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Judiciaire c'est la déclaration d'un fait émanée de celui qui est intéressé à le nier; pourquoi cette déclaration ne ferait-elle pas foi quand elle a lieu hors justice, aussi bien que lorsqu'elle a lieu en justice? On dit que, faite hors justice, elle est moins sérieuse et mérite, par conséquent, moins de foi. Il nous semble que l'objection ne rencontre pas la véritable difficulté. Si l'on suppose que l'aveu extrajudiciaire n'est pas sérieux, alors il n'y a point d'aveu, car l'aveu doit être sérieux, de même que toute manifestation de consentement ou toute convention, et lorsqu'il est sérieux, c'est la déclaration de la vérité; donc il doit faire pleine foi. Reste à savoir quand il est sérieux, c'està-dire quand la déclaration est faite avec cette intention qu'elle serve de preuve à la partie adverse. Toute question d'intention est dans le domaine du juge qui la décide souverainement. En ce sens, le juge a un pouvoir discrétionnaire; il peut donc admettre le fait avoué hors justice comme étant établi par l'aveu, il peut aussi le rejeter comme n'étant pas justifié (1).

220. L'aveu judiciaire ne peut être révoqué, à moins qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. En est-il de même de l'aveu extrajudiciaire? On enseigne que l'aveu extrajudiciaire peut être rétracté, sans que la partie qui le révoque soit tenue de prouver qu'elle l'avait fait par une erreur de fait (2). Cela nous paraît très-douteux. Si l'aveu n'est pas sérieux, il pourra être rétracté, parce qu'une pareille déclaration ne fait pas foi. Mais si elle est sérieuse, elle donne un droit à la partie adverse, et nous ne voyons pas par quelle raison ce droit pourrait lui être enlevé. La jurisprudence admet l'irrévocabilité de l'aveu extrajudiciaire quand il est fait par écrit (3); or, l'écrit n'ajoute rien à la force probante de l'aveu.

221. On enseigne aussi que le juge peut diviser l'aveu

(1) Toullier, t. V, 2, p. 233, no 267, et p. 250, no 302. Duranton, t. XIII, p. 530, no 540. Aubry et Rau, t. VI, p. 345. Colmet de Santerre, t. V, p.643, no 332 bis III.

(2) Aubry et Rau, t VI, p. 345. Larombière, t. V, p. 427, no 31 (Ed. B., t. III, p. 319).

(3) Rejet, 17 mai 1008 (Dalloz, no 5161). Bruxelles, 29 janvier 1825 Pasirisie, 1825, p. 287).

extrajudiciaire (1), et la jurisprudence est en ce sens. Il a été jugé que la réponse à cette question, si l'on a reçu telle somme à titre de prêt, qu'on l'a reçue, mais à titre de donation, ne forme pas un aveu indivisible; la cour établit, du reste, que les circonstances rendaient la prétendue donation invraisemblable. La cour de cassation a décidé que l'aveu extrajudiciaire, quoique fait par écrit, peut être divisé (2). On l'a encore jugé ainsi pour un aveu fait devant un notaire (3). Il est difficile d'apprécier des décisions rendues en fait et non motivées en droit. Les raisons que les auteurs donnent ne sont rien moins que décisives. Ils considèrent les dispositions de l'article 1356 comme exceptionnelles, ce qui ne permet pas de les appliquer par analogie. A notre avis, l'indivisibilité de l'aveu résulte de l'essence même de l'aveu, et, par conséquent, tout aveu est indivisible. Si la loi ne le dit que de l'aveu judiciaire, c'est parce que cet aveu, par lui-même, est sérieux; tandis que l'aveu fait hors justice peut ne pas l'être; voilà la question de fait qui est abandonnée à l'appréciation du juge (n° 219). Mais une fois que le juge a décidé qu'il y a aveu, il doit aussi admettre que l'aveu ne peut être divisé (4).

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No 1. LE SERMENT EST-IL un acte RELIGIEUX?

222. Pothier définit le serment un acte religieux par lequel une personne déclare qu'elle se soumet à la vengeance de Dieu, ou qu'elle renonce à sa miséricorde, si elle n'accomplit pas ce qu'elle a promis; c'est ce qui ré

(1) Toullier, t. V, 2, p. 276, no 340. Aubry et Rau, t. VI, p. 345, note 54. Larombière, t. V, p. 419, no 23 (Ed. B., t. III, p. 316). Comparez Merlin, Questions, au mot Confession, §§ III et IV.

(2) Bordeaux, 28 août 1826, et Rejet, 10 décembre 1839 (Dalloz, au mot Obligations, no 5160, 2o et 3o).

(3) Limoges, 20 mars 1848 (Dalloz, 1849, 2, 219).

(4) Bruxelles, chambre de cassation, 28 janvier 1824 (Pasicrisie, 1824,

p. 24).

sulte de cette formule: Ainsi Dieu me soit en garde, ou en aide : Je veux que Dieu me punisse si je manque à ma parole (1). La question de savoir si le serment est un acte religieux a été vivement débattue devant les cours de Belgique il y a quelques années. Avant de l'examiner au point de vue de notre constitution, nous devons voir s'il est vrai que le serment soit un acte religieux de son essence. D'excellents esprits le pensent. Les éditeurs de Zachariæ vont jusqu'à dire que le serment, considéré comme une simple déclaration civile, serait un non-sens(2). Telle est aussi la thèse qui a été soutenue devant la cour de cassation par le procureur général, M. Leclercq, dans un réquisitoire remarquable (3). Nous ne saurions partager cet avis. C'est la doctrine chrétienne, mais il y a eu un serment avant le christianisme. Il faut entendre Cicéron sur la valeur morale du serment; nous nous trompons fort, ou l'opinion du philosophe païen est plus morale en ce point que la doctrine de l'Eglise.

« Ce qu'il faut voir dans le serment, dit Cicéron, c'est la force qu'il a, ce n'est pas la crainte qu'il inspire. Car le serment est une affirmation religieuse. Or, ce que vous avez promis par une semblable affirmation, en prenant, pour ainsi dire, Dieu à témoin, vous devez le tenir. Que la colère des dieux soit un vain mot, soit; mais il est ici question de justice et de bonne foi. Ennius a fort bien dit: "O Foi, déesse aux blanches ailes, serment de Jupiter!» Celui-là donc qui viole son serment, viole la Foi que nos ancêtres placèrent dans le Capitole, à côté du Dieu très-bon et très-grand (4).

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Cicéron dit, comme Pothier, que le serment est une affirmation religieuse; ils semblent donc d'accord, et cependant ils diffèrent du tout au tout. Ce que Cicéron appelle une affirmation religieuse est une affirmation morale qui puise son autorité et qui trouve sa sanction dans la conscience; il écarte la crainte que pourrait inspirer

(1) Pothier, Des obligations, no 103.

(2) Aubry et Rau, t VI, p. 345 notes, § 752 (3o édition).

(3) Voyez le réquisitoire dans la Pasicrisie, 1867, 1, p. 278 293. (4) Cicero, De officiis, III, 29.

la colère des dieux, tandis que c'est dans la crainte de la vengeance divine que Pothier cherche le fondement et la force de ce qu'il appelle un acte religieux. La religion de Pothier, c'est la religion de la crainte; la religion de Cicéron, c'est le sens moral, le sentiment du devoir, indépendant de toute peine et de toute récompense. Quel est l'homme vraiment moral, celui qui dit la vérité parce qu'il craint la vengeance de Dieu, ou parce qu'il compte sur les récompenses éternelles, ou celui qui dit la vérité sans craindre la colère de Dieu et sans spéculer sur sa miséricorde? Nous disons que le chrétien, comme Pothier, spécule; il dit la vérité et il garde sa promesse par un calcul qu'il croit très-profitable: il échappe à l'enfer et il gagne le paradis. Excellente spéculation, s'il y a un enfer et s'il y a un paradis. Mais le jour vient où les hommes ne croient plus ni aux peines ni aux récompenses éternelles. Que deviennent alors ces spéculateurs en morale? Ils se parjurent sans le moindre scrupule de conscience, car on ne leur a jamais appris à écouter leur conscience, et ils ne craignent plus l'enfer et ils n'espèrent plus le ciel. Qu'arrive-t-il? La morale s'en va avec la superstition, car la morale n'était rien que superstition. Voilà comment il se fait qu'il y a presque autant de parjures que de serments devant les tribunaux criminels, et qu'en matière civile on se garde bien de faire appel à la conscience de la partie adverse. Le serment reprendra sa force quand on apprendra aux hommes qu'ils ont des devoirs à remplir et qu'ils doivent les remplir indépendamment de toute peine et de toute récompense; la vengeance de Dieu et sa miséricorde, comme le dit Pothier, vicie la morale dans son essence, parce qu'elle la transforme en spéculation.

223. L'opinion contraire est professée par tous les auteurs, elle est consacrée par la jurisprudence. Il faut donc voir à quelles conséquences elle conduit. Une première question s'est présentée en France et en Belgique. Il y a des sectes chrétiennes qui, se fondant sur une parole de l'Evangile, refusent de prêter un serment avec invocation de la Divinité. Ce sont les anabaptistes et les quakers ils affirment, c'est-à-dire qu'ils disent oui ou

non, ils ne jurent point. Doit-on recevoir leur affirmation et vaudra-t-elle comme serment? L'affirmative a été jugée par les cours de Belgique et de France (1). Qu'est-ce que cette affirmation faite en justice sans invocation de la Divinité? Ce n'est pas un serment religieux, dans le sens de Pothier; c'est un acte moral, dans le sens de Cicéron. Elle n'a plus pour sanction les peines de l'enfer, elle a pour sanction les peines portées par le code pénal. Les témoignages des quakers, cités par Merlin, ne laissent aucun doute sur ce point. Guillaume Penn, dans son Histoire de la société des quakers, après avoir exposé que la simple affirmation est beaucoup plus en harmonie que le serment avec la pureté de l'Evangile, ajoute : « Mais en même temps les quakers consentent, s'ils disent une fausseté, à être punis aussi sévèrement que les autres le sont pour un parjure. » Le 10 février 1791, une députation des quakers français se présenta devant l'assemblée nationale et demanda qu'ils fussent, entre autres choses, dispensés du serment. « Vous savez, dit l'orateur, que la formule du serment n'ajoute rien à la bonne foi et à la probité; ce n'est qu'une manière particulière de faire une déclaration, c'est une langue particulière. Nous espérons que vous voudrez bien nous entendre dans la nôtre, elle est de Jésus-Christ. Mirabeau présidait l'assemblée, il répondit: Le corps législatif discutera si une déclaration dont la fausseté serait soumise aux peines établies contre les faux témoins et les parjures ne serait pas un véritable serment... Vous ne prenez pas Dieu à témoin, mais vous attestez votre conscience; et une conscience pure n'est-elle pas un ciel sans nuages? Cette partie de l'homme n'est-elle pas un rayon de la Divinité (1)? »

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Voilà ce que devient le serment sans invocation de la Divinité. C'est, si l'on veut, une affirmation religieuse, puisque la religion, dans son essence, se confond avec la morale. Mais ce n'est plus un acte religieux dans le sens

(1) Rejet de la cour de cassation de Belgique, 28 juillet 1857 (Pasicrisie, 1857, 1, 376). Voyez la jurisprudence française dans le Répertoire de Dalloz, au mot Serment, no 24. et le réquisitoire de Merlin, dans ses Questions de droit, au mot Serment, § ler.

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