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qui viole la loi. Or, la cour de cassation est établie pour annuler les jugements qui contiendraient une contravention expresse au texte de la loi (1).

13. Le juge dépasse encore ses pouvoirs ou il ne remplit pas la mission qui lui est confiée lorsqu'il prononce sur ce qui ne lui a pas été demandé, ou lorsqu'il condamne une partie à plus qu'il ne lui a été demandé. Ces nullités tirées de ce que le juge a prononcé sur ce qui n'était pas soumis à son jugement n'ont pas lieu de plein droit; elles doivent être opposées ou par la voie ordinaire de l'appel, ou par la voie de la requête civile. Lorsque la partie a laissé passer le temps sans se pourvoir contre le jugement, les nullités sont couvertes (2).

14. Restent les nullités de forme. Pothier dit qu'elles n'ont pas lieu de plein droit. Cela se comprend quand il s'agit d'une forme de procédure; la nullité n'empêche pas le jugement d'exister; il produit donc ses effets jusqu'à ce qu'il ait été réformé ou cassé. La loi du 20 avril 1810 énumère les formalités prescrites à peine de nullité : le jugement est nul quand il n'a pas été rendu par le nombre de juges prescrit, si des juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences y ont concouru, s'il n'a pas été rendu publiquement et s'il ne contient pas les motifs (art. 7). Ces nullités se couvrent, elles n'empêchent donc pas la chose jugée (3).

Cependant l'on admet qu'il y a des formes substantielles, sans lesquelles le jugement ne peut produire aucun effet. Ceux qui opposent la chose jugée doivent prouver qu'il y a un jugement, ils doivent donc produire un acte qui a les caractères extérieurs d'un jugement. On lit dans un avis du conseil d'Etat du 31 janvier 1806 que l'autorité attachée aux jugements repose, non sur la certitude acquise qu'un arrêt est juste, mais sur la présomption de sa justice quand il est revêtu des formes qui lui donnent le caractère d'un jugement. On ne saurait recon

(1) Pothier, Des obligations, n° 870. Loi du 1er décembre 1790, art. 1. (2) Pothier, Des obligations, nos 872 874.

(3) Pothier, Des obligations, no 884. Toullier, t. V, 2, p. 102, no 113. Aubry et Rau t. VI, p. 479, note 9.

naître l'autorité de la chose jugée à un acte informe destitué des apparences mêmes d'une décision judiciaire (1). Il a été jugé que pour qu'un jugement puisse être opposé comme exception de chose jugée, il faut qu'il ait été signifié à avoué (2).

15. Il y a une question plus importante. En théorie la condition essentielle pour qu'il y ait jugement, c'es qu'il y ait un juge. D'après la législation française, il y a une justice administrative dont les attributions sont trèsétendues. La loi fondamentale de 1815 et la constitution belge ont aboli la juridiction administrative, en ce qui concerne les contestations sur des droits civils. De là la question de savoir si un jugement rendu par un tribunal administratif en matière de droits civils aurait l'autorité de chose jugée. La jurisprudence s'est prononcée pour la négative. Une décision rendue par la députation perma nente sur une question de propriété peut-elle être invoquée comme chose jugée? Non, dit la cour de Bruxelles, car une autorité sans juridiction ne peut porter un jugement (3). La cour a raison de dire que cela est évident : il ne saurait y avoir de jugement et de chose jugée là où il n'y a pas de pouvoir de juridiction.

Cependant il est de jurisprudence et de doctrine que la nullité résultant de l'incompétence n'empêche pas le jugement d'acquérir l'autorité de chose jugée, quand même il y aurait incompétence à raison de la matière et fondée sur des motifs d'ordre public. Un tribunal décide une question qui est de la compétence du pouvoir administratif l'exception d'incompétence est proposée et rejetée. Il y a chose jugée, dit la cour de cassation : L'autorité qui s'attache à la chose jugée est si absolue, qu'il est interdit d'y porter atteinte, alors même que le jugement duquel elle résulte aurait méconnu ou violé des règles de compétence fondées sur des motifs d'ordre pu

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(1) Rejet 16 mai 1836 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 123), 14 février 1837 (Dalloz, au mot Cassation, no 869) et 14 juillet 1873 (Dalloz, 1874, 1, 308). Larombière, t. V, p. 204, no 10 (Ed. B., t. III, p. 231).

(2) Gand, 19 janvier 1855 (Pasicrisie, 1855, 2, 372).

(3) Bruxelles, 15 janvier 1840 (Pasicrisie, 1840, 2, 14). Comparez Bruxelles, 22 février 1821 (Pasicrisie, 1821, p. 310).

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blic (1). La cour de cassation de Belgique a également décidé que la loi, en ce qui concerne l'autorité de la chose jugée, ne fait aucune distinction entre les matières où l'ordre public est intéressé et celles où il ne l'est pas; que, dans un intérêt social, le législateur a voulu mettre fin aux contestations judiciaires; que, par suite, c'est à la partie qui se croit lésée à provoquer la réformation ou la cassation de la décision qui viole les règles de compétence, sinon elle passera en force de chose jugée (2).

Il a été décidé, en conséquence, que le jugement rendu par un juge de paix sur une question de propriété qu'il aurait dû renvoyer devant le tribunal d'arrondissement a néanmoins l'autorité de chose jugée (3). De même quand un tribunal de commerce décide une question qui est de la compétence des tribunaux civils, le jugement acquiert l'autorité de chose jugée s'il n'est point réformé (4).

La jurisprudence n'est-elle pas trop absolue? Remarquons d'abord qu'elle est contradictoire. Si un tribunal administratif est radicalement incompétent pour décider des questions de propriété, les tribunaux de commerce aussi sont incompétents pour juger des affaires civiles. Et comment un juge, sans juridiction, pourrait-il rendre un jugement? Il faudrait distinguer, nous semble-t-il, entre les juridictions qui ont un pouvoir général de juger et les juridictions. exceptionnelles. Quand un tribunal civil décide une question commerciale, il est incompétent, il est vrai, à raison de la matière; mais on ne peut pas dire qu'il soit sans juridiction, car les cours d'appel jugent les affaires commerciales, et là où il n'y a pas de tribunal de commerce, les tribunaux d'arrondissement en remplissent les fonctions; il y a donc un tribunal ayant capacité et mission de juger. Mais quand un tribunal de commerce juge une affaire civile, il est sans juridiction, son

(1) Rejet, 18 juillet 1861 (Dalloz, 1862, 1, 86). Comparez 12 mars 1873 (Dalloz, 1873, 1, 376).

(2) Rejet, 19 février 1857 (Pasicrisie, 1857, 1, 165) et 26 janvier 1843 (ibid., 1843, 1, 150).

(3) Cassation, 20 août 1867 (Dalloz, 1867, 1, 376).

(4) Rejet, 3 mai 1852 (Dalloz, 1852, 1, 122). Buxelles, 10 août 1836 (Pasicrisie, 1836, 2, 207),

incompétence est radicale; donc la décision qu'il rend ne devrait pas avoir l'autorité de chose jugée. Nous ne pour suivons pas cette discussion, parce qu'on pourrait aussi nous reprocher notre incompétence.

16. Quand un jugement est rendu par le tribunal qui a juridiction, la décision acquiert l'autorité de chose jugée, quelles que soient les causes de nullité qui l'entachent. Cela n'est pas. douteux. Il y a un jugement; c'est à la partie qui se croit lésée à en poursuivre la réformation ou la cassation. Ainsi les jugements qui portent atteinte à l'ordre public (1), ou qui contiennent un excès de pouvoir (2), ceux-là mêmes qui auraient été obtenus à raison de manoeuvres frauduleuses (3), ont l'autorité de chose jugée. C'est pour garantir les droits et les intérêts des parties que la loi a organisé des voies de recours, appel, cassation, requête civile; lorsque ces voies. sont épuisées ou que l'on a négligé d'y avoir recours, les procès doivent avoir une fin, et la présomption de vérité couvre toutes les causes de nullité: il n'y a pas de motif d'ordre public plus puissant que celui-là.

IV. Faut-il que le jugement soit inattaquable?

17. L'ordonnance de 1667 (tit. 27, art. 5) contenait une disposition particulière pour déterminer quels jugements ont l'autorité de la chose jugée; elle était ainsi conçue: Les sentences et jugements qui doivent passer en force de chose jugée sont ceux rendus en dernier ressort et dont il n'y a appel ou dont l'appel n'est pas recevable, soit que les parties y eussent formellement acquiescé, ou qu'elles n'en eussent interjeté appel dans le temps, ou que l'appel ait été déclaré péri, c'est-à-dire périmé. Faut-il conclure de là que les jugements sujets à appel n'ont pas l'autorité de chose jugée, tant que l'appel est recevable? La même question se présente pour les jugements rendus par défaut : ont-ils l'autorité de chose

(1) Cassation, 5 novembre 1811 (Dalloz, au mot Arbitrage, no 997). (2) Cassation, 17 brumaire an XI (Dalloz, au mot Chose jugée, no 99, 1o). (3) Cassation, 12 mars 1873 (Dalloz, 1873, 1, 366).

jugée, tant qu'ils peuvent être anéantis par l'opposition? Pothier répond à la question. Les jugements dont il n'y a pas d'appel interjeté ont, de même que ceux rendus en dernier ressort, une espèce d'autorité de chose jugée qui donne à la partie en faveur de laquelle ils ont été rendus, le droit d'en poursuivre l'exécution; il forme une espèce de présomption de vérité qui exclut la partie contre laquelle ils ont été rendus de pouvoir rien proposer contre, tant qu'il n'y a pas d'appel interjeté; mais cette autorité et la présomption qui en résulte ne sont que momentanées et sont détruites aussitôt qu'il y a un appel interjeté. Ainsi Pothier ne dit pas, comme on le lui a fait dire, que tout jugement, quoique susceptible d'appel, forme chose jugée dès qu'il est rendu; il dit qu'il en résulte une espèce de chose jugée et une espèce de présomption, mais que tout cela n'est que provisoire. A vrai dire, il n'y a pas de chose jugée, et cela est impossible, tant que le délai de l'appel n'est pas écoulé ou qu'il n'y a pas acquiescement. En effet, la chose jugée est fondée sur une présomption de vérité; or, y a-t-il une vérité temporaire, une vérité qui peut être détruite d'un instant à l'autre ? La vérité est éternelle ou elle n'existe pas; donc il ne saurait y avoir une présomption de vérité, tant que le jugement qui la produit peut être anéanti par l'appel.

Il en est de même des jugements rendus par défaut. Lorsque, dit Pothier, le jugement en dernier ressort est contradictoire, il a l'autorité de chose jugée aussitôt qu'il est rendu; mais lorsqu'il a été rendu par défaut, la partie défaillante est reçue à y former opposition. Cette opposition détruit l'effet du jugement; ce n'est qu'après que la partie défaillante a laissé passer la huitaine sans former opposition, que les jugements rendus par défaut acquièrent l'autorité de chose jugée. Pothier ajoute que cette autorité est stable et perpétuelle. C'est trop dire; il faut encore tenir compte des voies extraordinaires pat lesquelles un jugement peut être révoqué ou annulé : nous reviendrons sur ce point (1).

(1) Pothier, Des obligations, nos 852 et 853. Larombière, t. V, p. 196,

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