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ments à compte de ces emprunts. Ces payements allégués par le défendeur avaient servi à éteindre des dettes distinctes, d'après les règles que la loi trace sur l'imputation; ils n'étaient donc pas destinés à éteindre la dette. du prêt avoué de 1864; cela est si vrai que les deux premiers payements allégués par le défendeur étaient antérieurs à cette date. La cour conclut de là que tous les payements allégués constituaient des actes indépendants de la dette de 2,000 francs et n'avaient avec celle-ci aucune connexité. Par suite, les déclarations du défendeur étaient des aveux distincts, l'un établissait le prêt par lui reçu, et les autres ne prouvaient pas sa libération (1).

III. De l'aveu qui n'est pas la preuve unique du fait.

205. On suppose que le fait sur lequel porte l'aveu est prouvé indépendamment de l'aveu; celui qui a fait l'aveu peut-il, en ce cas, se prévaloir de son indivisibilité? La question n'a pas de sens, cependant elle a été bien des fois débattue devant les tribunaux. Si l'aveu est indivisible, c'est parce que c'est la seule preuve du fait allégué;la loi veut que l'on prenne la déclaration telle qu'elle a été faite. Mais si l'on ne se prévaut pas de l'aveu pour prouver le fait, il ne peut être question de maintenir l'aveu comme preuve indivisible. Sur ce point, l'on peut invoquer le témoignage de Pothier, et il est décisif : « Lorsque, dit-il, je n'ai d'autre preuve que votre confession, je ne puis la diviser (2). » Cela résulte de l'essence même de l'aveu et du motif pour lequel la loi le déclare indivisible. L'aveu judiciaire, dit la cour de cassation, est la déclaration que fait la partie en justice d'un fait dont il n'existe pas d'ailleurs de preuve et qui n'est établi que par cet aveu lui-même; c'est par cette raison et en considération de cette reconnaissance spontanée que la loi a attaché à l'aveu le caractère d'indivisibilité. Mais lorsque l'un des faits énoncés dans l'aveu est établi et incontestable, la

(1) Gand, 18 avril 1872 (Pasicrisie, 1872, 2, 321). (2) Pothier, Des obligations, no 832.

partie ne peut se prévaloir de la reconnaissance qu'elle en fait pour rendre indivisible sa déclaration sur un fait accessoire; elle doit prouver ce fait accessoire, d'après le droit commun. Dans l'espèce, l'un des héritiers occupait une maison et un jardin dépendant de la succession; cette jouissance était établie indépendamment de toute reconnaissance; l'héritier en fit l'aveu en ajoutant que cette jouissance lui avait été concédée gratuitement. Puis il se prévalut de l'indivisibilité de son aveu pour soutenir qu'il ne devait pas compte de sa jouissance. Cette singulière prétention fut admise par la cour de Colmar. L'arrêt a été cassé. Par cela seul qu'il était prouvé, indépendamment de l'aveu, que l'héritier avait joui, il devait compte des fruits par lui perçus, sauf à lui à prouver que la jouissance lui avait été concédée gratuitement; il ne pouvait pas se créer cette preuve par son aveu, car on n'avait pas besoin de sa déclaration, et on ne s'en prévalait pas pour prouver le fait de jouissance. Appliquer à ce cas le principe de l'indivisibilité de l'aveu, ce serait dire que le défendeur peut se créer une preuve par sa déclaration en faisant un aveu; ce qui n'a pas de sens (1).

La même question s'est présentée bien des fois devant la cour de cassation, et elle a toujours reçu la même solution. L'un des héritiers prétend n'avoir reçu de son père qu'une certaine somme, dont il offre le rapport à ses cohéritiers. Ceux-ci soutiennent qu'il a reçu des valeurs plus considérables, et ils le prouvent indépendamment de l'aveu. On leur a néanmoins opposé l'indivisibilité do l'aveu qui, dans l'espèce, n'était pas même complexe; le débat portait seulement sur le montant des sommes reçues: le défendeur pouvait-il se créer une preuve en déclarant qu'il avait reçu telle somme (2)?

(1) Cassation, 28 décembre 1859 (Dalloz, 1860, 1, 345). Comparez Larombière, t. V, p. 417, no 20 (Ed. B., t. III, p. 314) Aubry et Rau, t. VI, p. 344, note 32.

(2) Rejet, chambre civile, 3 juin 1867 (Dalloz, 1867, 1, 205). Comparez les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, no 5107. Il faut ajouter (nous recitons que les arrêts de la cour de cassation) Rejet, 24 avril 1866 (Dalloz, 1866, 1, 347); 20 novembre 1867 (Dalloz, 1867, 1, 448); Rejet, chambre civile, 17 mars 1869 (Dalloz, 1869, 1, 338); Rejet, 5 août 1869 (Dailoz, 1870,

IV. Des autres cas dans lesquels la jurisprudence admet la divisibilité de l'aveu.

206. L'aveu est souvent une arme dont la mauvaise foi s'empare. On fait un aveu d'un fait qu'il est difficile de nier, mais on a soin d'y ajouter un fait accessoire qui, ne faisant qu'un tout avec la déclaration principale, détruit cette déclaration, de sorte qu'il n'en résulte aucune preuve. Pour déjouer les calculs de la mauvaise foi, les tribunaux ont imaginé divers cas où l'aveu peut être divisé : lorsque l'un des faits compris dans la déclaration est reconnu faux, ou lorsqu'il est en contradiction avec des faits établis, ou lorsque la déclaration est vague et évasive. Il nous semble qu'il y a ici une confusion de deux ordres d'idées très-distincts. L'indivisibilité de l'aveu existe alors même que les déclarations seraient contraires à la vérité, dès que l'aveu est qualifié ou complexe. Mais naît alors la question de savoir en quel sens l'aveu est indivisible, c'est-à-dire quelle est la force probante de l'aveu. Il fait pleine foi, dit l'article 1356; cela veut dire que celui qui se prévaut d'un aveu doit le prendre tel que la partie adverse l'a fait; il ne peut pas admettre comme vraie la déclaration du fait principal et rejeter la déclaration accessoire qui modifie ou neutralise l'aveu. Est-ce à dire que celui qui a intérêt à se prévaloir de la déclaration. principale ne puisse pas combattre les déclarations accessoires? Ce n'est pas là diviser l'aveu. On divise l'aveu quand on rejette purement et simplement une partie de la déclaration pour s'en tenir à l'autre. On ne divise pas l'aveu quand on demande à le combattre dans l'un de ses éléments. La raison et la conscience sont d'accord avec le droit. On recherche la vérité; l'aveu spontané que fait la partie intéressée est un moyen précieux de la découvrir, mais à la condition que les déclarations soient sincères. De là suit que l'on doit permettre à la partie intéressée de rétablir la vérité si elle est altérée par des déclarations

1.84); 28 novembre 1871 (Dalloz, 1872, 1, 19). Comparez Liége, 9 février 1854 (Pasicrisie, 1857, 2, 24); Bruxelles, 21 juin 1865 (Pasicrisie, 1866, 2. 14).

mensongères. Il y aurait une contradiction immorale et illogique tout ensemble à établir comme principe que l'aveu fait foi comme déclaration de la vérité et à écarter la preuve de la fausseté de cette déclaration; ce serait dire que le mensonge fait foi quand on lui donne la couleur d'un aveu judiciaire. Le principe est admis par la doctrine et par la jurisprudence (1). Il reste à voir dans quels cas et comment on peut combattre la foi due à un aveu indivisible.

N° 9 EFFET DE L'INDIVISIBILITÉ.

207. On peut combattre les déclarations accessoires comprises dans l'aveu en vertu du droit commun, qui permet, en règle générale, de combattre une preuve par une preuve contraire. Il faudrait une disposition formelle qui défende la preuve contraire pour que le juge eût le droit de la rejeter. La loi dispose qu'aucune preuve contraire n'est admise contre certaines présomptions légales (article 1352); elle ne dit pas que l'aveu n'admet point la preuve contraire.

Quelle est la preuve contraire par laquelle l'aveu peut être combattu? La loi ne dit rien de la preuve qui peut être opposée à l'indivisibilité; on reste donc sous l'empire du droit commun. Il y a des cas dans lesquels la loi dispense la partie intéressée de toute preuve, c'est quand elle a une présomption en sa faveur. La preuve résultant de l'aveu peut donc être combattue par une présomption légale. A une demande en revendication, le défendeur oppose la prescription. Le demandeur reconnaît la possession plus que trentenaire du défendeur, mais il prétend qu'elle était à titre précaire. Est-ce que cette déclaration de précarité peut être combattue par la preuve contraire? Oui, puisque tel est le droit commun. Dans l'espèce, il y a une présomption que le possesseur peut opposer à la déclaration de précarité. Aux termes de l'article 2230, on est toujours présumé posséder pour soi

(1) Aubry et Rau, t. VI, p. 343, note 29. Marcadé, t. V, p. 228, no II de l'article 1356.

et à titre de propriétaire s'il n'est prouvé que l'on a commencé à posséder pour un autre. » Reconnaître qu'une partie a possédé, c'est donc reconnaître qu'elle a possédé à titre de propriétaire; la déclaration de précarité est contraire à cette présomption, c'est donc à celui qui l'a faite d'en administrer la preuve; le possesseur n'a rien à prouver, il a pour lui la présomption légale de l'article 2230, c'est à la partie adverse de prouver la précarité qu'elle a alléguée. Vainement se prévaudrait-elle de l'indivisibilité de son aveu; son aveu ne peut pas prouver la précarité de la possession, puisque en ce point l'aveu est en opposition avec une présomption légale (1).

Mais il y a un écueil en matière de présomptions, nous l'avons signalé plus d'une fois et nous le retrouvons quand il s'agit de combattre l'indivisibilité de l'aveu. Il n'y a pas de présomption légale sans loi. C'est ce que la cour de Colmar a oublié en jugeant qu'il y a présomption de droit que le passage avec voiture renferme le passage à pied et le passage des bestiaux; d'où elle a conclu que l'aveu du passage avec voiture impliquait la reconnaissance du droit de passer à pied et avec bestiaux; par suite elle a admis les propriétaires du fonds dominant à combattre les restrictions que le propriétaire du fonds. servant avait mises à son aveu. En droit, la cour a trèsbien jugé que l'aveu cesse d'être indivisible, pour mieux dire, que la partie de l'aveu qui est en opposition avec une présomption de droit ne fait pas preuve, qu'on peut lui opposer la présomption, de sorte que la preuve retombe sur celui qui a fait l'aveu. Mais y avait-il présomption de droit dans l'espèce? En droit romain, oui; en droit français, non. La cour aurait donc dû maintenir le principe de la force probante de l'aveu, en mettant la preuve contraire à la charge de celui qui attaquait un des éléments de l'aveu (2).

208. Quelle est cette preuve contraire? On peut prouver que celui qui a fait un aveu avec des restrictions ou

1) Rejet, 15 novembre 1842 (Dalloz, au mot Obligations, no 5107, 7o). Aubry et Rau, t. VI, p. 344, note 29.

(2) Colmar, 16 janvier 1846 (Dalloz, au mot Obligations, no 5136).

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