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que l'on se prévaudra de l'aveu contre lui (1). Seulement il faut étendre ce que Pothier dit de l'aveu judiciaire à l'aveu extrajudiciaire, car c'est aussi un aveu.

156. L'aveu est la déclaration d'un fait. Il n'y a donc pas lieu à se prévaloir contre une partie de la déclaration qu'elle ferait sur une question de droit. Cela est si évident que l'on ne comprend pas que le contraire ait été soutenu en justice et qu'il ait fallu un arrêt de la cour de cassation pour décider que ce ne sont pas les parties qui décident les difficultés de droit, que c'est le juge (2). Peu importe donc ce que les parties disent ou ne disent pas: le juge décide d'après la loi, et non d'après les dires des parties. Il suit de là, ce qui est aussi d'évidence, que celui qui a fait en première instance une déclaration sur un point de droit, déclaration d'où peut dépendre la décision de la cause, n'est pas lié par ce qu'il a dit comme il le serait par un aveu; il peut, en appel, contester ce qu'il a dit devant le premier juge (3).

157. Ainsi il n'y a d'aveu que lorsque la déclaration porte sur un point de fait. Il faut une déclaration. On cite parfois comme un adage que celui qui garde le silence sur un fait allégué par la partie adverse est censé avouer le fait, maxime aussi dangereuse que fausse. Comme le disent très-bien les lois romaines, celui qui ne dit rien n'avoue pas et ne nie pas, il ne se prononce pas; donc il ne fait aucune déclaration, aucun aveu. Vainement dit-on que celui qui ne reconnaît pas la vérité d'un fait allégué a intérêt de le nier. Il peut répondre qu'il a le droit de garder le silence et que la partie adverse n'a pas le droit de lui adresser des interpellations. Le juge seul a ce pouvoir. Si le juge, dans un interrogatoire sur faits et articles ou dans une comparution, interpelle la partie, alors la question devient tout autre. La partie interrogée doit répondre. Aux termes de l'article 330 du code de procédure, si la partie ne comparaît pas, ou refuse de ré

(1) Pothier, Des obligations, no 830. Aubry et Rau, t. VI, p. 333, note 1 § 751.

(2) Rejet, 8 août 1808 (Dalloz, au mot Obligations, no 5060). (3) Bruxelles, 29 mars 1826 (Pasicrisie, 1826, p. 106).

pondre après avoir comparu, les faits pourront être tenus pour avérés. L'article 252 contient une disposition analogue; il veut que les faits dont une partie demande à faire preuve soient articulés succinctement; s'ils ne sont pas reconnus ou déniés dans les trois jours, ils pourront être tenus pour confessés ou avérés. Ainsi, même sur une interpellation du juge, le silence n'est pas considéré de plein droit comme une confession; c'est le tribunal qui décidera d'après les circonstances de la cause (1). De là suit que l'aveu tacite résultant du silence est apprécié souverainement par le juge du fait; la décision ne donne pas lieu à cassation (2).

Le silence, bien qu'il ne constitue pas un aveu, peut être pris en considération par le juge, comme élément de conviction, dans les cas où il peut fonder sa décision sur de simples présomptions; il peut résulter, en effet, du silence une probabilité plus ou moins forte contre une partie qui, ayant intérêt à repousser une allégation, garde le silence. Mais la différence est grande entre le silence considéré comme une présomption de l'homme et l'aveu proprement dit. L'aveu fait pleine foi contre celui qui l'a fait (art. 1356), c'est la plus forte des preuves; tandis que le silence ne fait naître qu'une probabilité contre la partie qui devrait répondre (3); cette probabilité ne devient un aveu que dans les cas déterminés par la loi. C'est dire que ces cas sont de stricte interprétation.

158. Il résulte de la définition de l'aveu que toute déclaration ou allégation n'est pas un aveu. On ne doit pas considérer comme aveux les déclarations que font les parties à l'appui de leur demande ou de leur exception ce sont des moyens de défense, ce qui exclut l'idée que ces déclarations puissent être invoquées contre la partie de laquelle elles émanent. On demande la nullité d'une vente pour dol, fraude ou erreur. L'acheteur soutient que la

(1) Toullier, t. V, 2, p. 148, no 299. Rau et Aubry, t. VI, p. 334, note 6. (2) Chambre de cassation de Bruxelles, 14 juillet 1818 (Pasicrisie, 1818, p. 147).

(3) Rejet, 25 mai 1842 (Dalloz, au mot Servitude, no 653, 3o) et 19 avril 1842 (au mot Dispositions, no 4607, 1o).

vente est sincère et sérieuse. Puis il change de défense et dit que le contrat est efficace, sinon comme vente, du moins comme donation déguisée. Pourvoi en cassation contre l'arrêt qui a admis ce moyen; on prétend qu'il y avait aveu du défendeur et que le juge était lié par cet aveu. La cour de cassation a décidé qu'il n'y avait pas d'aveu, mais seulement des conclusions subsidiaires (1). Cela tranche la difficulté de droit, mais il peut être difficile en fait de distinguer la déclaration qui est un aveu de la déclaration qui n'est qu'un moyen de défense, ou une simple opinion. C'est une question d'interprétation de volonté, donc elle est décidée souverainement par les juges du fait (2).

Cette distinction s'applique, et à plus forte raison, à l'aveu extrajudiciaire. Dans un débat judiciaire, les parties pèsent leurs paroles et n'improvisent pas des déclarations; tandis que, hors justice, bien des paroles et des déclarations sont faites à la légère, et sans que celui qui les fait songe à fournir la preuve d'un fait juridique. C'est pour cela que le juge a, en cette matière, un pouvoir discrétionnaire, comme nous le dirons plus loin. Une personne faisait les affaires d'une famille, sans qu'il y eût eu aucun compte général et définitif. Elle déposa entre les mains d'un agent de change des valeurs en déclarant qu'elles appartenaient à un des membres de ladite famille; puis elle rétracta cette déclaration. Etait-ce un aveu constatant la propriété de ces valeurs? La cour de Paris a jugé qu'il n'y avait pas aveu, parce que la déclaration n'avait pas été faite au profit de la demoiselle que l'agent d'affaires avait déclarée propriétaire des valeurs, ni pour créer un titre en sa faveur; le déposant voulait empêcher le dépositaire de se servir des titres. Un aveu, dit la cour de Paris, suppose une prétention quelconque de la part de celui au profit duquel il se fait; et, dans l'espèce, le prétendu propriétaire n'avait jamais élevé la moindre pré

(1) Rejet, 3 juin 1829 (Dalloz, au mot Obligations, no 5059). Comparez Rejet de la cour de cassation de Belgique, 6 août 1834 (Pasicrisie, 1834, 1,290). (2) Rejet, 25 février 1836 (Dalloz, au mot Obligations, no 5079, 3^).

tention sur des titres dont il ignorait l'existence (1). 159. Il résulte encore de la définition que nous avons donnée de l'aveu, qu'il suppose que la déclaration émane de l'une des parties. De là suit que si un témoin fait une déclaration dans une procédure civile ou criminelle, on ne peut pas la lui opposer comme constituant un aveu au profit d'une partie, alors qu'il n'y avait encore aucun débat, par conséquent, pas de parties en cause (2). Il n'y a pas d'aveu sans la volonté de faire une déclaration concernant une contestation et devant servir de preuve. Il faut donc que la déclaration soit faite par une partie comme telle.

§ II. De l'aveu judiciaire.

No 1. QUAND Y A-T-IL AVEU JUDICIAIRE?

160. L'aveu judiciaire suppose une déclaration faite en justice, c'est-à-dire dans le cours d'un procès, donc par l'une des parties qui sont en cause. C'est ce que dit l'article 1356 L'aveu judiciaire ou l'aveu que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial. » Il est donc de l'essence de l'aveu judiciaire qu'il se fasse en justice. Les déclarations qu'une partie ferait dans une instance administrative sont-elles un aveu? La négative a été jugée en France, mais la décision n'est pas absolue; il est dit dans l'arrêt de la cour de cassation qu'il s'agissait d'énonciations étrangères au procès et faites, non dans le cours d'un procès, mais dans une demande tendante à obtenir la radiation de la liste des émigrés et la mainlevée du séquestre mis sur leurs biens (3). Si la déclaration était faite dans un procès véritable, il y aurait déclaration judiciaire; dès qu'il y a une justice administrative, il faut bien admettre que les aveux faits devant le juge administratif sont des aveux judiciaires. Il reste à savoir si les déclarations qui se font dans une instance

(1) Paris, 18 novembre 1867 (Dalloz, 1867, 2, 210).

(2) Rejet, chambre criminelle, 8 novembre 1854 (Dalloz, 1856, 1, 348). (3) Rejet, 9 janvier 1839 (Dallóz, au mot Obligations, no 5095, 1o).

peuvent être invoquées dans une autre instance; nous reviendrons sur la question.

161. Il a été jugé que la déclaration faite devant des arbitres est un aveu judiciaire. Dans l'espèce, il ne pouvait guère y avoir de doute, puisque les déclarations avaient été renouvelées devant la cour de Paris (1). Alors même qu'elles n'auraient été faites que devant les arbitres, il faudrait encore les considérer comme des aveux judiciaires, car les arbitres sont des juges; donc l'aveu fait devant eux est un aveu fait en justice. On objectait que l'aveu n'avait pas été constaté dans un acte séparé; la cour répond que cela n'est point nécessaire, qu'il suffit que la déclaration soit constatée dans les motifs de la sentence. Nous reviendrons sur ce point.

162. Les aveux faits devant le juge de paix, quand il siége comme magistrat conciliateur, sont-ils des aveux judiciaires? Nous avons déjà rencontré cette question très-controversée (2); la doctrine est divisée, ainsi que la jurisprudence. Il nous semble que le texte de la loi la décide. L'article 1356 veut que la déclaration soit faite en justice, donc devant un juge appelé à décider un procès; or, le juge de paix ne siége pas comme juge quand les parties se présentent devant lui en conciliation; cela est décisif. L'esprit de la loi paraît en harmonie avec le texte. D'après la loi du 24 août 1790 (titre X, art. 3), le juge de paix devait dresser procès-verbal sommaire des dires des parties, de leurs aveux et dénégations sur les points de fait; le code de procédure ne reproduit pas cette disposition, il se borne à dire que le juge de paix fera sommairement mention que les parties n'ont pu s'accorder (art. 54)(3). La plupart des auteurs enseignent que l'aveu est judiciaire. Toullier semble y voir une question de force probante des actes (4). Cela n'est pas exact; quand même un aveu serait constaté par un acte authentique, ce ne serait pas un aveu judiciaire; et l'on ne peut pas dire, (1) Rejet, 20 mars 1860 (Dalloz, 1860, 1, 398).

(2) Voyez tome XIX de mes Principes, p. 527, no 512.

(3) Colmet de Santerre, t. V, p. 643, no 332 bis II. Chambre de cassation de Bruxelles, 11 février 1820 (Pasicrisie, 1820, p 45). (4) Toullier, t. V, 2, p. 235, n" 271.

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