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parties de l'aveu faisant également foi, ce serait scinder l'aveu que de tirer d'une partie de l'aveu une preuve complète contre l'autre partie du même aveu; on ne peut pas davantage en tirer une preuve incomplète; ce serait toujours le scinder, ce qui est contraire à l'indivisibilité de l'aveu (1). La jurisprudence s'est prononcée en ce sens, sauf un arrêt contraire de la cour de Grenoble dont on ne peut tenir aucun compte, puisqu'il ne donne aucân motif (2).

No 10. DE L'INTERPRÉTATION DE L'AVEU.

213. L'aveu est une preuve; le juge a donc le droit de l'interpréter, comme il peut interpréter toute espèce de preuve, même la plus forte, celle qui résulte de l'acte authentique. Ce pouvoir d'interprétation n'est pas sans danger en matière d'aveu; le juge peut, sous prétexte d'interpréter l'aveu, le diviser. Le même danger existe pour toute interprétation. L'acte authentique fait pleine foi, comme l'aveu; le juge a néanmoins le droit et le devoir de l'interpréter, au risque de porter atteinte à la force probante de l'acte. Il y aura toujours la garantie d'un recours en cassation quand le juge, sous prétexte d'interpréter l'aveu, viole la loi qui le déclare indivi

sible.

214. Nous avons déjà donné des exemples d'interprétation (n° 209 et 210) qui en prouvent la nécessité. Il y a des conditions requises pour qu'il y ait aveu; le premier devoir du juge est de constater s'il y a aveu, et aveu judiciaire. Quand une partie pose des faits pour faire une preuve qui lui incombe, en faut-il induire que ces faits sont reconnus par elle et que cette reconnaissance constitue un aveu? La cour de Bruxelles a jugé, avec raison, que poser des faits, ce n'est pas faire une confession d'où

(1) Cassation, 14 avril 1852 (Dalloz, 1852, 1, 141).

(2) Cassation, 25 avril 1853 (Dalloz, 1853, 1, 165). Bordeaux, 18 juin 1839 (Dalloz, au mot Obligations, no 5114, 8°). En sens contraire, Grenoble, 13 mars 1834 (Dalloz, au mot Obligations, no 5129). Comparez Cassation, 8 avril 1874 (Dalloz, 1874, 1, 231)

résulterait une preuve et que, par suite, il n'y a pas lieu d'appliquer les principes qui régissent l'aveu (1).

Le débat porte sur la question de savoir si un acte attaqué contient une donation déguisée. Devant le tribunal de première instance, le défendeur invoque de nombreuses autorités pour établir qu'une donation déguisée sous la forme d'un contrat à titrè onéreux est valable lorsque le donateur a la libre disposition de ses biens. Jugement qui reconnaît la validité de la donation. En appel, et pour combattre ses adversaires, le donataire soutient que l'acte serait encore valable si on le considérait comme vente. La cour lui donne gain de cause. Pourvoi en cassation; on prétend qu'il y avait aveu que l'acte n'était pas une donation et que la cour n'a pas tenu compte de cet aveu. Y avait-il aveu? La négative est si évidente, que l'on s'étonne de voir de pareils moyens proposés devant la cour suprême. Est-ce qu'une partie n'a pas le droit d'employer plusieurs moyens de défense? ne peut-elle pas, tout en soutenant que l'acte vaut comme donation déguisée, soutenir que cet acte serait valable comme vente si le juge n'y voulait pas voir une donation? Inutile d'insister (2).

215. Lorsqu'il est reconnu qu'il y a aveu, il appartient encore au juge de déterminer les conséquences juridiques qui en résultent. Il arrive parfois que l'aveu contient une déclaration de l'effet que l'aveu doit produire dans l'intention de celui de qui il émane. Le juge estil lié par cette appréciation? On l'a soutenu devant la cour de cassation de Belgique; il n'est pas étonnant que, sur de pareils pourvois, la cour ne prononce presque jamais que des arrêts de rejet. Dans l'espèce, la cour répond qu'il n'y a aucun lien d'indivisibilité entre le fait dont une partie reconnaît l'existence et les inductions qu'elle en tire; que le juge a donc toujours le droit, lorsqu'il tient pour vrai le fait avoué, d'en déterminer les

(1) Bruxelles, 5 décembre 1827 (Pasicrisie, 1827, p. 333). Comparez Gand, 28 avril 1846 (Pasicrisie, 1850, p. 98).

(2) Rejet, cour de cassation de Belgique, 6 mai 1853 (Pasicrisie, 1853, 1, 336.)

conséquences juridiques, sans tenir compte du but que l'aveu devait atteindre dans la pensée de son auteur (1).

A plus forte raison en est-il ainsi de l'appréciation qu'une partie fait de l'aveu. Il faut distinguer dans un aveu la déclaration et le fait litigieux. C'est l'aveu proprement dit qui fait pleine foi, le juge ne peut pas le diviser; mais si la partie a ajouté à sa déclaration un jugement sur le caractère, sur la nature des obligations, sur les effets juridiques de l'aveu, elle a empiété sur l'office du juge; lui seul a mission d'apprécier les faits et de décider en conséquence, il peut donc juger que la partie s'est trompée sur la portée qu'elle a attribuée à ses déclarations; il ne viole pas par là le principe de l'indivisibilité de l'aveu, car il prend les faits tels qu'ils sont constatés par l'aveu (2).

216. Il appartient encore au juge d'interpréter l'aveu en déterminant le sens et la portée des déclarations que la partie a faites en justice. Les parties intéressées soutiennent régulièrement que le juge, en interprétant l'aveu, le divise; en fait, cela peut arriver, mais, en droit, il est incontestable que si la loi défend aux juges de scinder les aveux des parties, elle leur impose l'obligation d'en fixer le sens véritable en le coordonnant avec les autres éléments, faits et circonstances de la cause (3).

Les questions d'interprétation sont des questions de fait dont la décision est nécessairement subordonnée aux circonstances de la cause, et ces circonstances varient d'une espèce à l'autre. Nous nous bornons à citer un exemple. L'aveu est conçu en termes généraux, le juge peut le limiter en se fondant sur la nature de la convention qui a donné lieu au procès. Il s'agit d'un débat entre associés, après la rupture de l'association. L'un se prétend créancier d'une somme de 764 fr., l'autre soutient qu'il y a une erreur de 411 fr. Devant le tribunal de commerce, le premier reconnaît l'erreur, et fait une demande

(1) Rejet, 11 mars 1870 (Pasicrisie, 1870, 1, 187).

(2) Gand, 11 avril 1872 (Pasicrisie, 1872, 2,310). Bruxelles, 24 mars 1830 (Pasicrisie, 1830, p. 82).

(3) Rejet, 25 janvier 1821 (Dalloz, au mot Commerçant, no 191).

reconventionnelle avec laquelle il entend compenser ladite somme de 411 fr. Le tribunal déduisit les 411 fr. de ce qui était dû au demandeur, en se fondant sur l'aveu. Sur l'appel, la cour modifia la décision en ce sens que l'aveu de l'erreur matérielle de 411 fr. devait être interprété dans la limite des droits respectifs des associés, c'est-à-dire que, quoique fait en termes absolus, l'aveu ne portait que sur la moitié de la somme, chacun des associés ne pouvant réclamer que la moitié de l'avoir social. Sur le pourvoi, il intervint un arrêt de rejet (1).

§ III. De l'aveu extrajudiciaire.

217. L'aveu extrajudiciaire est celui qui se fait hors justice. Il peut se faire par écrit ou oralement. L'aveu extrajudiciaire qu'une partie fait par écrit ne doit pas être confondu avec la preuve littérale; les actes sous seing privé ou les actes authentiques qui constatent la convention ne sont pas un aveu, ils prouvent la convention, d'après les règles que nous avons exposées, jusqu'à inscription de faux ou jusqu'à preuve contraire. L'aveu suppose qu'il n'y a pas d'écrit dressé; c'est une preuve qui supplée le défaut des autres preuves. Il y a aveu extrajudiciaire, dit Pothier, quand une partie fait confession de la dette par une lettre missive, ou dans quelque acte qui n'a pas eu pour objet de constater le fait litigieux (2).

L'aveu extrajudiciaire peut se faire oralement. Aux termes de l'article 1355, «l'allégation d'un aveu extrajudiciaire purement verbal est inutile toutes les fois qu'il s'agit d'une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible. » C'est une conséquence des principes qui régissent la preuve testimoniale; la loi ne l'admet point quand il s'agit de choses excédant la valeur de 150 fr.; dès lors elle ne pouvait pas admettre l'aveu verbal, puisqu'il aurait dû être établi par témoins, et, au

(1) Rejet, 27 novembre 1838 (Dalloz, au mot Arbitrage, no 169). Comparez Bruxelles, 14 février 1820 (Pasicrisie, 1820, p. 58). Rejet, chambre civile, 26 août 1863 (Dalloz, 1863, 1, 355).

(2) Pothier, Des obligations, no 834.

delà de cette somme, la loi n'ajoute plus foi aux témoignages. En ce sens, l'article 1355 dit qu'il est inutile d'alléguer un aveu verbal, puisque la preuve n'en serait pas reçue. Il en faut conclure que l'aveu verbal peut être prouvé par témoins quand la loi admet la preuve testimoniale pour établir le fait qui est l'objet de l'aveu. Si le fait ne peut être prouvé par témoins, l'aveu ne pourra être allégué. De là ou induit que l'on ne peut pas déférer le serment sur la question de savoir si la partie a fait un aveu extrajudiciaire. La cour de Bruxelles l'a jugé ainsi (1), mais la décision nous paraît contestable. Tout ce qui résulte de l'article 1355, c'est que l'aveu extrajudiciaire ne peut pas être établi par témoins dans le cas où la valeur de la chose dépasse 150 fr.; mais rien n'empêche de prouver l'aveu par les autres voies légales de preuve, donc aussi par serment.

218. Quelle est la force probante de l'aveu extrajudiciaire? Le code n'en dit rien, et l'on ne voit pas, par les travaux préparatoires, quelle est la raison de ce silence, On en a conclu que le législateur s'en est rapporté, à cet égard, aux tribunaux, de sorte que le juge aurait en cette matière un pouvoir discrétionnaire. Il est discrétionnaire en ce sens que les décisions des juges du fait ne donnent pas lieu à cassation; il n'y a point de loi violée, puisque la loi est muette. Toutefois, il doit y avoir des principes d'après lesquels le juge décidera la contestation. Nous croyons qu'il faut distinguer entre l'aveu écrit et l'aveu verbal. L'écrit qui constate un aveu est soumis aux règles générales sur la preuve littérale. Quant à l'aveu verbal, il repose sur des témoignages dans les cas où la preuve testimoniale est admissible; or, le juge est toujours libre d'apprécier les témoignages et, par suite, l'aveu (2).

219. L'article 1356 dit que l'aveu judiciaire fait pleine foi. En est-il de même de l'aveu extrajudiciaire? Dans son essence, l'aveu extrajudiciaire ne diffère point de l'aveu

(1) Bruxelles, 7 février 1827 (Pasicrisie, 1827, p. 33).

(2) Aubry et Rau, t. VI, p. 344. Larombière, t. V, p. 393, no 6 (Ed. B., t. III, p. 304).

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