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donne. Or, quand il s'agit d'intérêts, les mots tels que de droit doivent s'entendre dans le sens de l'article 1153, suivant lequel, dans les obligations qui se bornent au payement d'une somme d'argent, les intérêts ne sont dus que du jour de la demande. En donnant à ces expressions une interprétation différente, pour arriver à faire courir les intérêts du jour du versement de la somme à restituer, l'arrêt attaqué avait violé l'article 1351 (1).

III. De la rectification.

151. Un jugement écarte formellement une demande en résolution et la demande des arrérages d'une rente. En ce qui concerne les arrérages, l'erreur était évidente, puisque la demande n'était pas contestée. La cour à laquelle on demanda la rectification de l'erreur en fait l'aveu ; mais, dit-elle, il ne lui appartient pas de réformer, par voie d'appel, ce qui a été jugé en dernier ressort lorsque la partie qui a obtenu cette décision erronée persiste à vouloir en profiter (2). C'est l'application rigoureuse du principe que nous venons de rappeler; dès que le juge a porté sa décision, ses pouvoirs sont épuisés. Quelle que soit la source de son erreur, il ne lui appartient pas de la redresser. La loi ouvre des recours contre l'erreur possible du premier juge; hors de ces recours, il n'y a pas de moyen de revenir sur ce qui a été jugé. Il en est ainsi alors même que l'on prétendrait que les pièces sur lesquelles le jugement a été rendu étaient fautives et incomplètes (3); l'erreur est irréparable. On découvre une pièce qui prouve que le premier juge a commis une erreur de fait il avait jugé qu'une donation est nulle faute d'insinuation; on produit des pièces qui donnent la preuve

:

(1) Cassation, 31 janvier 1865 (Dalloz, 1865, 1, 390). Comparez Rejet, 14 août 1838 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 341, 2o); Cassation, 10 avril 1837 (Dalloz, ibid., no 358, 2o) et ler mars 1842 (ibid., no 344, 2o); Besançon, 26 novembre 1863 (Dalloz, 1863, 2, 205); Douai, 28 novembre 1873 (Dalloz, 1875, 2, 31).

(2) Liége, 15 août 1835 (Pasicrisie, 1835, 2, 153).

(3) Rejet de la cour de cassation de Belgique, 19 novembre 1846 (Pasicrisie, 1847, 1, 353).

authentique de l'accomplissement de cette formalité (1); n'importe, l'erreur est irréparable. Sur ce dernier point, il y a une disposition formelle, qui confirme la doctrine rigoureuse que nous venons d'exposer: aux termes de l'article 480 du code de procédure, il y a lieu à requête civile si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait de la partie. En dehors de ce cas, la découverte de pièces nouvelles ne permet pas de réformer le jugement.

152. La loi ne fait qu'une exception à cette règle, et l'exception confirme la règle. Aux termes de l'article 541 du code de procédure, il ne sera procédé à la révision d'aucun compte, sauf aux parties, s'il y a erreurs, omissions, faux ou doubles emplois, à en former leurs demandes devant les mêmes juges. » La cour de cassation, en appliquant cet article, dit très-bien que les erreurs de calcul peuvent toujours être réparées, sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée, puisqu'il est toujours certain que les juges n'ont voulu faire qu'une opération d'arithmétique complète et exacte, et qu'ils n'ont pu faire qu'un autre chiffre tînt la place du plus juste nombre (2); les juges ne peuvent pas décider que 2 et 1 font 4.

Toutefois la cour va trop loin en disant que les erreurs de calcul peuvent toujours être réparées. C'est dépasser l'article 541. Pour que cette disposition puisse être appliquée, il faut qu'il y ait un compte; si donc il n'est pas question d'un compte, les erreurs de calcul ne peuvent pas être redressées, pas plus que toute autre erreur : après tout, il n'est pas plus absurde de dire que 2 et 2 font 5, que de dire qu'il n'y a pas eu insinuation, alors que l'on représente l'acte d'insinuation. Quelque déplorables que soient ces erreurs, la chose jugée les couvre. On s'est emparé de l'article 541 pour obtenir le redressement d'erreurs que la loi ne permet pas de redresser une fois qu'il y a chose jugée la cour de cassation, fidèle à sa mission, a réprimé ces excès de pouvoir qui ne tendaient à

(1) Cassation, 28 juin 1808 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 379). (2) Rejet, chambre civile, 23 novembre 1824 (Dalloz,au mot Chose jugée, n• 369, 40).

rien moins qu'à ruiner l'autorité de la chose jugée. Des entrepreneurs réclament le payement de travaux; la cour statue sur les contestations soulevées par les conclusions des parties, sans ordonner la reddition d'aucun compte. L'une des parties demande la rectification d'une disposition du jugement relative à des intérêts conventionnels dont le chiffre, par suite d'une erreur de calcul, aurait été de beaucoup inférieur à ceux qui étaient réellement alloués. La cour d'Aix accueillit la demande. C'était une fausse application de l'article 541; il ne pouyait s'agir de redressement d'un compte, puisque aucun compte n'avait été ordonné; c'était, en réalité, une action en réparation d'erreurs commises dans une décision judiciaire. Or, une pareille action n'est pas admise, sauf dans les cas où il y a lieu à requête civile (1).

153. Ne faut-il pas faire une exception à la rigueur de ces principes quand l'erreur commise par le juge peut se redresser par le jugement même? Voici un cas qui s'est présenté. Le juge, en condamnant l'une des parties aux dépens, se trompe de nom en mettant celui de la partie qui a obtenu gain de cause. Y a-t-il chose jugée, et cette erreur ne peut-elle pas être rectifiée? On l'a soutenu devant la cour de cassation, mais le pourvoi a été rejeté (2). C'est une question d'interprétation plutôt que de rectification; le dispositif doit être interprété par les motifs. Si les motifs prouvent qu'il y a une erreur de nom dans le dispositif, il faut prendre le jugement dans son ensemble, sinon on fait dire au juge le contraire de ce qu'il a voulu dire.

154. La jurisprudence, d'accord avec la doctrine, admet encore une autre exception. Une partie est condamnée à payer une somme; elle retrouve la quittance du payement qu'elle a fait avant le jugement. Peut-elle la faire valoir, malgré le jugement de condamnation? L'affirmative était admise dans l'ancien droit. En condamnant la partie à payer, dit-on, le juge ne décide qu'une chose,

(1) Cassation, 28 janvier 1873 (Dalloz, 1873, 1, 10). 'Comparez Cassation, 8 juin 1814 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 370).

(2) Rejet, 24 avril 1822 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 375, 4o).

c'est qu'il y a dette, il ne décide rien sur le point de savoir si cette dette a été payée; la partie condamnée peut donc, en représentant la quittance, prouver qu'il a été satisfait d'avance au jugement, puisque le créancier a reçu ce qui lui était dû (1). D'après la rigueur des principes, on pourrait soutenir que le débiteur condamné à payer doit exécuter le jugement. Mais, après avoir payé, il aurait l'action en répétition; en produisant la quittance, il prouverait qu'il a payé ce qu'il ne devait plus, et le créancier ne peut pas retenir ce qu'il a reçu, car il le retiendrait sans cause. Vainement dirait-on qu'il le retient en vertu du jugement, lequel forme une cause nouvelle. Nous répondrons, avec la cour de cassation, que le droit français ignore ces subtilités : le créancier a reçu deux fois le payement de la même dette, donc il doit restituer ce qu'il a reçu en double. N'est-il pas plus simple de dire que le débiteur peut se libérer en représentant la quittance? Pourquoi l'obliger à payer, alors qu'il peut immédiatement réclamer la restitution de ce qu'il a payé? Il reste un motif de douter; le jugement ne recevra pas son exécution: n'est-ce pas porter atteinte à l'autorité de la chose jugée? Dans l'ancien droit, on avouait que c'était une exception d'équité; et peut-on encore, en droit moderne, admettre une exception fondée sur l'équité, alors que le code ne la consacre point? Nous croyons qu'à la rigueur il faudrait répondre négativement. Mais l'équité l'a emporté (2).

Que faut-il décider si le débiteur a opposé l'exception de payement? Le juge l'a rejetée faute de preuve; le débiteur découvre ensuite la quittance: peut-il s'en prévaloir soit pour l'opposer au créancier qui veut exécuter le jugement, soit pour répéter ce qu'il a payé? On l'a prétendu (3); la cour de cassation ne pouvait aller jusque-là, c'eût été

(1) Toullier, t. V, 2, p. 108, no 126. Aubry et Rau, t. VI, p. 512, note 112. Larombière, t. V, p. 335, no 162 (Ed. B., t. III, p. 281).

(2) Voyez les arrêts dans le Répertoire de Dalloz, au mot Chose jugée, nos 376-378. Il faut ajouter Rejet, 6 juin 1859 (Dalloz, 1859, 1, 458); Rejet, chambre civile, 2 juillet 1861 (Dalloz, 1861, 1, 479); Rejet, 5 août 1873 (Dalloz, 1874, 1, 470).

(3) Duranton, t. XIII, p. 502, no 474. En sens contraire, Merlin, Répertoire, au mot Succession, sect. Ire, § II, art. III. Toullier, t. V, 2, p. 109, n° 127.

anéantir la chose jugée par des considérations d'équité. En rejetant l'exception de payement, le juge décide qu'il n'y a pas eu payement. Or, admettre le débiteur à se prévaloir de la quittance, c'est dire qu'il y a eu payement; c'est donc se mettre en contradiction avec la chose jugée (1).

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155. Aux termes de l'article 1354, l'aveu qui est opposé à une partie est ou extrajudiciaire ou judiciaire. Il y a une grande différence entre la force probante de l'aveu judiciaire et celle de l'aveu fait hors justice. Dans son essence cependant, l'aveu est un seul et même fait juridique, peu importe le lieu où il est fait. Nous devons donc commencer par examiner la nature de l'aveu en général. Pothier définit l'aveu judiciaire comme suit : « C'est la confession qu'une partie fait devant le juge d'un fait sur lequel elle est interrogée et dont le juge donne acte.» Nous laissons de côté la forme de l'aveu judiciaire; il reste donc la déclaration d'un fait; non pas de tout fait, car Pothier suppose une réponse sur l'interrogatoire du juge; or, le juge interroge sur faits et articles, c'est-àdire sur les faits qui font l'objet du litige. C'est en ce sens que les éditeurs de Zachariæ ont rectifié la définition de Pothier en l'expliquant : « L'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques." Il va sans dire que l'aveu n'est pas une déclaration quelconque sur un fait quelconque, ni une déclaration en l'air, sans influence sur le procès. Tout ce que disent MM. Aubry et Rau est compris dans la définition de Pothier on ne répond au juge que sur des faits juridiques, et la réponse est un élément de preuve; donc celui qui fait un aveu sait

(1) Rejet, chambre civile, 29 juillet 1851 (Dalloz, 1851, 1, 217).

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