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prudence et nous dirons en même temps quels sont nos motifs de douter.

La cour de cassation prend pour point de départ la notion traditionnelle du serment: c'est l'acte par lequel l'homme prend Dieu à témoin de la vérité de ce qu'il affirme; l'invocation de la Divinité est donc de l'essence du serment, elle forme le gage de la confiance que celui qui le prête doit inspirer. Il s'agit de savoir si la constitution belge a abrogé le serment ainsi entendu. La cour invoque l'article 127 qui porte: « Aucun serment ne peut être imposé qu'en vertu de la loi. Elle en détermine la formule. » Cette disposition n'est pas aussi décisive qu'on le dit : tout dépend de la formule du serment; elle peut n'être qu'une simple affirmation faite en justice et sanctionnée par le code pénal; elle peut être une affirmation surnaturelle garantie par des peines surnaturelles. De quelle manière les auteurs de la constitution l'entendaient-ils ? Cela est pour le moins douteux, car voici ce qu'on lit dans le rapport de la section centrale sur l'article 127 : « Exiger un serment qui serait contraire à la liberté des cultes et des opinions, ce serait violer l'une des bases fondamentales de notre constitution. Il existe des sectes qui rejettent le serment, mais qui admettent l'affirmation solennelle pour attester un fait. Dans le sens de la loi civile, le serment n'est autre chose qu'une affirmation qui lie solennellement celui qui l'a prêté. » Cette définition du serment est celle de Mirabeau (n° 223), c'est le serment moral, ce n'est pas le serment confessionnel, et le véritable serment religieux est celui qui est prescrit, non par la loi civile, mais par la loi religieuse. Par cela seul que la constitution dit que la loi détermine la formule du serment, elle répudie implicitement le serment confessionnel; le vrai serment religieux, comme l'a dit Lasagni (n° 224), est un acte surnaturel; ce n'est pas à la loi civile de régler le surnaturel; si donc les auteurs de la constitution avaient entendu que le serment fût un acte religieux, ils auraient dû s'en rapporter, quant à la formule, non à la loi civile, mais à la loi religieuse, et même aux convictions morales ou philosophiques de celui qui est appelé à prêter un ser

ment. N'est-ce pas en ce sens que le rapporteur de la section centrale dit que ce serait violer la constitution que d'exiger un serment qui serait contraire à la liberté des cultes et des opinions?

Toutefois nous n'attachons pas une grande importance au rapport de la section centrale sur l'article 127, pas plus qu'à cette disposition elle-même. La vérité est que la question du serment religieux n'a pas été nettement posée; dès lors on ne peut pas dire qu'elle ait été résolue. Tout ce que l'on peut affirmer, et sur ce point tout le monde est d'accord, c'est que l'on ne pourrait pas imposer une formule religieuse qui fût contraire aux croyances de celui qui prête le serment; la loi même ne le pourrait pas, puisque ce serait violer la liberté religieuse, et nous ajoutons, avec le rapport de la section centrale, la liberté des opinions. Ainsi il est hors de doute que l'on ne pourrait pas exiger la formule prescrite par l'arrêté de 1814: « Ainsi m'aident Dieu et tous ses saints. » On ne pourrait pas l'exiger de celui qui n'est pas catholique, puisque c'est un serment catholique. A notre avis, on ne pourrait pas même l'imposer aux catholiques. Nous n'insistons pas sur ce point, puisque ce n'est pas dans ces termes que la question s'est présentée devant la cour de cassation. La formule du serment qu'un témoin avait refusé de prêter contenait la simple invocation de la Divinité: Ainsi m'aide Dieu. Cette formule, dit la cour de cassation, n'implique en aucune manière l'adhésion à un culte quelconque; il est donc impossible qu'elle viole la liberté des cultes. Cela est-il bien exact?

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La constitution fait plus que consacrer la liberté des cultes elle établit la liberté religieuse dans son sens le plus large, le plus absolu. En effet, le même article qui proclame la liberté des cultes et celle de leur exercice public ajoute La liberté de manifester ses opinions en toute matière est garantie. » La liberté des opinions, qu'on le remarque bien, est mise par la loi sur la même ligne que la liberté des cultes; c'est la liberté de penser et de manifester sa pensée, la liberté philosophique, c'està-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté

d'abandonner la croyance de ses pères, la liberté de professer des croyances nouvelles et la liberté de répudier toute foi surnaturelle, même la croyance en Dieu. Nous ne professons pas l'athéisme, c'est de tous les systèmes philosophiques celui qui nous est le plus antipathique. Mais l'athéisme est professé; il y a une doctrine très-répandue sous le nom de positivisme. Elle ébranle les bases de l'ordre social et de l'ordre moral; mais il ne s'agit pas ici de la valeur des doctrines, il y a aussi des croyances religieuses qui sont funestes; néanmoins la constitution leur donne aide et protection, jusqu'à assurer un traitement aux ministres du culte qui ruinent par leur enseignement les fondements de notre ordre politique. Eh bien, l'athée a le même droit que le jésuite. Si la constitution ne permet pas d'exiger du jésuite un serment religieux qui serait en opposition avec ses croyances, elle ne permet pas davantage d'imposer à l'athée l'invocation de la Divinité dont il nie l'existence.

Il y a plus. L'invocation de la Divinité qui, d'après la cour de cassation, fait l'essence du serment, implique une croyance religieuse autre que celle de l'existence de Dieu. Pothier le dit, et il est assez singulier que dans ce débat on n'ait pas cité son témoignage, alors qu'on en citait tant d'autres. Prendre Dieu à témoin, c'est dire qu'on se soumet à la vengeance de Dieu et que l'on renonce à sa miséricorde; c'est-à-dire que l'invocation de la Divinité implique la croyance catholique de l'enfer, de la perpétuité des peines et de la perpétuité des récompenses. Nous disons que c'est une croyance catholique, car il y a des sectes protestantes qui la répudient et il n'y a pas un libre penseur qui ne la repousse. Donc imposer le serment avec invocation de Dieu, c'est exiger une profession catholique de celui qui prête le serment. Nous disons que personne n'a ce droit-là, pas même le législateur; c'est la section centrale du congrès qui le dit : « Exiger un serment qui serait contraire à la liberté des opinions, ce serait violer l'une des bases fondamentales de notre constitution. Or, il y a des milliers, nous ne dirons pas de libres penseurs, mais de catholiques, qui ne croient

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plus aux peines éternelles; donc on viole la liberté de conscience en leur imposant un serment qui est en opposition avec leurs croyances. Et quelle sera la valeur de ce serment? S'il en a une pour celui qui croit à l'enfer, il n'en a aucune pour celui qui n'y croit pas. Il faudrait donc qu'avant de recevoir le serment, le juge demandât à celui qui doit le prêter s'il croit à la sanction des peines éternelles. Le juge n'a pas ce droit-là, donc il ne peut imposer un serment, même avec la simple invocation de la Divinité. Et les serments qui se prêtent avec cette formule sont des serments dérisoires pour tous ceux qui n'ont pas la foi que le serment suppose. Un serment moral, une simple affirmation faite la main levée, comme le dit la cour de cassation de France, n'aurait-elle pas bien plus d'autorité? Ce serait l'affirmation de l'honnête homme, et il ne s'est encore trouvé personne qui répudie l'honnêteté.

Il y a encore plus dans notre constitution que la liberté religieuse, il y a la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui implique la séparation de l'ordre religieux et de l'ordre civil. Il est bien vrai que la constitution ne proclame pas ce principe, mais les auteurs de la constitution l'ont proclamé dans les termes les plus formels au sein du congrès, et parmi eux se trouvaient des abbés (1). Ce n'était pas pour eux un principe, ils n'entendaient l'inscrire dans notre constitution qu'à titre de nécessité temporaire. Là où il y a conflit de croyances religieuses et d'opinions philosophiques, plus ou moins hostiles à la religion traditionnelle, la loi ne peut plus avoir de caractère confes. sionnel, ni partant aucun acte de la vie civile. La liberté religieuse, telle que notre constitution l'entend, avec la séparation de l'Eglise et de l'Etat, a pour conséquence logique la sécularisation de tous les actes qui jadis étaient essentiellement religieux: tel est le mariage. Notre constitution fait plus que le séculariser, elle subordonne le mariage religieux au mariage civil; si le mariage, qui est un sacrement, n'est plus aux yeux de la loi qu'un

(1) Voyez mon Étude sur l'Église et l'État en Belgique.

contrat, à plus forte raison en doit-il être ainsi de tous les actes qui ont un caractère civil tout ensemble et religieux; ils cessent d'être des actes religieux et ne sont plus que des actes civils: tel est le serment. De même que le mariage, le serment n'est plus qu'un acte civil. Est-ce à dire que le serment réduit à une simple affirmation ne soit plus un serment? Ce sera encore un acte religieux, dans le vrai sens du mot, puisque ce sera un acte dicté par la conscience et sanctionné par la conscience. Il n'aura plus pour garantie la crainte de l'enfer. Dès maintenant cette garantie est illusoire et elle le deviendra de plus en plus; les enfants bientôt ne croiront plus au diable. Cela n'empêche pas qu'il y ait un ordre moral auquel Dieu préside. Mais le Dieu auquel nous croyons n'est plus le Dieu de vengeance de la loi ancienne, c'est le Dieu de charité de la loi nouvelle. C'est ce Dieu que Jésus-Christ nous a révélé et il a en même temps répudié tout le formalisme de l'ancienne loi. Voilà pourquoi il dit à ses disciples: Vous ne jurerez pas; votre parole doit être sacrée, car elle est dictée par la conscience, et Dieu siége dans la conscience: en l'écoutant, on obéit à la voix de Dieu.

No 2. DIVISION, DU SERMENT EXTRAJUDICIAIRE.

226. Le code (art. 1357) dit que le serment judiciaire est de deux espèces : le serment décisoire et le serment déféré d'office. Cela suppose qu'il y a encore un autre serment qui n'est pas judiciaire; les auteurs l'appellent extrajudiciaire, parce qu'il n'est pas prêté en justice. Le serment est extrajudiciaire dans deux cas.

Dans l'ancien droit, les parties contractantes ajoutaient quelquefois le serment à leurs engagements pour en assurer l'accomplissement; on l'appelait serment promissoire, parce que la promesse se faisait sous la foi du serment. L'ambition des gens d'église avait jadis rendu commun l'usage du serment dans les contrats; ils prétendaient que le juge ecclésiastique avait le droit de connaître des contestations sur l'exécution des contrats

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