inexistant, en ce sens qu'il ne peut avoir aucun effet? Si l'on admet la théorie des actes inexistants pour les contrats, il est difficile de ne pas l'admettre pour les jugements, car les jugements sont des espèces de contrats: in judiciis quoque contrahimus. Il en résulte une conséquence très-importante, c'est que les jugements inexistants n'ont pas l'autorité de la chose jugée. La conséquence ne saurait être contestée, mais reste à savoir dans quels cas un jugement est inexistant, dans quels cas il est seulement nul; car, à la différence du jugement inexistant, le jugement nul produit les effets attachés à toute décision judiciaire, tant qu'il n'est pas révoqué par une voie légale. La matière est trop étrangère à notre travail pour qu'il nous soit permis de nous aventurer dans cette digression. Nous devons nous borner à poser quelques principes en prenant appui sur la tradition et sur la jurisprudence.

11. On objecte souvent contre la distinction des actes inexistants et des actes nuls que cette théorie est de l'invention des auteurs modernes, que la tradition l'ignore. La vérité est que cette théorie est aussi vieille que la science du droit; on la trouve, en ce qui concerne les jugements, chez Pothier, et Pothier n'a fait que s'inspirer du droit romain.

Pothier appelle nuls les jugements que nous appelons inexistants; il pose en principe qu'un jugement nul ne peut avoir l'autorité de chose jugée. Un jugement est nul quand l'objet de la condamnation qu'il prononce est incertain. Par exemple, le jugement est ainsi conçu : « Nous condamnons le défendeur à payer au demandeur tout ce qu'il lui doit. » Il est évident, dit Pothier, qu'un tel jugement serait absolument nul et qu'il n'aurait pas l'autorité de chose jugée. Cette décision doit être suivie sous l'empire du code civil. L'article 1351 dit que l'autorité de la

chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Comment savoir si la chose demandée dans la seconde instance est la même, quand on ne sait pas sur quoi porte la décision du premier juge? Or, on ne le sait pas quand le juge a oublié de préciser l'objet de la condamnation.

Il en serait de même, dit Pothier, si le jugement contenait des dispositions qui impliquent contradiction. On revendique contre moi un héritage que vous m'avez vendu; je vous appelle en garantie. Le jugement me donne congé de la demande et vous condamne à me rendre le prix de l'héritage avec dommages et intérêts. Ces dispositions se contredisent: il implique que je ne sois pas évincé et que mon garant soit condamné. Cette contrariété rend le jugement nul; le demandeur pourra l'attaquer par la voie de la requête civile; s'il ne le fait pas, le jugement qui a rejeté la demande contre moi acquerra force de chose jugée; mais il n'aura jamais effet contre mon garant, quand même il ne se serait pas pourvu par la voie de la requête civile, car le congé que le jugement donne de la demande formée contre moi réclame perpétuellement contre la condamnation de mon garant: n'étant pas évincé, je ne puis agir en garantie (1).

Ce premier cas de non-existence du jugement peut être comparé au défaut d'objet en matière de contrats. Il n'y a pas de contrat sans objet, et l'objet est une chose certaine ou un fait déterminé. De même, il ne peut y avoir de jugement et, par suite, de chose jugée que si le juge a reconnu et sanctionné un droit certain.

12. Endroit romain, les jugements étaient nuls lorsqu'ils prononçaient expressément contre les lois, c'est-à-dire si le juge décidait que la loi ne devait pas être observée; dans ce cas, le jugement était nul de plein droit. Pothier remarque que, d'après le droit français, il faudrait se pourvoir en cassation, lorsqu'il n'y a pas lieu à la voie ordinaire de l'appel. En effet, on ne peut pas dire, dans ce cas, qu'il n'y ait pas de jugement; il y a un jugement

(1) Pothier, Des obligations, no 866 et 871.

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