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des deux parties. Dans ce cas, celui à qui il est référé doit le prêter, sinon il succombe. Le serment ne peut être référé quand le fait n'est pas celui des deux parties, mais est purement personnel à celui auquel le serment avait été déféré (art. 1361 et 1362); celui-ci doit, dans ce cas, prêter le serment, sinon il perd sa cause.

On demande si celui à qui le serment est référé peut, à son tour, le référer à l'autre partie. La négative est certaine. Elle résulte du texte et de l'esprit de la loi. L'article 1361 dit formellement que' la partie à laquelle le serment est référé doit succomber si elle le refuse; la loi ne lui permet donc pas de le référer à son tour: comme c'est elle qui a pris l'initiative de la transaction, elle ne peut pas se plaindre, si on lui réfère le serment qu'elle avait déféré, en la constituant juge du procès. Le droit de référer le serment n'appartient qu'à celui à qui la transaction est imposée, et, ainsi limité, il se justifie par la considération que c'est plutôt à celui qui offre la transaction de prêter le serment qu'à celui qui est forcé de l'accepter.

263. L'article 1364 porte: « La partie qui a déféré ou référé le serment ne peut plus se rétracter lorsque l'adversaire a déclaré qu'il est prêt à faire ce serment. » Donc, tant que cette déclaration n'est point faite, la partie peut se rétracter; elle peut y avoir grand intérêt si, comme cela est arrivé, elle découvre une pièce qui prouve son droit. On conçoit que celui qui offre la transaction en déférant le serment puisse se rétracter; c'est l'application des principes généraux qui régissent la formation des contrats l'offre faite par l'une des parties ne l'oblige point jusqu'à ce que l'autre partie l'ait acceptée; elle peut donc la retirer tant qu'il n'y a pas eu d'acceptation. Par la même raison, celui qui réfère le serment a le droit de se rétracter tant que l'autre partie n'a point déclaré accepter; car il fait aussi une offre et il renonce à un droit, celui de décider la contestation en prêtant le serment qui lui est déféré; il doit donc avoir le droit de retirer son offre jusqu'à ce que l'autre partie l'ait acceptée (1).

(1) Toullier, t. V, 2, p. 293, no 366. Duranton, t. XIII, p. 624, no 597.

Comment l'acceptation se fait-elle? D'après les termes de l'article 1364, on pourrait croire qu'il faut une acceptation expresse, car la loi dit : « Lorsque l'adversaire a déclaré qu'il est prêt à faire le serment. Mais le mot déclaré doit être entendu dans le sens de consentir. C'est un consentement que la loi exige, puisqu'il s'agit de former un contrat; or, en principe, le consentement peut être exprès ou tacite; et il n'y avait aucune raison de déroger à cette règle en ce qui concerne la transaction du serment. Il a été jugé, en conséquence, qu'il y a acceptation quand la partie à laquelle le serment a été déféré se présente à l'audience fixée pour la prestation du serment, sans qu'elle doive faire une déclaration (1). Mais il ne suffit pas que le jugement donne acte de la délation d'un serment pour former le contrat donner acte, c'est constater le fait de la délation, l'offre est prouvée par là, mais la délation reste une simple offre jusqu'à ce qu'elle ait été acceptée; donc celui qui l'a faite peut la rétracter, quoique le jugement en ait donné acte (2).

264. Dans quels termes le serment doit-il être prêté? Le code de procédure (art. 120) dit que le jugement qui ordonne un serment énoncera les faits sur lesquels il sera reçu. C'est à la partie qui défère le serment de formuler les termes dans lesquels il doit être prêté; car c'est elle qui offre la transaction, et elle est libre de l'offrir comme elle l'entend, pourvu que le fait sur lequel le serment est déféré présente les caractères voulus par la loi, c'est-àdire qu'il soit personnel et décisif. On demande si la partie à laquelle le serment est déféré doit le prêter dans les termes proposés par l'autre partie? L'affirmative n'est pas douteuse l'offre doit être acceptée telle qu'elle est faite, sinon il n'y a pas de concours de consentement et, par suite, le contrat ne peut pas se former. Et quand le serment déféré est accepté, il doit être prêté dans les termes proposés; la partie qui doit le prêter ne serait pas reçue à les modifier; si elle refusait de prêter le serment tel qu'il

:

(1) Rejet, 3 février 1818 (Dalloz, au mot Obligations, no 2574). (2) Paris, 25 mars 1854 (Dalloz, 1856, 2, 236).

a été formulé, il y aurait refus de prêter serment et, par suite, elle succomberait dans sa demande ou dans son exception (1).

265. Le principe est certain, mais l'application donne lieu à des contestations journalières. On demande si les termes de l'offre sont tellement de rigueur qu'ils ne sauraient être modifiés, alors même que ces modifications ne toucheraient pas à l'essence du fait qui est l'objet du serment. Il a été jugé que de pareilles modifications n'empê chaient pas le serment d'être valablement prêté. Dans l'espèce, il s'agissait de savoir si la dette réclamée existait et quel en était le montant. Le demandeur à qui le serment était déféré consentit à le prêter avec une explication qui ne modifiait en rien le fait principal et qui témoignait plutôt que le serment était prêté en conscience. Sur l'appel, la cour de Bruxelles décida que le tribunal de première instance avait bien jugé en accueillant ces explications et que les défendeurs n'avaient pas à s'en plaindre (2). La cour de cassation de France a porté une décision analogue dans l'espèce suivante. Il est dit dans un contrat de mariage que la femme a apporté en dot une somme de 3,000 francs en pièces de 5 francs. On lui défère le serment sur la réalité de l'apport et la nature des valeurs apportées. La femme refuse d'affirmer que l'apport de 3,000 francs eût eu lieu en pièces de 5 francs, mais elle offre positivement d'affirmer, sous la foi du serment, qu'elle avait apporté cette somme en valeurs différentes. Jugement confirmé sur l'appel qui considère le serment offert comme un refus de prêter serment, et applique l'article 1361, aux termes duquel celui qui refuse de prêter le serment à lui déféré doit succomber. L'arrêt a été cassé après un délibéré en la chambre du conseil : la cour de cassation dit que le serment était conforme à la stipulation principale du contrat de mariage constatant un apport de 3,000 francs; il n'en différait que sur

(1) Bruxelles, 11 avril 1865 (Pasicrisie, 1866, 2, 173); 29 juin 1845 (Pasicrisie, 1847, 2, 126).

(2) Bruxelles, 25 avril 1822 (Pasicrisie, 1822, p. 117). Comparez Liége, 13 février 1864 (Pasicrisie, 1864, 2, 247).

l'énonciation de la nature des espèces dans lesquelles l'apport avait été réalisé : qu'importait que ce fût en pièces de 5 francs ou en autres valeurs (1)?

266. Ces décisions sont trop absolues. La question soulève deux difficultés. D'abord il s'agit de savoir si le juge peut modifier le serment en ce sens que la partie qui l'a déféré soit forcée d'accepter cette modification; ce qui entraînerait sa condamnation, bien que le serment n'eût pas été prêté tel qu'elle l'avait proposé. La cour de Bruxelles répond qu'il faut appliquer les principes qui régissent l'offre et l'acceptation : quand l'offre n'est pas acceptée telle qu'elle est faite, il n'y a pas concours de consentement et, par suite, pas de contrat; vainement dirait-on que les modifications ne touchent pas à l'essence du serment tel qu'il a été déféré; la cour répond que la partie intéressée a le droit de déférer le serment tel qu'elle veut le formuler, que le contrat étant volontaire de la part de celui qui fait l'offre, il y aurait contradiction. à lui imposer des termes qu'il n'a point offerts. Donc s'il ne consent pas à la modification que la partie adverse propose, il n'y aura pas de transaction. Naît alors la question de savoir si la partie qui a refusé de prêter le serment tel qu'il lui a été déféré doit succomber, conformément à l'article 1361. Ici intervient le pouvoir d'appréciation du juge: Y a-t-il refus ou n'y a-t-il pas refus? La solution dépend de la nature des modifications proposées par la partie à laquelle le serment est déféré. Si elles portent sur le fait qui est l'objet du litige et du serment, il y a refus de prêter serment et, par conséquent, il faut appliquer l'article 1361. Mais si les modifications ne portent que sur une circonstance accessoire et indifférente du fait, le juge peut décider qu'il n'y a pas de refus. En ce sens, la cour de cassation, dans l'arrêt précité, a bien jugé qu'il n'y avait pas lieu de condamner la femme qui offrait de prêter serment sur l'apport et le montant de l'apport, tout en refusant d'affirmer que l'apport avait eu lieu en pièces de 5 francs. La décision est donc celle-ci : la partie à

(1) Cassation, 18 août 1830 (Dalloz, au mot Obligations, no 5250).

laquelle le serment est déféré propose de le modifier; si cos modifications ne sont pas admises par la partie qui a deferé le serment, la transaction ne peut pas se former. Y a-t-il, dans ce cas, refus de prêter serment? Le tribuhal appréciera. La cour de Bruxelles explique très-bien les motifs pour lesquels le juge doit avoir ce pouvoir d'appreciation. Les parties n'ont pas un pouvoir absolu de deferer un serment décisoire, avec cet effet que la partie à laquelle il est déféré doive succomber si elle ne le prête pas; elles n'ont ce droit que pour les faits essentiels dont dépend le jugement de la cause; si donc elles ajoutent à ce fait décisif des circonstances accessoires et indifférentes, elles dépassent leur droit et, par suite, elles ne peuvent pas contraindre la partie adverse à prêter serment sur toutes ces circonstances, sous peine de succomber si elle refuse. Ce serait, dit la cour, fournir à un plaideur adroit et de mauvaise foi le moyen facile de gagner un procès injuste en déférant un serment captieux, mele de vrai et de faux, à un adversaire délicat et consciencieux; celui-ci, n'osant pas affirmer des circonstances accessoires ou indifférentes qui peuvent ne pas être vraies, refuserait et succomberait, alors qu'il était cependant prêt à affirmer le fait décisif d'où dépend le jugement de la cause. Ici est le noeud de la difficulté et la solution. Le refus de prêter le serment sans modification entraînera la perte du procès quand les modifications portent sur le fait essentiel; et elles n'entraîneront pas la perte du procès quand elles portent sur des circonstances accessoires et indifférentes (1).

267. La jurisprudence des cours de Belgique est en ce sens. Elle ne permet pas au juge de modifier le serment; mais si la partie à laquelle le serment est déféré refuse de le prêter tel qu'il a été formulé, il n'en résulte pas qu'elle soit censée refuser le serment et qu'elle doivesuccomber. C'est au juge d'apprécier si le serment doit être accepté daus les termes proposés; s'il trouve que le serment ne doit pas être prêté dans ces termes, il n'y aura

(1) Bruxelles, 28 décembre 1831 (Pasicrisie, 1831, p. 356).

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