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les particuliers ne peuvent pas disposer de ce qui est d'intérêt public, ni y renoncer. Ainsi on ne peut pas déférer le serment contre la présomption de vérité attachée à la chose jugée. Les textes mêmes résistent à la prétention contraire. C'est à l'article 1358 que l'article 1352 fait allusion; or, quelque générale que soit la disposition de l'article 1358, elle suppose néanmoins qu'il y a une contestation possible; et quand il y a chose jugée, il n'y a plus de contestation possible, puisque la loi défend de remettre en question ce qui a été jugé. L'article 1360 est conçu dans le même sens : il permet de déférer le serment en tout état de cause; il faut donc qu'il y ait une cause et des parties en cause; or, il n'y a pas de cause quand la loi donne l'exception de chose jugée pour repousser la demande ou l'exception. La doctrine (1) et la jurisprudence (2) sont unanimes sur ce point.

De même, on ne peut déférer le serment à celui qui invoque la prescription. Dans ce cas encore, il n'y a plus de contestation, plus de cause; la prescription a éteint la dette, en ce sens qu'elle forme une exception péremptoire contre celui qui essayerait de se prévaloir d'un droit prescrit, et cette exception est d'ordre public. Cela suppose qu'il s'agit de la prescription ordinaire; quand il s'agit d'une courte prescription, la loi permet de déférer le serment au défendeur sur la question de savoir si la chose a été réellement payée (art. 2275 et code de com., art. 189); la raison en est que ces prescriptions sont fondées exclusivement sur la présomption du payement de la dette. En autorisant, par exception, la délation du serment quand il s'agit d'une courte prescription, la loi confirme implicitement la règle qui défend de déférer le serment lorsque la prescription est acquise (3).

247. Le serment ne peut pas être déféré contre les présomptions qui ont pour effet de dénier l'action en jus

(1) Colmet de Santerre, t. V, p. 650, no 337 bis IV et tous les auteurs. (2) Turin, 15 juillet 1806 et 5 avril 1809 (Dalloz, no 5194, 1o et 2o) Rejet, 7 juillet 1829 (ibid., 3o).

(3) Duranton, t. XIII, p. 609, no 577. Colmet de Santerre, t. VI, p. 650, no 337 bis VII.

tice, quand la loi établit l'exception dans l'intérêt public. Il en est de même dans tous les cas où la loi refuse l'action dans un intérêt général. La cour de cassation a appliqué ce principe aux avoués. Ils ne peuvent pas déférer le serment à l'appui d'une action en payement des frais qui leur sont dus. La raison en est que le tarif du 16 février 1807 (art. 151) subordonne leur action à la tenue régulière d'un registre; s'ils n'ont pas de registre, ils ne peuvent pas réclamer leurs frais; dès lors il n'y a ni contestation ni cause possibles et, par suite, le serment ne peut être déféré (1).

No 5. SUR QUELS FAITS LE SERMENT PEUT-IL ÊTRE déféré

1. Les faits doivent être personnels.

248. « Le serment ne peut être déféré que sur un fait personnel à la partie à laquelle on le défère» (art. 1359). Voilà une nouvelle restriction au droit absolu que l'article 1358 semble donner de déférer le serment. La restriction résulte de l'essence même du serment. C'est un appel à la conscience; or, nous ne pouvons affirmer que ce qui nous est personnel; quant aux faits des autres, nous les ignorons et, alors même que nous les connaîtrions, la conscience nous fait un devoir de ne pas affirmer ce que nous ne savons pas d'une manière certaine.

Les faits ne nous sont pas personnels quand ce sont des faits de notre auteur. Je ne puis pas déférer le serment à une partie sur le fait d'une personne dont elle est héritière ou aux droits de laquelle elle est; si elle ne peut ignorer son propre fait, elle n'est pas obligée de savoir ce qui est du fait d'un autre a qui elle a succédé. Ainsi je demande à l'héritier le prix d'une chose que je prétends avoir vendue au défunt : je ne pourrai pas lui déférer le serment, dit Pothier, parce que ce n'est pas son fait, c'est le fait de son auteur (2). Si le serment était déféré sur un

(1) Rejet, 1er mai 1849 (Dalloz, 1849, 1, 182).

(2) Pothier, Des obligations, no 912.

fait non personnel, le juge devrait refuser la délation; car le serment est contraire à la loi, et le juge ne peut pas ordonner un serment illégal (1).

249. Pothier, à qui les auteurs du code ont emprunté le principe de l'article 1359, ajoute : « Mais l'usage parmi nous est que l'on puisse déférer à l'héritier le serment sur le point de savoir s'il a connaissance que le défunt dût la somme demandée. » Dans ce cas, dit Pothier, on ne défère pas le serment sur le fait de la dette, qui est le fait du défunt, on lui défère le serment sur le fait de la connaissance qu'il a de la dette, ce qui est son propre fait. Le code ne reproduit pas cette réserve au titre des Obligations; mais l'article 2275, qui permet de déférer le serment à ceux qui opposent une courte prescription, ajoute: « Le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s'ils sont mineurs, pour qu'ils aient à déclarer s'ils ne savent pas que la chose soit due. Le code de commerce contient une disposition. analogue (art. 189). Ces articles consacrent-ils une exception et sont-ils, par suite, de rigoureuse interprétation? ou sont-ils l'application d'un principe général, ce qui permettrait de les appliquer par analogie? La question est controversée. Il nous semble que le caractère exceptionnel de ces dispositions est incontestable. La délation du serment est une transaction, et cette transaction ne se conçoit que sur des faits qui sont personnels à celui à qui le serment est déféré. Telle est la règle établie par l'article 1359. Le code y admet une exception dans le cas prévu par l'article 2275; l'exception est plus restreinte que celle dont parle Pothier; la loi ne dit pas que l'on peut déférer le serment à la veuve, aux héritiers et au tuteur sur toute espèce de contestations, elle ne permet de le leur déférer que sur les courtes prescriptions dont il est traité dans les articles précédents; c'est donc à ce cas qu'il faut limiter la disposition de l'article 2275 (2). Vainement dit-on que

(1) Rejet, chambre civile, 1er mars 1859 (Dalloz, 1859, 1, 155).

(2) Aubry et Rau, t. VI. p. 351, note 15, admettent que la disposition est exceptionnelle, mais ils l'interprètent dans le sens de Pothier; c'est déi l'étendre.

l'article 2275 ne fait qu'appliquer le principe de l'article 1359, puisque la connaissance qu'ont les héritiers et la veuve est un fait personnel; dans cette opinion, le serment dit de crédulité serait une règle générale (1). C'est oublier que le serment décisoire est une transaction forcée; or, peut-on imposer une transaction à ceux qui sont étrangers aux faits sur lesquels porte la délation du serment? Telle est la vraie difficulté. Si l'on s'en tenait à l'essence du serment, il faudrait répondre négativement; on ne peut pas constituer juge du procès, en faisant appel à sa conscience, celui qui ne sait la chose que par ouï-dire; la connaissance qu'il a peut être erronée, il peut se tromper, et, cependant, sur la déclaration qu'il fera ou qu'il ne fera pas, le fait sera considéré comme vrai ou faux. Cela est certes une dérogation à l'essence du serment, donc c'est une exception.

Il y a un point sur lequel tout le monde est d'accord, c'est que la disposition de l'article 2275 est exceptionnelle en ce qui concerne les tuteurs. La règle est que les tuteurs ne peuvent pas prêter, au nom des mineurs, un serment qui est une véritable transaction. C'est donc par exception qu'ils sont admis à prêter le serment dit de crédulité, avec cet effet que la prestation du serment équivaudra à une transaction à l'égard des mineurs. La conséquence est évidente, c'est que les tuteurs ne peuvent prêter le serment de crédulité que dans le cas prévu par l'article 2275 (2).

II. Les faits doivent être relevants.

250. Le serment doit être déféré sur un fait litigieux; c'est une preuve, et il n'y a que les faits qui doivent être

(1) C'est l'opinion généralement suivie, sauf que chaque auteur étend plus ou moins l'exception, ce qui conduit à une incertitude complète. Duranton, t. XIII, p. 613, no 580. Mourlon, t. II, p. 376, no 1651. Colmet de Santerre, t. V, p. 649, no 337 bis III. Larombière, t. V, p. 467, no 12 (Ed.B., t. III, p. 334).

(2) Rejet, 14 novembre 1860 (Dalloz, 1861, 1, 338). Colmar, 23 août 1859 (Dalloz, 1859, 2, 193). Aubry et Rau, t. VI, p. 350. Larombière, t. V, p.467, n° 12 (Ed. B., t. III, p. 334).

prouvés par les parties. C'est quand on n'a point de preuve que l'on se trouve dans la nécessité de déférer le serment. De là suit que le serment ne peut pas être déféré sur un point de droit. Il faut appliquer au serment ce que nous avons dit de l'aveu (no 156) (1).

Tout fait litigieux peut être l'objet d'une délation de serment. On a prétendu que le serment ne pouvait être déféré quand le fait porte atteinte à l'honneur de celui qui doit le déclarer sous la foi du serment; ce serait, dit-on, le pousser au parjure par la crainte de se déshonorer. Nous renvoyons l'objection au législateur; ce serait une véritable exception à la règle de l'article 1359 qui permet de déférer le serment sur quelque espèce de contestation que ce soit, donc sur un fait quelconque. La jurisprudence s'est prononcée en ce sens. Il a été jugé que le serment peut être déféré à celui qui nie avoir entre ses mains des titres confiés autrefois à son auteur; le défendeur opposait qu'il ne pouvait être tenu d'affirmer un fait honteux pour la mémoire du défunt. Cette défense n'a pas été admise (2). La cour de Turin a jugé que le serment peut être déféré sur des faits de séduction et d'attentat à la liberté de tester (3). Il en serait ainsi quand même les faits litigieux constitueraient des délits criminels. Sous l'empire du code, il était de jurisprudence que l'on pouvait déférer le serment sur des faits d'usure (4).

251. Il ne suffit point qu'un fait soit litigieux pour que le serment puisse être déféré à celui qui le nie, le fait doit être relevant. On entend par là des faits qui sont de nature à motiver le jugement de la contestation. Cette condition résulte de l'essence du serment décisoire : il est déféré pour en faire dépendre le jugement de la cause (art. 1357); c'est pour cela qu'on l'appelle litisdécisoire; il faut donc que le fait soit tel, que son affirmation ou sa dénégation entraîne la décision du procès. De là résulte,

(1) La Haye, chambre de cassation, 23 mai 1818 (Pasicrisie, 1818, p. 107).

(2) Pau, 3 décembre 1829 (Dalloz, au mot Obligations, no 4876, 2o). (3) Turin, 13 avril 1808 (Dalloz, au mot Dispositions, no 255).

(4) Bruxelles, 1er février 1809. Bordeaux, 10 mai 1833 (Dalloz, au mot Obligations, no 5204)

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