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aveu est-il indivisible? Dans notre opinion, oui; car il aboutit à dire que je ne suis pas débiteur; on ne peut donc pas diviser mon aveu contre moi pour en induire que je suis débiteur. Cependant l'opinion contraire est généralement suivie (1). Mon aveu, dit-on, contient deux déclarations distinctes: je déclare d'abord qu'il y a une dette à ma charge, puis je déclare que j'ai une créance contre mon créancier. Ce dernier fait est distinct du premier, il constitue en ma faveur un droit, et je ne puis pas prouver un droit par mon aveu. Nous répondons qu'il en est de même quand j'avoue la dette et que je prétends qu'elle est éteinte par la remise, la novation ou le payement; ces trois faits sont aussi distincts du premier, et par leur nature et par le temps; il en résulte aussi pour moi un droit; donc si l'on peut diviser mon aveu quand j'allègue la compensation, on peut aussi diviser mon aveu quand j'allègue tout autre mode d'extinction de mon obligation. La cour de cassation s'est prononcée pour l'opinion que nous combattons. Elle pose en principe que l'indivisibilité de l'aveu n'est applicable qu'au cas où l'aveu porte sur un fait ou un point de contestation unique. Si tel est le principe, tout aveu complexe sera divisible; car par cela même qu'il est complexe, il comprend deux faits. Dans l'espèce jugée par la cour, il y avait une autre circonstance qui rendait l'aveu divisible, comme nous le dirons plus loin, c'est que l'un des faits était prouvé indépendamment de l'aveu. L'arrêt n'est donc pas aussi absolu qu'il en a l'air (2).

196. Je reconnais l'existence d'une convention, mais j'ajoute qu'elle a été plus tard résolue d'un commun accord: l'aveu est-il indivisible? La cour de cassation a jugé qu'il pouvait être divisé. Cet arrêt établit un principe encore plus restrictif en ce qui concerne l'indivisibilité de l'aveu pour que l'aveu soit indivisible, dit la cour, il faut

(1) Colmet de Santerre, t. V, p. 645, no334 bis IV. Mourlon, t. II, p. 863, n° 1642. Aubry et Rau, t. VI, p. 342, note 26.

(2) Rejet, 14 janvier 1824 (Dalloz, au mot Obligations, no 5133, 1o). Dans le même sens, Douai, 13 mai 1836 (Dalloz, au mot Conciliation, no 292). Comparez Gand, 23 avril 1864 (Pasicrisie. 1864, 2, 222).

non-seulement qu'il s'agisse d'un fait unique, il faut encore qu'il se soit passé dans une circonstance unique et qu'il ne puisse être attribué qu'à celui qui a fait l'aveu(1). Si l'on admet ce principe, on doit dire que tout aveu complexe est divisible; ce qui met la jurisprudence en opposition avec la tradition, et si elle n'a pas pour appui la tradition, sur quoi se fondera-t-elle? Les éditeurs de Zachariæ critiquent aussi cette décision (2). On voit qu'il n'y a aucun principe certain, ni dans la doctrine, ni dans la jurisprudence.

197. Autant d'arrêts, autant de principes différents. On me demande compte d'opérations que j'aurais faites en vertu d'une association en participation dont il n'existe nulle preuve. J'avoue, dans un interrogatoire sur faits et articles, que l'association a réellement existé, mais j'ajoute que tous les comptes de la société ont été réglés et que j'ai payé ce que je pouvais devoir. Cet aveu peut-il être divisé? Non, dit la cour de cassation (3). Voilà cependant bien des faits distincts: d'abord l'existence de la société, puis une série d'opérations et des comptes pendant toute la durée de l'association. Est-ce que tous ces faits ne forment qu'un seul et même fait?

Je demande le payement d'un billet causé valeur reçue en marchandises. Le défendeur nie avoir reçu des marchandises et me fait interroger sur faits et articles. J'avoue que la cause est fausse, mais j'allègue une autre cause licite. Mon aveu est-il indivisible? Dans notre opinion, oui, et sans doute aucun. Telle est aussi l'opinion commune (4); il y a cependant une décision contraire (5).

N° 8. DE LA DIVISIBILITÉ DE L'AVEU.

198. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord pour admettre que, par exception à la règle de l'indivisi

(1) Rejet, 6 février 1838 (Dalloz, au mot Obligations, no 5124, 4o).

(2) Aubry et Rau, t. VI, p. 342, note 25, § 751.

(3) Rejet, 30 juillet 1862 (Dalloz, 1862, 1, 509).

(4) Bruxelles, 13 juin 1820 (Pasicrisie, 1820, p. 153). Liége, 30 mai 1871 (Pasicrisie, 1871, 2, 331).

(5) Jugement du tribunal de Perpignan (Dalloz, 1868, 1, 391j.

lité, il y a des cas où l'aveu peut être divisé. Quels sont ces cas? et sur quoi fonde-t-on ces exceptions? On chercherait vainement un principe en cette matière. Un conseiller rapporteur, dans une affaire soumise à la cour de cassation, dit que la règle écrite dans l'article 1356 n'est pas tellement absolue, qu'elle ne comporte des exceptions. Voilà une affirmation, mais où est la preuve? M. Troplong continue « Ces exceptions ne sont pas, à la vérité, dans la loi, mais le bon sens les indique, et la jurisprudence, d'accord avec la raison, les sanctionne (1). » Est-ce là le langage du droit? La cour de cassation a mille fois décidé que le juge n'a pas le droit de créer des exceptions; et quand il arrive, dans des cas très-rares, que les interprètes admettent des exceptions qui ne sont pas écrites dans la loi, il faut d'autres raisons que le bon sens. Nous cherchons un principe et nous ne trouvons que des affirmations. On lit dans un arrêt de la cour de Bruxelles : « Attendu que le principe de l'indivisibilité de l'aveu n'offrant rien d'absolu, il est des circonstances qui peuvent faire subir à ce principe quelques modifications (2). Reste à prouver que le principe n'est pas absolu et à définir les circonstances qui permettent de diviser l'aveu.

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Il résulte de là de singulières contradictions. Sur un point controversé, une cour décide, d'après la jurisprudence, que l'aveu est divisible; la cour de cassation maintient l'arrêt. Une autre cour décide, dans une espèce identique, que l'aveu est indivisible; la cour de cassation maintiendra cet arrêt, car il n'y a point de loi violée (3). Ainsi les tribunaux peuvent juger le pour et le contre! Voilà à quoi aboutit la théorie des exceptions fondées sur le bon sens. Nous allons examiner les exceptions que la jurisprudence a sanctionnées, d'après l'expression de Troplong, comme si les juges étaient législateurs; les doutes abondent, parce que les principes font défaut.

(1) Rapport sur l'arrêt de rejet du 19 juin 1839 (Dalloz, au mot Obligations, no 5141).

(2) Bruxelles, 11 août 1847 (Pasicrisie, 1847, 2, 215).

(3) Rejet, cour de cassation de Belgique, 12 décembre 1842, et le réquisitoire de l'avocat général De Cuyper (Pasicrisie, 1843, 1, 33). Comparez

1. De l'interrogatoire sur faits et articles.

199. Le principe de l'indivisibilité de l'aveu, dit-on, ne s'applique point à l'ensemble des réponses contenues dans un interrogatoire sur faits et articles; ces réponses peuvent être séparées les unes des autres et appréciées isolément, pourvu qu'on ne divise pas chaque réponse prise en elle-même (1). » Nous admettons l'exception, par la raison que ce n'est pas une exception, mais la formule que nous venons de transcrire n'est pas exacte. Il ne faut pas considérer les diverses réponses, il faut considérer les divers faits sur lesquels portent les réponses. Il se peut que l'interrogatoire ne porte que sur un seul fait et que les diverses questions et les réponses qu'y fait la partie se rattachent toutes à ce fait; dans ce cas, toutes les réponses ne forment qu'un seul et même aveu, lequel est indivisible comme tout aveu. Mais s'il y a divers faits, il faut diviser les déclarations relatives à ces faits; il y aura autant d'aveux qu'il y a de faits divers; peu importe que chaque fait soit l'objet d'une seule question et d'une seule réponse, ou que pour un seul fait il y ait plusieurs questions et plusieurs réponses. Ainsi définie, l'exception n'est pas une exception; chaque fait forme l'objet d'un aveu distinct, et cet aveu est indivisible. On dit improprement que l'aveu est divisé, il faut dire que l'interrogatoire est divisé en autant d'aveux qu'il y a de faits distincts. On maintient donc le principe de l'indivisibilité de l'aveu en l'appliquant à chacun des aveux compris dans l'interrogatoire; de sorte que s'il n'y a qu'un seul fait, il n'y aura qu'un seul aveu, et on ne pourra pas diviser les diverses réponses concernant cet aveu (2).

La jurisprudence est en ce sens. On lit dans un arrêt de la cour de Çaen: S'il est vrai que les aveux passés dans un interrogatoire sur faits et articles ne sont pas

Rejet de la cour de cassation de France, 17 novembre 1835 (Dalloz, au mot Obligations, no 5129).

(1) Aubry et Rau, t. VI, p. 343, note 27, et les autorités qu'ils citent. (2) Toullier, t. V, 2, p. 273, no 339. Larombière, t. V, p. 416, no 20 (Ed B., t. III, p. 314).

indivisibles, dans ce sens qu'on soit obligé, pour se prévaloir d'une réponse, de prendre droit par toutes les autres; pourtant, lorsque dans une même réponse l'interrogé passe sur un fait une déclaration contenant plusieurs parties corrélatives et qu'on n'a d'ailleurs aucune autre preuve à fournir de ce fait que sa déclaration même, la loi comme la raison veulent qu'on la prenne dans son ensemble (1). »

200. L'interrogatoire sur faits et articles donne encore lieu à une autre question. On demande si les parties peuvent l'invoquer comme un commencement de preuve par écrit autorisant le juge à ordonner la preuve testimoniale. L'affirmative est certaine, comme nous l'avons dit en traitant de la preuve par témoins (2). Naît alors la question de savoir si l'aveu, considéré comme commencement de preuve par écrit, peut être divisé. L'affirmative est certaine, mais la question est mal formulée. Il ne s'agit pas, dans l'espèce, de l'aveu proprement dit; on n'a qu'à lire l'article 1356 pour s'en convaincre. L'aveu fait pleine foi, tandis que nous supposons que l'interrogatoire ne fournit qu'un commencement de preuve par écrit, qui doit être complété par la preuve testimoniale. Or, c'est à l'aveu faisant preuve complète que s'applique le principe de l'indivisibilité. Quand l'aveu sert seulement d'un commencement de preuve, l'indivisibilité est hors de cause; les juges ont alors le droit de prendre l'interrogatoire dans son ensemble ou dans ses détails, pour y chercher ce commencement de preuve qui leur permet de recourir à la preuve testimoniale. Ainsi le juge appliquera, dans ce cas, les principes qui régissent le commencement de preuve par écrit, et non les principes qui régissent l'aveu. C'est ce que la cour de cassation a décidé dans un arrêt rendu sur un excellent rapport de M. Rau (3).

(1) Caen, 25 avril 1842 (Dalloz, au mot Obligations, no 5141). Comparez Paris, 4 juin 1829 (Dalloz, au mot Dispositions, no 1397); Gand, 24 novembre 1837 (Pasicrisie, 1837, 2, 248).

(2) Voyez le t. XIX de mes Principes, p. 518, no 504.

(3) Rejet, 22 août 1864 (Dalloz, 1865, 1, 64). Comparez Rejet, 19 juin 1839 (Dalloz, au mot Obligations, no 5141); Gand, 27 mars 1845 (Dalloz, 1845, 2,93).

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