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Acte d'emprunt d'une somme de 9,500 fr. La somme empruntée reste dans les mains du notaire; l'emprunteur en demande compte; il prétend que l'emprunt a été contracté pour payer les dettes d'une communauté que le notaire était chargé de liquider. Cité en conciliation, le notaire reconnaît avoir reçu ladite somme, mais il ajoute qu'elle lui avait été laissée en payement d'avances par lui faites à l'emprunteur. Action en reddition de compte fondée sur l'aveu du notaire. Le premier juge accueillit la demande; la cour d'appel la rejeta, et sor arrêt fut confirmé par la cour de cassation. L'emprunteur n'avait d'autre preuve que l'aveu du notaire, et cet aveu était indivisible (1).

191. Il est de principe que les règles sur les preuves établies au titre des Obligations doivent être appliquées dans la matière des droits réels. Une partie avoue le fait de passage sur son terrain pendant trente ans par un tiers, mais elle ajoute que c'est à titre précaire. Est-ce que cet aveu est une preuve de l'existence de la servitude? L'aveu prouve, au contraire, qu'il n'y avait pas de servitude, puisqu'il en résulte que la condition essentielle de la possession manquait, une possession à titre précaire ne pouvant jamais fonder une servitude. Pouvait-on scinder l'aveu et dire que, le fait du passage étant reconnu, il y avait preuve de la servitude, sauf au défendeur à prouver que la possession était précaire? C'eût été altérer l'aveu et faire dire au défend ur le contraire de ce qu'il avait dit (2).

Une partie avoue qu'il existait jadis une servitude sur son fonds, mais que l'état de choses a été changé depuis. Il n'y avait pas d'autre preuve de la servitude que cet aveu. Pouvait-on s'en autoriser pour ordonner que la servitude serait transportée du lieu où elle s'était exercée dans un autre lieu au détriment du fonds servant? Ici il y avait un motif de douter. Le propriétaire du fonds servant reconnaissait que son fonds était grevé d'une servi

(1) Rejet, 29 mai 1861 (Dalloz, 1861, 1, 389). Un arrêt de cassation du 13 mai 1874 (Dalloz, 1875, 1, 83) a appliqué le même principe au mandat. (2) Bruxelles, 4 février 1806 (Dalloz, au mot Servitudes, no 891).

tude; on pouvait donc invoquer son aveu, sauf à régler l'exercice de la servitude. La cour de cassation cassa l'arrêt qui avait maintenu la servitude, en la transportant dans un autre endroit du fonds servant. Il résultait de ce changement que les eaux parcouraient 180 mètres, tandis que, dans l'ancien état de choses, le parcours n'était que de 16 mètres. La question était donc celle-ci : l'aveu, unique preuve de la servitude, établissait une charge beaucoup moindre que celle que la cour maintenait; le juge avait-il ce droit? La négative est certaine; les servitudes ne s'établissent pas par décision judiciaire; il fallait donc s'en tenir strictement à l'aveu, et cet aveu n'autorisait pas la servitude que la cour consacrait. L'arrêt de la cour de Montpellier a été cassé (1).

192. Les aveux, en matière de dons manuels, donnent lieu à des difficultés particulières. Nous les avons exami nées au titre des Donations (t. XII, no 288).

2. DE L'AVEU DIT complexe.

193. Poursuivi en payement d'une dette, le débiteur en avoue l'existence, mais il affirme en même temps qu'il l'a payée. Cet aveu est-il indivisible? L'affirmative n'est pas douteuse. C'est précisément l'exemple que Pothier donne d'un aveu indivisible; or, les auteurs du code ont emprunté le principe à Pothier, ce qui est décisif. Toutefois il y a une différence entre l'aveu qualifié et l'aveu complexe dans le premier, il n'y a qu'un seul fait modifié par la déclaration; tandis que, dans le second, il y a deux faits, l'existence de l'obligation et l'extinction de l'obligation. Dans l'aveu qualifié, la division ne se conçoit même pas, puisque en divisant l'aveu on l'altère; tandis que la division de l'aveu complexe se conçoit à la rigueur; le débiteur déclare deux choses, qu'il y avait une dette et que cette dette est éteinte en avouant la dette, ne se place-t-il pas dans la nécessité de prouver l'extinction? C'est ce qu'avait décidé le premier juge dans une espèce

(i) Cassation, 16 mai 1838 (Dalloz, au mot Servitudes, no 1161, 1o).

déférée à la cour de cassation. La cour décida que l'aveu était indivisible en se fondant sur le texte de l'art. 1356; elle ajouta que le jugement attaqué ne relevait d'ailleurs aucune circonstance particulière de nature à infirmer le principe de l'indivisibilité de l'aveu (1). Il y a là le germe d'une exception que la cour ne formule pas. Nous croyons qu'il n'y a aucune distinction à faire entre l'aveu complexe et l'aveu qualifié. L'aveu est une preuve que la partie intéressée fournit elle-même, il faut donc prendre sa déclaration dans le sens quelle a voulu lui donner; or, diviser l'aveu, ce serait donner un sens tout contraire à la déclaration celui qui l'a faite n'avoue pas qu'il est débiteur, il dit qu'il ne l'est pas ; on doit s'en tenir à sa déclaration si l'on veut s'en prévaloir (2).

194. La question se présente assez souvent en matière de vente. Action en payement d'une somme de 151 francs, prix d'une vache que le demandeur dit avoir vendue. Le défendeur avoue l'existence de la vente, mais déclare, en même temps, en avoir payé le prix. Malgré cette déclaration, le premier juge le condamna, et le jugement fut confirmé en appel. Le juge de paix donnait d'abord une assez mauvaise raison, les faits et circonstances de la cause, c'est-à-dire des présomptions; comme le montant du litige dépassait 150 fr., les présomptions n'étaient pas admissibles. Puis le jugement dit que la vente et le payement sont deux faits distincts; que si la vente est prouvée par la déclaration de l'acheteur, il ne peut pas, par son seul aveu, établir sa libération. Cela est vrai en théorie; mais la loi n'admet pas cette théorie, elle décide que l'aveu est indivisible; il faut donc prendre l'aveu tel qu'il est, ou ne pas l'invoquer. De quoi s'agissait-il dans l'espèce? La question était de savoir si le défendeur devait 151 francs au demandeur: eh bien, le demandeur niait qu'il fût debiteur. Peut-on transformer cette négation en affirmation?

(1) Cassation, 21 août 1856 (Dalloz, 1856, 1, 156) et 24 janvier 1863 (Dalloz, 1863, 1, 404).

(2) Le défendeur reconnaît que des travaux ont été faits pour son compte, mais il ajoute que le prix en était dû à un entrepreneur et qu'il l'a payé au créancier. Cet aveu ne peut être divisé par l'ouvrier demandeur. Cassation, 19 janvier 1874 (Dalloz, 1874, 1, 141).

Ce serait faire dire à la partie le contraire de ce qu'elle a voulu dire (1):

Les fournitures de détail se constatent rarement par écrit. Cependant quand elles dépassent 150 francs, elles ne peuvent pas se prouver par témoins. Si l'acheteur avoue qu'il a reçu les fournitures, mais qu'il les a payées, pourrat-on diviser son aveu? Non; la jurisprudence est unanime sur ce point (2). Il en serait de même si un prêt n'était constaté que par l'aveu de l'emprunteur et que, tout en avouant qu'il a reçu la somme, il déclare l'avoir remboursée (3). Enfin, il en est encore de même des recouvrements faits par un mandataire qui déclare en avoir rendu compte au mandant: l'aveu est indivisible, cela n'est pas douteux (4).

Nous disons que ces décisions ne sont pas douteuses. Toutefois, il arrive que les premiers juges s'y trompent. Le mandataire du créancier avoue qu'il a reçu du débiteur le montant de la dette qu'il était charge de recouvrer, mais il ajoute qu'il le lui a rendu avant de lui en donner quittance. Cet aveu a été divisé par la cour de Colmar. La cour s'était fondée sur de simples présomptions, dans une espèce où les présomptions étaient inadmissibles à raison du montant du' litige, et elle avait confirmé les présomptions en divisant l'aveu; c'était violer les articles 1353 et 1356. L'arrêt a été cassé, et il devait l'être (5).

Une veuve est actionnée pour rendre compte des revenus qu'elle a perçus sur les biens indivis entre elle et son fils, à partir de la majorité de celui-ci. La mère avoue avoir seule géré lesdits biens et avoir continué cette gestion exclusive après la majorité du dernier de ses enfants; mais elle ajoute que les revenus, au fur et à mesure de leur perception, ont été partagés entre elle et son

(1) Cassation, 25 avril 1853 (Dalloz, 1853, 1, 165). Comparez Bruxelles, 21 novembre 1840 (Pasicrisie, 1840, 2, 207).

(2) Liége, 22 janvier 1836 (Pasicrisie, 1836, 2, 17). Orléans, 9 mars 1852 (Dalloz, 1852, 2, 219). Bruxelles, 21 mars 1861 (Pasicrisie, 1862, 2, 51). (3) Bruxelles, 12 août 1867 (Pasicrisie, 1868, 2, 1868).

(4) Rejet, 6 novembre 1838 (Dalloz, au mot Obligations, no 5130, 3°); 11 janvier 1843 (Dalloz, au mot Compte, no 39).

(5) Cassation, 20 mars 1826 (Dalloz, au mot Obligations, no 4350).

fils devenu majeur. La cour d'appel se prévalut de la première partie de l'aveu pour en induire que la mère était tenue de rendre compte de sa gestion, sans considérer qu'en vertu de la seconde partie de l'aveu, elle était libérée de cette obligation. C'était faire dire à la mère le contraire de ce qu'elle avait dit : elle déclarait qu'elle n'avait aucun compte à rendre, parce que les revenus avaient été partagés, et on se prévalait de sa déclaration pour lui faire rendre compte. L'arrêt violait l'indivisibilité de l'aveu; il a été cassé (1).

195. Faut-il appliquer le même principe aux autres modes d'extinction des obligations? Je reconnais avoir été débiteur, mais j'ajoute que ma dette est éteinte par remise ou novation. Mon aveu est-il indivisible? La doctrine et la jurisprudence sont d'accord pour admettre l'affirmative. Il y a un motif de douter. La remise est une libéralité ou une nouvelle convention; donc l'existence de la dette et la remise de la dette sont deux faits trèsdistincts n'en faut-il pas conclure qu'il y a deux aveux? Or, je puis bien constater une obligation à ma charge en l'avouant, mais je ne puis pas, par mon aveu, établir une libéralité qui m'a été faite. On répond qu'il faut voir ce que signifie l'aveu. Il s'agit de savoir si je suis débiteur; je déclare que je l'ai été, mais que je ne le suis plus; donc mon aveu signifie que je ne suis pas débiteur : peuton l'invoquer pour me condamner en vertu de cet aveu? Ce serait tourner contre moi une déclaration que j'ai faite pour moi; l'aveu qui, dans ma pensée, doit servir à ma libération ne peut pas être invoqué pour prouver que je suis débiteur (2).

En est-il de même de la compensation? On me demande le payement d'une dette de 1,000 fr.; le demandeur n'a aucune preuve. J'avoue que je devais cette somme, mais 'ajoute que ma dette est éteinte par compensation : cet

(1) Cassation, 4 novembre 1846 (Dalloz, au mot Obligations, no 5118,6). (2) Rejet, 10 août 1830 (Dalloz, au mot Obligations, no 2503, 4o) Bru les, 23 mai 1838 (Pasicrisie, 1838, 2, 87). Douai, 6 août 1856 (Dalloz, los“, 2, 202). Comparez Aubry et Rau, t. VI, p. 341, note 35; Larombiere, t. V, p. 411, no 17 (Ed. B., t. III, p. 312).

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