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des modifications a voulu tromper la justice par la fraude, le dol ou le mensonge. Les déclarations mensongères ne manquent point; il y a un vieil adage qui dit que la fraude fait exception à toutes les règles; on est toujours admis à la prouver, surtout quand la fraude s'empare de la loi elle-même pour éluder la loi et la violer. Or, c'est bien là ce que fait la partie qui, en ayant l'air d'avouer la vérité, ajoute à la vérité un mensonge, lequel détruit l'effet de la vérité; de sorte que le mensonge l'emporterait sur la vérité si l'on ne recevait pas la preuve contraire. La jurisprudence est unanime à l'admettre (1). Seulement elle a tort de dire que, dans ce cas, l'aveu est divisé : l'aveu reste indivisible, mais on permet à la partie intéressée de rétablir la vérité altérée par le mensonge.

Une veuve remet à un agent d'affaires une somme de 5,000 fr. pour en faire le placement. Demande en reddition de compte. La demanderesse déclare avoir reçu l'intérêt de la somme pendant trois ans. Après plusieurs réponses évasives, le défendeur déclare qu'il n'a fait aucun payement d'intérêts. Le tribunal ayant ordonné une comparution en personne, le défendeur avoue avoir reçu les 5,000 fr., mais il déclare les avoir placés et avoir remis à son mandant les effets endossés par l'emprunteur. Il avoue encore avoir payé les intérêts, mais, en homme qui connaît la loi, il ajoute immédiatement qu'il les a payés au nom de l'endosseur. Ledit endosseur était mort et le défendeur avait oublié le nom du tireur. Telle était la fable. Le tribunal en fit justice, en déclarant que la défense était un tissu de mensonges, de dol et de fraude, et que le dol fait exception aux règles les plus rigoureuses. En conséquence, il divisa l'aveu et condamna le défendeur à restituer la somme de 5,000 francs (2).

La cour de cassation pose en principe que l'aveu peut être divisé lorsqu'une partie en est reconnue fausse (3).

(1) Dalioz, au mot Obligations, no 5138.

(2) Agen, 16 décembre 1823 (Dalloz, au mot Obligations, no 5138, 2o). Comparez Gand, 19 janvier 1841 (Pasicrisie, 1841, 2, 75), et 18 avril 1856 (Pasicrisie, 1856, 2, 224).

(3) Rejet, 8 février 1864 (Dalloz, 1864, 1, 486).

Elle ne motive pas cette exception, et il serait très-difficile de la motiver, à moins d'invoquer l'adage d'après lequel le dol fait exception à toutes les règles. Il est plus simple de dire que l'on ne se trouve pas dans la règle, en ce sens que la partie fausse de l'aveu peut être combattue par la preuve contraire. On se place, dans ce cas, sous l'empire du droit commun; or, le droit commun est plus favorable que les exceptions, que l'on peut toujours combattre comme n'étant pas consacrées par la loi. Dans un autre arrêt, la cour dit que le principe de l'indivisibilité de l'aveu ne trouve point place dans la cause, parce que les juges du fond ont tiré la preuve de la simulation non d'une déclaration unique et indivisible, mais de l'invraisemblance, des contradictions et de la fausseté des déclarations successives et différentes contenues dans les conclusions de celui qui avait fait l'aveu et dans ses explications lors de sa comparution personnelle (1). Cette justification se rapproche de la nôtre. Toutes aboutissent au même résultat, c'est que la partie qui ment ne peut pas invoquer son mensonge à titre de vérité.

209. On admettait dans l'ancien droit que l'aveu cessait d'être indivisible lorsqu'une partie de l'aveu se trouvait contredite par sa propre invraisemblance (2). Ainsi formulée, la prétendue exception doit être rejetée sans doute aucun. Quand la déclaration accessoire que la partie ajoute à l'aveu est invraisemblable, elle est par cela même suspecte, et l'on conçoit que le juge soit tenté de la rejeter comme n'étant pas l'expression de la vérité. Mais il doit se rappeler que le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable; d'ailleurs il n'a pas le droit d'écarter une preuve qui fait pleine foi, parce qu'il la trouve suspecte. Cette exception détruirait la règle; on ne pourrait plus dire que l'aveu est indivisible, puisque le juge aurait le pouvoir de le diviser dès qu'il lui paraîtrait suspect. Dans notre opinion, l'invraisemblance, de même que la fausseté d'une partie de la déclaration, n'empêche pas

(1) Rejet, 22 novembre 1869 (Dalloz, 1870, 1, 273).

(2) Merlin, Questions de droit, au mot Confession, § II.

l'aveu d'être indivisible; seulement la partie qui s'en prévaut est admise à combattre la déclaration accessoire comme n'étant pas conforme à la vérité. Un des moyens qu'elle pourra faire valoir, c'est l'invraisemblance, si, à raison de l'objet de la demande, les présomptions sont admissibles, car l'invraisemblance n'est autre chose qu'une présomption de l'homme. Elle peut devenir un argument très-fort si l'invraisemblance va jusqu'à l'absurdité, c'est-à-dire jusqu'à l'impossibilité morale. La jurisprudence est en ce sens.

Sur l'action en payement du prix de vente d'un cheval, le défendeur avoue la vente au prix demandé, mais il ajoute que cette vente n'a eu lieu qu'à l'essai. Nous avons dit que cet aveu est indivisible (n° 189); la déclaration accessoire peut-elle être attaquée comme inexacte et fausse? Oui, mais suffit-il de dire qu'elle est invraisemblable? Le premier juge avait posé en principe que l'aveu n'est indivisible que lorsqu'il ne renferme pas d'invraisemblance. En fait, il lui parut invraisemblable que la vente eût été contractée à l'essai sans que l'on eût fixé un délai pendant lequel l'essai aurait lieu; il rejeta, en conséquence, la partie de l'aveu relative à l'essai, pour ne conserver que celle d'où résultait qu'il y avait eu vente. Sur le pourvoi, ce jugement a été cassé. En admettant, dit la cour, que la règle de l'indivisibilité puisse recevoir une exception au cas où la partie contestée de l'aveu porterait en elle des caractères d'invraisemblance d'une telle nature que cette invraisemblance ne pût être assimilée à une véritable impossibilité, du moins faut-il restreindre l'exception dans cette limite, sans qu'il puisse être permis de subordonner les effets légaux de l'indivisibilité de l'aveu à l'appréciation du juge fondée sur une simple invraisemblance (1).

210. On a encore posé en principe que l'indivisibilité de l'aveu ne peut être invoquée lorsque, des déclarations qui constituent cet aveu, l'une est précise et formelle et l'autre vague et incertaine. A vrai dire, il ne s'agit pas,

(1) Cassation, 19 avril 1858 (Dalloz, 1858, 1, 153). Comparez Cassation, 14 avril 1852 (Dalloz, 1852, 1, 141).

dans ce cas, d'une exception à l'indivisibilité de l'aveu; il s'agit d'interpréter l'aveu et de décider si la partie de la déclaration qui est vague et incertaine doit être considérée comme un aveu. Or, l'aveu est de son essence une déclaration formelle du fait allégué: il est contradictoire qu'une déclaration incertaine fasse pleine foi. Lors donc qu'une partie fait une déclaration accessoire qui modifie ou neutralise la déclaration principale, le juge peut, par voie d'interprétation, décider que la déclaration accessoire, à raison de son incertitude, n'est pas un aveu.

La cour d'Angers l'a jugé ainsi dans l'espèce suivante (1). Un contrat de mariage porte que la future fait un apport de 6,000 francs, montant de ses économies. Un enfant d'un premier lit soutient que cet apport est une donation déguisée au profit de la seconde femme. Celle-ci avoua, dans un interrogatoire sur faits et articles, qu'elle n'avait pas d'économies en se mariant, puis elle déclara, sans vouloir l'affirmer, que, dans sa conviction, les 6,000 francs faisaient partie de sa dot et avaient été payés avec les 4,000 francs que le contrat lui constituait en dot. Il a été jugé, et avec raison, que cette déclaration accessoire n'était pas un aveu; l'aveu est la déclaration d'un fait et non de l'opinion de la partie. A plus forte raison ne peut-on pas considérer comme un aveu des déclarations purement verbales, produites dans une plaidoirie, qui viennent modifier l'aveu de l'existence de la dette, alors que ces déclarations ne précisent pas le fait d'où serait résultée la réduction de la dette (2). C'est encore là une question d'interprétation de l'aveu, ce n'est pas une exception à l'indivisibilité de l'aveu; pour que, par exception, l'aveu soit divisible, il faut, avant tout, qu'il y ait un aveu comprenant plusieurs déclarations; si une partie de la déclaration ne présente pas les caractères d'un aveu, il ne peut plus être question d'indivisibilité.

211. Celui qui se prévaut de l'aveu est admis à combattre la partie de la déclaration qu'il prétend être

(1) Angers, 15 mars 1865 (Dalloz, 1865, 2, 210).
(2) Bordeaux, 30 août 1870 (Dalloz, 1871, 2, 215).

inexacte. Reste à savoir comment se fera cette preuve. Elle se fait d'après le droit commun, puisque la loi n'y déroge point. La question est de savoir si la preuve testimoniale et, par suite, les présomptions sont admises pour combattre l'indivisibilité de l'aveu. Oui, si le fait principal peut être prouvé par témoins. Telle serait une contestation sur un dépôt fait dans une hôtellerie : l'hôtelier reconnaît le dépôt, mais il allègue qu'il a remis les choses déposées à un tiers indiqué pour les recevoir; le déposant sera admis à prouver par témoins que cette remise n'a pas été faite. La cour de Paris l'a jugé ainsi dans un arrêt assez mal motivé (1). On y lit que dans le cas de l'article 1348, l'article 1356 n'est point applicable; de sorte que l'aveu cesserait d'être indivisible dans tous les cas où le créancier n'a pu se procurer une preuve littérale. Ce n'est pas là ce que la cour a voulu dire. L'indivisibilité n'a rien de commun avec les règles qui régissent la preuve testimoniale, sinon que la déclaration. accessoire de l'aveu peut être combattue par des témoignages lorsqu'il s'agit d'un fait qui est susceptible d'être établi par témoins. S'il s'agissait d'un dépôt ordinaire, la preuve testimoniale ne serait pas admissible pour combattre l'un des éléments de l'aveu (2).

212. On a essayé d'arriver à la division de l'aveu par le moyen de la preuve. La déclaration principale contient l'aveu d'un mandat d'acheter un immeuble; mais le mandataire ajoute qu'il n'avait mission d'acheter qu'à condition que le prix ne dépasserait pas certaine somme; cette limite ayant été dépassée par d'autres enchères, le mandataire avait enchéri pour son propre compte. Le mandant prétendit que la première partie de l'aveu était un commencement de preuve par écrit qui lui permettait de recourir à la preuve testimoniale pour combattre la restriction alléguée dans la seconde. Cette prétention a été rejetée par la cour de cassation. Il n'était pas contesté, dans l'espèce, que l'aveu fût indivisible; dès lors les deux

(1) Paris, 6 avril 1829 (Dalloz, au mot Dépôt, no 179, 2o).

(2) Rejet, 10 janvier 1832 (Dalloz, au mot Dépôt, no 180). Aubry et Rau, t. VI, p. 344, notes 30 et 31.

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