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avoir le commencement de preuve dans le cas de l'article 1367; les juges ont donc une latitude plus grande pour la délation du serment que pour l'admission de la preuve testimoniale (1).

289. La preuve testimoniale est admise indéfiniment dans les cas où le demandeur a été dans l'impossibilité de se procurer une preuve littérale. Donc, dans ces mêmes cas, le juge pourra déférer le serment si les témoignages ou les présomptions remplissent les conditions exigées par l'article 1367. La fraude et le dol sont un des cas dans lesquels il n'a pas été possible au créancier de se procurer une preuve par écrit; les manoeuvres doleuses sont-elles insuffisantes pour fournir une preuve complète, le juge pourra la compléter en déférant le serment supplétoire (2). Il importe cependant de remarquer qu'il ne suffit pas que le créancier ait été dans l'impossibilité de faire dresser un écrit de l'obligation litigieuse pour que, par cela seul, le serment puisse lui être déféré; le serment supplétoire n'est jamais qu'un supplément de preuve; il faut donc, dans l'espèce, qu'il y ait ou des témoignages ou des présomptions qui donnent quelque probabilité à la demande ou à l'exception pour que le juge puisse déférer le serment d'office. Nous avons dit que le juge doit constater l'existence des deux conditions prescrites par l'article 1367; il faut donc qu'il déclare qu'il y a un commencement de preuve résultant, soit de témoignages si une enquête a été faite, soit de présomptions, ou des faits et circonstances de la cause (3).

La jurisprudence a étendu trop loin le principe établi par l'article 1348 en admettant qu'il y a impossibilité de se procurer une preuve littérale lorsque l'usage ou les convenances ne permettent pas de dresser écrit. Nous avons combattu cette doctrine relâchée; il faut surtout l'écarter quand il s'agit de déférer le serment supplétoire,

(1) Rejet, 24 juillet 1865 (Dalloz, 1865, 1, 467). Comparez Rejet, 5 juillet 1808, 31 mai 1825 (Dalloz, au mot Obligations no 5322) et 11 juin 1873 (Dalloz, 1873, 1, 478).

(2) Rejet, 11 juin 1873 (Dalloz, 1873, 1, 478).

(3) Comparez les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, au mot Obligations, no 5314-5316.

car la délation de ce serment est déjà par elle-même exorbitante du droit commun; il ne faut pas y ajouter une dérogation nouvelle aux principes généraux de droit. Il a été jugé, dans le sens de notre opinion, qu'il n'y a pas lieu de déférer à un médecin le serment supplétoire sur une prétendue promesse que le malade lui aurait faite d'augmenter le montant de ses honoraires; la cour de Liége avait déféré le serment parce que l'usage et les convenances ne permettaient point d'exiger une preuve écrite d'une pareille promesse. Son arrêt a été cassé : c'était, dit très-bien la cour de cassation, créer une exception. nouvelle en étendant celle que la loi établit (1).

290. Il y a un cas dans lequel la loi autorise le juge à déférer le serment supplétoire; l'article 1329 dit que les livres des marchands ne font point, contre les personnes non marchandes, preuve des fournitures qui y sont portées, sauf ce qui sera dit à l'égard du serment ». Il est de tradition que, dans ce cas, le juge peut déférer le serment; nous disons qu'il le peut, il ne le doit pas; la cour de cassation l'a jugé ainsi dans un arrêt récent, et cela n'est pas douteux. Pothier déjà en a fait la remarque: il faut, dit-il, que les fournitures marquées sur le registre soient probables (2).

291. Faut-il, outre les conditions prescrites par l'article 1367, appliquer au serment supplétif les principes qui régissent le serment décisoire? On lit, dans un arrêt de la cour de cassation de Belgique, que le législateur ayant traité de ces deux serments dans deux paragraphes séparés, où il prescrit des règles spéciales à chacun d'eux, on ne peut soutenir qu'il faille nécessairement appliquer à l'un ce qui n'a été ordonné que pour l'autre (3). La cour ne dit pas que l'on ne doive pas appliquer au serment supplétif les principes qui régissent le serment décisoire. Quoique les deux serments diffèrent grandement, ils ont

(1) Cassation, 8 décembre 1853 (Pasicrisie, 1854, 1, 100).

(2) Rejet, 22 juillet 1872 (Dalloz, 1873, 1, 110. Comparez les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, au mot Obligations, no 5321, et Pothier, Des obligations, nos 753 et 755.

(3) Rejet, 2 avril 1840 (Pasicrisie, 1840, 1, 344).

cependant un caractère commun, c'est que l'un et l'autre sont un appel à la conscience sur l'existence d'un fait litigieux. De là découlent des conséquences qui sont communes aux deux serments. Ainsi le serment supplétif, pas plus que le serment décisoire, ne peut être déféré sur une question de droit (n°250); le texte même de l'article 1367 le prouve le juge défère le serment quand le fait litigieux n'est pas entièrement justifié et qu'il n'est pas totalement dénué de preuves; cela suppose un débat sur une question de fait (1).

Le serment peut-il être déféré par le juge sur un fait qui n'est pas personnel à la partie à laquelle il le défère? A notre avis, il faut appliquer l'article 135 au serment supplétoire; la condition résulte de la nature même du serment. C'est un appel à la conscience; or, nous ne pouvons affirmer en conscience que les faits qui nous sont personnels (2). La jurisprudence et la doctrine sont con traires; non pas qu'elles décident que le juge puisse déférer le serment à une partie sur un fait qui lui est complétement étranger, mais on admet que le serment d'office peut être déféré lorsque la partie déclare qu'elle a connaissance du fait, bien qu'il ne lui soit pas personnel (3). Ce serait là une espèce de serment de crédulité, ce n'est pas le serment proprement dit. La question est donc de savoir si le juge peut déférer d'office un serment dont il n'est pas parlé dans la section du serment. Il nous semble que poser la question, c'est la résoudre. Il est vrai que les auteurs admettent que le juge peut déférer aux héritiers un serment de crédulité (4); mais, en le décidant ainsi, ils oublient le principe qu'ils posent, à savoir que le serment supplétií étant exceptionnel de sa nature, n peut être étendu à des cas que la loi ne prévoit point (1)

(1) Bruxelles, 30 juin 1858 (Pasicrisie, 1859, 2, 230).

(2) Liége, 11 février 1860 (Pasicrisie, 1860, 2, 345). Toullier, t. V, 2,p.329,

n° 420.

(3) Aubry et Rau, t. VI, p. 474, et note 11, § 767. Larombière, t. V, p. 521, n° 8 (Ed. B., t. III, p. 356). Voyez la jurisprudence dans le Répertoire de Dalloz, au mot Obligations, no 5303, 1°-4°. Il faut ajouter un arrêt de rejet de la cour de cassation de Belgique du 2 avril 1840 (Pasicrisie, 1840, 1, 314). (4) Toullier, t. V, 2, p. 329, no 421. En sens contraire, Aubry et Rau, t. VI, p. 474, note 12, et Marca lé, t. V, p 245, no 11 de l'article 1368.

Les faits sur lesquels le serment supplétoire est déféré doivent-ils être décisifs? On pourrait le croire en lisant l'article 1366, mais nous avons déjà dit que cette disposition est mal rédigée (no 280). Le serment déféré d'office n'est pas décisoire, c'est un commencement de preuve; il peut donc, par sa nature même, être déféré sur un fait accessoire, ou sur une circonstance secondaire d'un fait principal. Cela est admis par tout le monde (1).

292. Outre les conditions déterminées par l'art. 1367, Pothier en établit une troisième : il faut, dit-il, que le juge entre en connaissance de cause pour estimer s'il doit déférer ce serment et à laquelle des parties il le doit déférer. Cela va sans dire. La difficulté est de savoir à laquelle des deux parties le juge déférera le serment. Le code dit à l'une des parties, il ne dit pas laquelle (art. 1357 et 1367); par cela même il donne plein pouvoir au juge; comme le serment est un appel à la conscience, le juge se décidera d'après la confiance qu'il a dans la probité de l'une ou de l'autre des parties (2). Les anciens jurisconsultes ont tracé des règles à cet égard: mais comment régler et limiter un pouvoir qui, par sa nature, s'exerce par des considérations tout à fait individuelles? Il est inutile de discuter ces théories, elles ne servent à rien(3).

Le serment supplétoire peut-il être déféré à un tiers? Il a été jugé qu'il ne peut être déféré au fils de celui qui est partie (4), ni à sa femme (5); il faut généraliser la décision et poser comme principe général que le serment supplétoire, de même que le serment décisoire, ne peut être déféré à une personne qui ne serait point partie dans la cause. Nous ne comprenons pas que la cour de cassation ait jugé le contraire; il y a deux textes où il est dit formellement que le juge peut déférer le serment à l'une des parties (art. 1358 et 1366); or, en cette matière, le

(1) Rejet, 10 mai 1842 (Dalloz, au mot Obligations, no 5303, 4o). Aubry et Rau, t. V, p. 475, et note 13.

(2) Duranton, t. XIII, no 616. Rejet, 29 prairial an XIII (Dalloz, ibid., n° 5294, 1).

(3) Comparez Toullier, t. V, 2, p. 325, no 412-414.
(4) Bruxelles, 4 avril 1822 (Pasicrisie, 1822, p. 99).
(5) Chambéry, 14 juillet 1866 (Dalloz, 1866, 2, 207).

juge n'a d'autre pouvoir que celui que la loi lui confère; ce qui décide la question. Dans l'espèce, le mari intervenait pour autoriser sa femme; la cour a tort d'en conclure qu'il était en cause à ce titre; il est de principe que celui qui autorise n'est pas partie au contrat par le fait de son autorisation; il n'est pas non plus partie au procès (1).

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No 2. EFFET DE LA DÉLATION.

293. La délation du serment supplétoire n'a point l'effet que l'article 1361 attache à la délation du serment décisoire celui à qui il est déféré peut le refuser, sans qu'il doive pour cela succomber dans sa demande ou dans son exception. Il y a une différence essentielle entre les deux serments: le serment décisoire est une transaction, le serment supplétoire est une mesure d'instruction qui doit fournir au juge un complément de preuve. Quand donc la partie à laquelle le serment supplétoire a été déféré refuse de le prêter, tout ce qui en résulte, c'est que le juge n'aura point le supplément de preuve qu'il désirait; l'instruction du procès restera dans l'état où elle était avant la délation du serment. Le refus de la partie ne témoigne pas nécessairement contre elle; il peut venir d'une conscience timorée. Mais le refus peut aussi entraîner la perte de la cause, s'il n'y a point de preuve suffisante pour adjuger les conclusions du demandeur ou du défendeur (2). 294. La partie à laquelle le serment décisoire est déféré peut le référer; tandis qu'aux termes de l'article 1368 « le serment déféré d'office par le juge à l'une des parties ne peut étre par elle référé à l'autre ». Pour justifier cette différence, dit Pothier, il suffit de faire attention au sens du mot référer : je ne puis référer le serment qu'à celui qui me l'a déféré; or, ce n'est pas la partie adverse qui m'a déféré le serment supplétoire, je ne puis donc pas le lui référer (3). L'argumentation est peu digne de Pothier,

(1) Rejet, chambre civile, 10 mai 1842 (Dalloz, au mot Obligations, no 5303, 4°). En sens contraire, Aubry et Rau, t. VI, p. 474, note 7, § 767 (3e édit.).

(2) Larombière, t. V, p. 532, no 23 (Ed. B., t. III, p. 361). (3) Pothier, Des obligations, no 928.

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