Page images
PDF
EPUB

pas refus dans le sens de l'article 1361; seulement la partie qui a déféré le serment pourra le rétracter; pour mieux dire, dès qu'elle ne consent pas aux modifications, la transaction reste sans effet (1). Il y a encore une difficulté: quand le juge peut-il décider que le serment ne doit pas être prêté dans les termes où il a été déféré? A notre avis, le tribunal doit ordonner la prestation du serment dans les termes où il a été déféré lorsque la délation a été faite sous les conditions déterminées par la loi, c'est-à-dire sur des faits personnels et décisifs. C'est seulement quand les faits ne sont pas personnels ni décisifs que le juge peut et doit refuser de l'ordonner. Il faut ajouter que le serment ne peut être formulé en termes ambigus et amphibologiques; un pareil serment n'atteindrait pas le but de la loi, il ne déciderait pas le procès, puisqu'il donnerait lieu à de nouvelles contestations (2).

268. Nous avons supposé que la partie à laquelle le serment est déféré propose des modifications. Si elle se borne à demander des explications, on ne peut pas dire qu'il y ait refus le serment étant un appel adressé à la conscience, on doit permettre à celui qui doit affirmer sous la foi du serment d'éclairer sa conscience; bien loin. d'invalider le serment, ces explications lui donnent plus de force, puisqu'elles prouvent la probité de celui qui prête le serment (3). Il en serait de même si la partie ne demandait pas d'explications, mais en donnait elle-même en exposant les raisons pour lesquelles, à son avis, le fait allégué n'existe point, raisons qui la déterminent à accepter la délation de serment. Un serment motivé n'est pas un serment modifié; les motifs fortifient, au contraire, la vérité de la déclaration (4).

269. Le serment est une affirmation : celui qui le prête affirme que le fait litigieux existe ou n'existe pas. Îl est donc de l'essence du serment qu'il soit prêté catégorique

(1) Bruxelles, 28 novembre 1838 (Pasicrisie, 1838, 2, 240).

(2) Bruxelles, 15 juillet 1834 (Pasicrisie, 1834, 2, 187). Gand, 14 juillet 1845 (Pasicrisie, 1849, 2, 198). Bruxelles, 5 mars 1860 (Pasicrisie, 1860, 2, 105).

(3) Gand, 10 août 1870 (Pasicrisie, 1870, 2, 10). (4) Liége, 5 avril 1873 (Pasicrisie, 1873, 2, 213).

ment. Si, au lieu d'affirmer, la partie dit qu'elle ne se rappelle pas, qu'elle ne croit pas, cette déclaration ne sera. pas un serment; par conséquent, il y aura refus de serment, ce qui entraîne la perte du procès pour celui qui fait ce prétendu serment. La jurisprudence est en ce sens. Il y a sur la question un arrêt très-bien motivé de la cour de cassation. Le serment décisoire, dit la cour, est une affirmation judiciaire de la vérité ou de la fausseté d'un fait; son but et son effet sont d'ériger en arbitre absolu de la contestation la partie à laquelle il est déféré et de mettre fin au litige. Il est donc de l'essence du serment décisoire qu'il décide la contestation comme le ferait un jugement; or, on ne conçoit pas un jugement rendu en termes vagues, incomplets, équivoques; et on ne conçoit pas non plus un serment décisoire par lequel la partie déclare n'avoir gardé aucun souvenir de l'engagement, sans pouvoir dire qu'elle ne l'a pas contracté. Une déclaration pareille ne constituerait pas un jugement, donc elle ne constitue pas un serment décisoire. Quand on dit qu'on ne se rappelle pas, on n'affirme pas la fausseté du fait; et sans affirmation positive, il n'y a pas de serment. Quelle en sera la conséquence? C'est que la partie à laquelle le serment est déféré ne l'a réellement pas prêté; or, celui qui ne prête pas le serment doit succomber, dit l'article 1361 (1).

Il y a un arrêt en sens contraire de la cour de Besançon; il décide que lorsque la partie à laquelle le serment a été déféré déclare qu'elle ne se rappelle pas les faits, cette réponse équivaut à une dénégation formelle (2). Le bon sens suffit pour répondre que celui qui ne se rappelle pas n'affirme point et ne nie point, donc il ne fait pas de serment décisoire.

MM. Massé et Vergé, dans leurs notes sur Zachariæ, professent une opinion intermédiaire. D'une part, le serment n'étant pas prêté dans les termes où il a été déféré

(1) Rejet, 9 juin 1863 (Dalloz, 1863, 1, 468). Comparez Bruxelles, 22 février 1819 (Pasicrisie, 1819, p. 328), et 21 mars 1838 (Pasicrisie, 1838, 2,85).

(2) Besançon, 1er février 1856 (Dalloz, 1856, 2, 86).

ne peut être opposé à la partie qui l'a déféré; d'autre part, il ne peut nuire à la partie qui l'a prêté qu'autant que, d'après les circonstances, il doit être considéré comme n'étant pas l'expression de la vérité. Dans cette opinion, les tribunaux auraient le droit de voir dans la déclaration de la partie un refus de serment, si la déclaration ne leur paraît pas sincère, et un serment sans effet si la déclaration est sincère (1). La distinction ne nous semble pas heureuse; elle est en opposition avec le textè de la loi. Celui à qui le serment est déféré ne peut pas, au lieu d'un serment, faire une déclaration; il doit prêter le serment tel qu'il est déféré ou référer le serment. S'il ne le réfère pas et s'il ne le prête pas dans les termes proposés, il se met en dehors de la transaction offerte, c'est dire qu'il la refuse, donc il doit succomber. Il ne peut jamais s'agir, en matière de serment, de rechercher si la déclaration est sincère ou non, et il n'appartient pas à l'interprète de transformer un serment en une déclaration qui ne serait pas un serment.

No 8. EFFET DE L'ACCEPTATION OU DU REFUS.

I. Principe.

270. L'article 1361 dit que celui auquel le serment est déféré et qui le refuse doit succomber dans sa demande ou dans son exception. Et aux termes de l'article 1365, le serment fait forme preuve au profit de celui qui l'a déféré ou contre lui. La rédaction de cette disposition est mauvaise. Quand celui à qui le serment est déféré l'accepte et le prête, le serment fait ne forme certes pas preuve pour celui qui l'a déféré; c'est, au contraire, le refus de prêter serment qui fait preuve à son profit. D'un autre côté, le serment prêté fait toujours preuve au profit de celui qui le prête et contre celui qui l'a déféré (2). Pothier s'exprime plus exactement en disant : « Si la

(1) Massé et Vergé sur Zachariæ, t. III, § 608, note 27. (2) Marcadé, t. V, p. 242, no I de l'article 1365.

partie fait le serment qui lui a été déféré, il résultera de son serment une présomption juris et de jure de la vérité de la chose sur laquelle le serment lui aura été déféré et qu'elle aura affirmé, contre laquelle aucune preuve contraire ne pourra être reçue (1).

"

271. Il y a des cas que la loi ne prévoit point. Celui à qui le serment est déféré déclare être prêt à le faire, mais il vient à mourir sans l'avoir prêté. Toullier dit que le serment devrait être tenu pour prêté, s'il n'y a aucun retardement à reprocher à celui qui a été empêché par la mort de le faire (2). Cette opinion est restée isolée. Elle est en opposition avec la loi de la transaction: la condition essentielle de la transaction est que le serment soit prêté; dès qu'il ne l'est pas, la transaction tombe. Cela est aussi fondé en raison; le serment est un appel à la conscience, et ce n'est pas lors de l'acceptation de la transaction que la conscience est en jeu, c'est lors de l'exécution; celui qui a accepté peut encore reculer quand il s'agira de faire l'affirmation sous la foi du serment. Tout ce qui résulte de l'acceptation, c'est qu'il n'y a pas refus, mais le serment n'étant pas prêté et ne pouvant plus l'être, la transaction devient impossible, sauf à la partie à déférer aux héritiers un serment dit de crédulité.

Si celui à qui le serment a été déféré vient à mourir avant de l'avoir accepté ni refusé, la transaction tombe également. C'est l'application des principes élémentaires qui régissent l'offre et l'acceptation. L'offre ne peut plus être acceptée, donc la transaction du serment ne peut plus se former.

II. Force probante du serment.

272. Le serment ne fait preuve que lorsqu'il est prêté tel qu'il a été déféré. Nous venons d'examiner les difficultés qui se présentent quand le serment est accepté et prêté avec des modifications. Il se peut que le serment

(1) Pothier, Des obligations, no 915.

(2) Touilier, t. V, 2, p 304, no 385. En sens contraire, Marcadé, t. V, 2, p. 239, no II de l'article 1364. Larombière, t. V, p. 502, no 7 (Ed. B., t. iii, p. 348). Colmet de Santerre,t. V, p. 652, no 340 bis.

soit prêté en partie et refusé en partie. C'est encore une modification du serment offert. Il faudra donc appliquer les principes que nous avons établis, en distinguant si le refus porte sur le fait essentiel ou sur une circonstance accessoire et indifférente. Le cas s'est présenté devant la cour de cassation; elle a rendu un arrêt plus absolu. Il s'agissait d'une vente verbale dont le prétendu acheteur niait l'existence. On lui déféra le serment en ces termes : 1° si la vente avait été convenue; 2° si elle n'avait pas été convenue devant diverses personnes. Sur le premier fait, le défendeur affirma qu'il n'avait jamais conclu le marché litigieux. Sur le second, il se borna à répondre qu'il ne se souvenait pas d'en avoir parlé à des tiers et qu'il n'en pouvait pas dire davantage. Le tribunal de première instance considéra ce serment comme un refus et déclara que la vente devait être tenue pour constante. Sur l'appel, la cour de Poitiers déclara le serment non avenu et ordonna une enquête en considérant la réponse du défendeur dans l'interrogatoire sur faits et articles et son serment comme un commencement de preuve par écrit. Pourvoi en cassation. La cour décida que le serment n'ayant pas été prêté dans les termes où il avait été déféré, l'arrêt attaqué avait fait une juste application de la loi en refusant à ce serment incomplet le caractère décisoire (1). Cette décision est juste, en ce sens que le serment avait été modifié, donc il ne pouvait pas décider la contestation au profit de celui qui l'avait prêté. La transaction tombait, mais par cela même le serment étant non avenu ne pouvait être considéré comme un commencement de preuve. 273. Le code ne dit pas quelle est la force probante du serment prêté ou refusé. Comme le serment est une transaction, on peut appliquer, par analogie, l'article 2052, aux termes duquel les transactions ont entre les parties l'autorité de la chose jugée en dernier ressort. La preuve résultant du serment prêté ou refusé exclut donc toute preuve contraire. C'est une conséquence de la transaction, comme le dit Pothier; le serment étant déféré pour

(1) Rejet, 8 mars 1852 (Dalloz 1852, 1, 73).

« PreviousContinue »