Page images
PDF
EPUB

en faire dépendre le jugement de la cause, et étant accepté et prêté comme tel, il en résulte un contrat par lequel les parties conviennent de s'en tenir à ce qui sera affirmé, ce qui exclut toute preuve contraire. Cela suppose que la transaction est valable; les parties peuvent l'attaquer comme toute convention en prouvant que leur consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence. Si la convention en vertu de laquelle le serment a été prêté est annulée, le serment tombera. Pothier le dit, et cela ne fait aucun doute (1). Il y a cependant une restriction à faire, en ce qui concerne l'erreur. D'après l'article 2052, les transactions ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit; cette disposition est applicable au serment, puisqu'il contient une transaction.

274. L'article 1363 consacre une conséquence du principe que nous venons d'établir: « Lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l'adversaire n'est point recevable à en prouver la fausseté. » Pothier en donne un exemple. Celui qui a déféré le serment n'est pas reçu à prouver qu'il a été faussement prêté, quand même il produirait les titres les plus décisifs. La raison en est, dit-il, que le serment opère une présomption juris et de jure qui fait réputer pour vrai ce qui a été juré et exclut toute preuve du contraire. Peu importe que le serment soit ou non conforme à la vérité. Celui qui défère le serment sait qu'il s'expose à la chance d'une fausse déclaration; il s'y soumet, c'est la loi du contrat; il n'a pas déféré le serment sous la condition que la déclaration soit vraie, cela n'aurait pas de sens; il l'a déféré sous la condition qu'il soit prêté ou refusé. Dès qu'il est prêté, tout est consommé (2).

Le procès est terminé, comme il le serait en vertu d'un jugement rendu en dernier ressort : c'est la décision de l'article 2052. Il ne peut donc plus être question d'appel (3). Il n'y a pas plus de recours extraordinaire que de

(1) Pothier, Des obligations, no 915 et 918 Colmet de Santerre, t. V, p. 651, no 339 bis I.

(2) Larombière, t. V, p. 493, no 5 (Ed. B., t III, p. 345). Mourlon, t. II, p. 863, no 1654.

(3) Caen, 23 janvier 1824 (Dalloz, au mot Acquiescement, ¤o 656).

recours ordinaire. Le code de procédure permet de rétracter les jugements sur la requête de ceux qui y ont été parties, s'il y a eu dol personnel (art. 480, 1°). Cette disposition n'est pas applicable au serment; si elle l'était, on pourrait toujours attaquer le serment faussement prêté, car le parjure est plus qu'un dol, c'est un crime; or, l'article 1365 s'oppose à ce que la fausseté du serment soit alléguée pour en obtenir l'annulation (1). On ne le peut pas plus indirectement que directement. Il a été jugé que l'on ne peut revenir sur la transaction du serment en attaquant par la voie de l'inscription en faux l'acte authentique sur lequel le serment a été déféré; vainement alléguait-on que l'inscription en faux est admise contre la plus forte des preuves, l'acte authentique; le serment n'est pas, à vrai dire, une preuve, c'est une transaction qui met fin au procès; de sorte que toute action est éteinte. Cela décide la question (2).

275. Cependant le faux serment est un crime. L'article 1363 empêche-t-il de poursuivre le crime de parjure? Non, certes; il défend à la partie qui a déféré le serment d'en prouver la fausseté, il ne s'oppose pas à ce que le ministère public poursuive le coupable dans l'intérêt de la société et de la moralité publique. Si le ministère public agit, la partie lésée par le parjure pourra-t-elle se porter partie civile pour réclamer des dommages-intérêts? On l'a soutenu, mais l'avis de Duranton est resté isolé; il est en opposition avec l'article 1363 et avec l'esprit de la loi. Quand l'article 1363 dit que l'adversaire n'est point recevable à prouver la fausseté du serment », cela signifie qu'il ne peut pas revenir sur la transaction qu'il a offerte en s'exposant à la chance d'un faux serment; or, ce serait revenir sur la transaction que de réclamer, sous le nom de dommages-intérêts, la valeur pécuniaire de l'obligation sur laquelle le serment a été prêté; on ne peut pis faire indirectement ce que la loi défend de faire directement. Au point de vue des intérêts civils, tout est con

(1) Colmet de Santerre, t. V, p. 651, no 339 bis II.

(2) Colmar, 25 avril 1827 (Dalloz, an mot Obligations, no 5264),

sommé par la transaction. Nous croyons inutile d'insister, la jurisprudence étant d'accord avec la doctrine (1).

III. Etendue de la force probante.

276. Le serment est une transaction qui équivaut à la chose jugée en dernier ressort. Il suit de là que l'on doit appliquer à la force probante qui résulte du serment les principes qui régissent la chose jugée. Pothier en déduit cette conséquence que le serment décisoire ne peutavoir d'effet qu'à l'égard de la même chose sur laquelle il a été déféré et il ajoute pour savoir si ce que l'on demande est la même chose que celle sur laquelle le serment a été déféré, on peut appliquer toutes les règles qui concernent l'autorité de la chose jugée. Ainsi celui qui a formé une demande contre un héritier pour la part de ce dernier, et qui a succombé pour avoir refusé le serment qui lui a été déféré par cet héritier, peut encore former une semblable demande contre le cohéritier et pour la même cause, car les obligations se divisant entre les héritiers, la part de chaque héritier dans la dette forme en réalité une obligation différente, et de plus les personnes sont différentes, donc la transaction du serment ne peut être invoquée (2).

Si les serments étaient plus usuels, les difficultés ne manqueraient point dans l'application du principe, comme elles abondent en matière de chose jugée. Il s'en est présenté une devant la cour de cassation, et nous doutons que la solution qu'elle a reçue soit conforme aux vrais principes. Quand il y a serment prêté sur la contestation principale, l'effet de la transaction s'applique-t-il aux conclusions subsidiaires? L'affirmative n'est pas douteuse, si les conclusions subsidiaires sont une dépendance des conclusions principales. En était-il ainsi dans l'espèce? Le demandeur avait transporté à un banquier une

(1) Voyez la jurisprudence dans le Répertoire de Dalloz, no 5376. Toullier, t. V, 2, p. 308, no 389, et tous les auteurs. En sens contraire, Duranton, t. XIII, p. 626, no 600. Voyez la réfutation dans Aubry et Rau, t. VI, p. 356, note 3, § 753 (3e édit.).

(2) Pothier, Des obligations, no 916. Duranton, t. XIII, p. 634, no 608

créance de 75,000 francs sur le gouvernement, et il avait reçu des avances de la maison de banque. Il concluait à la restitution de l'excédant de la créance sur les avances, prétendant qu'il ne s'agissait que d'un simple nantissement; subsidiairement, et pour le cas où il serait jugé qu'il y avait cession de la créance, il en demandait la nullité pour cause de dol et d'usure. Le serment fut déféré et prêté sur la réalité du transport. Il a été jugé que ce serment mettait fin au litige, même en ce qui concernait la validité du transport, parce que les questions de dol et d'usure étaient subsidiaires au fait principal de la cession (1). Cela nous paraît douteux. Si un premier juge décidait qu'il y a cession et non nantissement, déciderait

il par là que la cession est valable? Non, il y a là deux

questions très-distinctes. L'acte litigieux est-il une cession ou un nantissement? S'il est jugé que c'est une cession, est-il jugé par là que la cession n'est pas viciée par le dol et l'usure? L'objet de la seconde contestation diffère de celui de la première, donc la transaction sur l'une ne peut être étendue à l'autre.

Entre quelles personnes la transaction du serment produit-elle son effet? Il faut encore appliquer le principe de la chose jugée; le serment n'a d'effet qu'entre les parties qui sont en cause, il ne nuit pas aux tiers et il ne leur profite pas. C'est pourquoi, dit Pothier, si l'un des héritiers m'assigne pour lui payer sa part dans une somme que je devais à son auteur, et s'il me défère le serment sur la dette, le serment que je prêterai de ne rien devoir n'empêchera pas les autres héritiers de me demander leur part dans la même dette, et s'ils rapportaient la preuve de l'existence de la dette, je serais condamné à payer ce qui leur revient dans la dette, quoiqu'il y ait serment prêté que la dette n'existe point; ce serment n'a d'effet qu'à l'égard de celui qui me l'a déféré et non à l'égard de son cohéritier (2).

277. L'article 1365, qui établit le principe sur l'effet

(1) Rejet, 27 avril 1853 (Dalloz, 1853, 1, 195).

(2) Pothier, Les obligations, no : .6.

du serment prêté ou refusé, contient des applications dont la première, si l'on s'en tient au texte, est considérée plutôt comme une exception. « Néanmoins, dit la loi, le serment déféré par l'un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de ce créancier. Il y a effectivement une exception au principe qui régissait la solidarité entre cocréanciers en droit romain. Le code établit un nouveau principe : les créanciers sont considérés comme associés, et, par suite, ils ne peuvent disposer, par voie de transaction, que de leur part dans la créance. Nous renvoyons à ce qui a été dit au chapitre de la Solidarité.

«Le serment déféré à l'un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs. On suppose, comme le dit la fin de l'article, que le serment est déféré sur la dette; s'il était déféré sur le fait de la solidarite, le serment n'aurait d'effet qu'entre les parties, en vertu du principe général. Pourquoi le serment déféré sur la dette à l'un des débiteurs solidaires profite-t-il aux autres? Nous avons dit, en traitant de la chose jugée, que la question de savoir si le jugement rendu en faveur de l'un des débiteurs profite aux autres ou leur nuit, est très-controversée. Le code l'a tranchée en ce qui concerne le serment. Nous doutons que ce soit l'application des vrais principes, bien qu'elle soit conforme à la tradition. Si l'on s'en tient au principe de la chose jugée, invoqué par Pothier, il faut dire que ce qui est jugé avec l'un des débiteurs n'est pas jugé avec les autres; il y a une raison particulière pour limiter aux parties l'effet du serment; c'est un appel à la conscience; or, le créancier peut croire à la probité de l'un et ne pas croire à la probité de l'autre; il y a donc quelque chose de tout à fait individuel dans la délation du serment, et l'effet aussi devrait se limiter aux individus. On invoque encore une autre analogie, celle de la remise de la dette (1). C'est, nous semble-t-il, confondre la réalité avec la fiction. Le créancier qui fait remise de la dette renonce à sa créance pour le tout, elle est éteinte

(1) Colmet de Santerre, t. V, p. 654, no 341 bis III et IV.

« PreviousContinue »