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18. Tel est le principe, Lorsque le jugement est en premier ressort, l'appel anéantit l'espèce d'autorité qui y est attachée, et, par suite, l'espèce de présomption de vérité qui en résulte s'évanouit. Que faut-il décider si l'appel est partiel? Les chefs du jugement rendu par le premier juge acquerront, dans ce cas, l'autorité de chose jugée à l'égard de la partie adverse qui n'a point interjeté d'appel incident. La cour de cassation a fait une application du principe. Un jugement condamne une personne, en qualité d'héritier de Pierre, à payer telle somme à Paul, créancier du défunt. La partie condamnée interjette appel et le créancier néglige d'interjeter appel incident du jugement relativement à l'attribution de la qualité d'héritier, il ne pourra plus soutenir que la partie condamnée n'était point héritier de son débiteur, il y a chose jugée à cet egard (1). De même s'il y a plusieurs parties demanderesses ou défenderesses et qu'il n'y ait appel qu'à l'égard de l'une des parties avec lesquelles il a été rendu, il aura l'autorité de chose jugée à l'égard des autres parties (2).

Lorsque le premier jugement est infirmé par la cour d'appel, il perd toute sa force et il ne peut plus être question de chose jugée; l'espèce de présomption qui y était attachée provisoirement a déjà perdu sa force par l'appel et elle la perd définitivement par la réformation de la décision du premier juge.

19. L'application du principe aux jugements par défaut donne lieu à quelques légères difficultés. On suppose que le demandeur fait défaut; aux termes de l'article 434(C. de pr.), le tribunal donne défaut contre le demandeur et renvoie le défendeur de la demande. Est-ce que, dans ce cas, le demandeur peut former une nouvelle demande ayant le même objet? On a prétendu que le jugement par défaut prononcé contre le demandeur était un simple renvoi de la citation qui ne préjugeait rien et laissait au demandeur la faculté de reproduire sa demande dans une instance

n° 2 (Ed. B., t. III, p. 228). Comparez Marcadé, t. V, p. 163, no I de l'article 1351).

(1) Cassation, 2 mai 1808 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 55).

(2) Cassation, 30 novembre 1825 (Dalloz, au mt Chose jugée, no 57).

nouvelle. La jurisprudence a repoussé cette interprétation. Il est vrai que l'article 434, en parlant du défaut donné contre le défendeur, dit que les conclusions du demandeur seront adjugées si elles se trouvent justes et bien vérifiées, et la loi ne dit pas que le juge doit vérifier le droit du défendeur lorsque le demandeur fait défaut. Mais cela n'empêche pas que le jugement par défaut ne décide que le demandeur est sans droit; c'est à lui d'établir le fondement et la légitimité de sa demande; s'il ne le fait pas, il est prouvé par cela même qu'il n'a pas de droit. Cela est aussi fondé en raison; le prétendu créancier ne doit pas se faire un jeu de la justice au préjudice de celui contre lequel il prétend avoir un droit; s'il lui était permis de renouveler sa demande, il pourrait poursuivre sans cesse la partie adverse, ce qui nuirait au crédit du défendeur et l'exposerait à des frais frustratoires. Le demandeur n'a pas à se plaindre de ce que le jugement rendu contre lui passe en force de chose jugée, sans qu'il ait été à même de soutenir son droit, car il dépendait de lui de former opposition (1).

Il en serait de même de l'arrêt que la cour d'appel rend par défaut contre l'appelant. On a soutenu que le seul effet de l'arrêt par defaut était de faire considérer l'appel comme non avenu, sauf à l'appelant à former un nouvel appel s'il se trouve encore dans le délai légal. La cour de Poitiers a appliqué, et avec raison, au défaut en appel les principes qui régissent le défaut en première instance. Ce n'est pas un simple renvoi, c'est une décision judiciaire qui déclare l'appelant sans droit; si donc il n'y a pas d'opposition, le procès est terminé, le jugement attaqué devient définitif et acquiert l'autorité de chose jugée (2).

Lorsqu'il y a eu opposition régulière contre un jugement par défaut, le jugement perd toute autorité; le juge peut donc, quand il rend sa décision, juger en sens contraire. On a prétendu que cette contradiction était une

(1) Chambéry, 12 janvier 1863 (Dalloz, 1864, 2, 43). Metz, 1er août 1855 et Douai, 20 janvier 1855 (Dalloz, 18:6, 2, 281 et 282).

(2) Poitiers, 26 novembre 1856 (Dalloz, 1837, 2, 162).

violation de la chose jugée. La cour de cassation répond, et la réponse est péremptoire, qu'il ne saurait y avoir de violation de la chose jugée là où il n'y a point de chose jugée, et il n'y a point de chose jugée là où il n'y a point de jugement (1).

20. Les voies de recours extraordinaire ne font point obstacle à la chose jugée. Il est de principe que le pourvoi en cassation n'est pas suspensif en matière civile; d'où suit que le jugement ou l'arrêt contre lequel il est formé n'en a pas moins l'autorité de chose jugée (2). La cour de cassation a tiré de là une conséquence très-intéressante. Un jugement en dernier ressort est attaqué par le recours en cassation; avant que la cour ait statué, il intervient un second jugement qui viole la chose jugée par le premier, puis la cour de cassation annule le premier jugement; le second n'en doit pas moins être cassé, car, au moment où il a été rendu, il existait un jugement ayant l'autorité de chose jugée malgré le pourvoi dont il était frappé; donc ce jugement devait être cassé, sinon on donnerait un effet suspensif au pourvoi en cassation (3).

Cependant c'est aller trop loin que de dire, comme le fait Pothier, qu'un jugement en dernier ressort et contradictoire a une autorité de chose jugée stable et perpétuelle. En effet, la décision peut être cassée et, dans ce cas, elle est censée n'avoir jamais existé; donc il n'y a jamais eu de chose jugée. La cour de cassation peut casser le jugement ou l'arrêt pour le tout, elle peut aussi ne le casser que sur un ou plusieurs chefs et rejeter le pourvoi quant aux autres. Dans le dernier cas, la chose jugée subsiste et devient irrévocable pour les chefs rejetés par la cour. Dans le premier cas, la décision cassée perd toute autorité, même quant aux questions de fait dont la cour de cassation n'a pas eu à s'occuper. Cela a été jugé ainsi dans l'espèce suivante. Une donation déguisée sous forme de vente est annulée; l'arrêt constate que l'acte a été fait par une personne saine d'esprit. La cour de cassation

(1) Rejet, 29 août 1832 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 52, 4o). (2) Duranton, t. XIII, p. 484, no 457.

(3) Cassation, 17 novembre 1835 (Dalloz, au mot Cassation, no 1522).

Lasse l'arrêt conformément à sa jurisprudence qui admet la validité des donations déguisées et renvoie les parties devant une autre cour. Celle-ci, tout en admettant en principe que les donations déguisées sont valables, annule l'acte litigieux en se fondant sur l'état d'imbécillité du donateur. Y a-t-il violation de la chose jugée? Non, car le premier arrêt qui décidait que le donateur était sain d'esprit a été cassé sans restriction aucune; donc il est censé n'avoir pas été rendu et, par suite, il n'en peut résulter une autorité quelconque de chose jugée (1).

Il suit de là que l'autorité de chose jugée attachée à un jugement en dernier ressort ou à un arrêt ne devient irrévocable que lorsqu'il ne peut plus être cassé. C'est en ce sens que la cour de Bruxelles dit que l'arrêt d'une cour d'appel n'acquiert pas irrévocablement l'autorité de chose jugée tant qu'il peut être attaqué par le pourvoi en cassation. La question n'est pas de pure théorie. Dans l'espèce jugée par la cour de Bruxelles, il s'agissait de savoir ce qu'il fallait entendre par biens du clergé dans la loi du 5 novembre 1790. Cette loi nationalise tous les biens du clergé. Un arrêté du 6 juillet 1822 déclare qu'il faut comprendre, dans ces mots, les biens des fabriques d'église. Ces biens sont donc réunis au domaine de l'Etat, mais, dit l'arrêté, sans préjudice des droits acquis à des tiers en vertu de jugements ayant force de chose jugée. On demandait si un jugement, contre lequel les délais pour le pourvoi en cassation sont encore ouverts, a force de chose jugée. La cour de Bruxelles se décida pour la négative et, dans l'espèce, la question n'était pas douteuse. Il est vrai que les jugements en dernier ressort et les arrêts ont l'autorité de chose jugée malgré le pourvoi, parce que le pourvoi n'est pas suspensif; mais cela ne prouve pas que le droit résultant de ces décisions judiciaires est un droit acquis; le droit n'est acquis, stable et perpétuel, que lorsque le délai du pourvoi est expiré ou que le pourvoi est rejeté (2).

(1) Cassation, 23 janvier 1816 (Dalloz, au mot Cassation, no 2070). (2) Bruxelles, chambre de cassation, 5 juillet 1823 (Pasicrisie, 1823, p. 478)

Il reste une dernière difficulté qui, en réalité, n'en est pas une. On a prétendu, devant la cour de cassation de Belgique, que les arrêts de la cour de cassation forment chose jugée. La négative est certaine. Aux termes de la loi du 4 août 1832 (art. 17), la cour ne connaît pas du fond des affaires, elle ne décide donc pas la contestation; partant les arrêts portant cassation ne peuvent former la base d'une exception de chose jugée (1).

21. La requête civile est aussi une voie extraordinaire pour attaquer les jugements; elle n'est ouverte qu'à ceux qui ont été parties au procès et pour les causes déterminées par la loi. On applique à la requête cívile ce que nous venons de dire du pourvoi en cassation, elle n'est pas suspensive; le code de procédure veut même que celui qui a été condamné à délaisser un héritage rapporte la preuve de l'exécution du jugement pour être reçu à plaider sur la requête civile; la requête n'ôte donc point au jugement ou à l'arrêt l'autorité de la chose jugée jusqu'à ce qu'il ait été rétracté (2).

La tierce opposition est encore une voie extraordinaire pour se pourvoir contre les jugements. Elle est ouverte. à celui aux droits duquel un jugement préjudicie et qui n'y a point été partie. La tierce opposition n'empêche pas la décision attaquée par cette voie de former chose jugée. Nous reviendrons sur ce point (3).

V. Il faut un jugement définitif.

22. Tout jugement n'a pas l'autorité de chose jugée. La présomption de vérité qui est attachée aux jugements implique qu'ils décident une contestation, puisque le but de la présomption est de mettre fin à la contestation quand elle est définitivement jugée. De là la conséquence que la chose jugée ne résulte que des jugements qui statuent définitivement sur la contestation. Il ne faut pas entendre le principe en ce sens que l'autorité de chose jugée ne

(1) Rejet, 11 août 1851 (Pasicrisie, 1852, 1, 233).

(2) Code de proc., art. 480, 497. Duranton, t. XIII, p. 484, no 458. (3) Code de proc., art. 466. Duranton, t. XIII, p. 485, no 459.

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