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peut-il pas? Nous allons essayer d'appliquer le principe que nous avons établi (no 22) en rendant compte de la jurisprudence.

25. Quand un jugement, interlocutoire en apparence, décide réellement un point contesté entre les parties, il est définitif et il a, par conséquent, l'autorité de chose jugée. Voici un cas qui s'est présenté devant la cour de cassation et qui n'est point douteux. Lorsque plusieurs successions sont indivises entre les mêmes cohéritiers, chacune de ces successions doit être l'objet d'un partage distinct, à moins que les cohéritiers ne s'entendent pour comprendre toutes les successions dans un même partage. Un jugement ordonne, après débat contradictoire, que les opérations de partage relatives à chacune de ces successions se feront d'une manière distincte, sans en confondre les biens: est-ce un jugement interlocutoire? Il n'est interlocutoire qu'en ce sens que c'est un jugement d'avant-faire-droit qui ne met pas fin au procès. Mais c'est un jugement définitif quant à la question de droit qu'il décide : le tribunal est lié par cette décision, il ne peut donc plus prescrire un partage unique, si plus tard les parties forment une nouvelle demande en partage portant tout ensemble sur les successions qui ont fait l'objet du premier jugement et sur d'autres successions réunies dans la même indivision. La raison de décider donnée par la cour de cassation est que, dans l'espèce, il y avait eu des conclusions contradictoires, donc le point était litigieux, et le juge avait décidé une contestation; partant il avait rendu une décision définitive qui était passée en force de chose jugée (1).

26. Il peut aussi y avoir un jugement interlocutoire qui contienne une décision définitive sur certains points; il aura l'autorité de chose jugée sur les points qu'il a réglés définitivement (2). Des héritiers intentent une action en partage; ils sont en contestation non-seulement sur

(1) Cassation, 8 juin 1859 (Dalloz, 1859, 1, 255).

(2) L'arrêt qui, à raison de l'existence d'un commencement de preuve par écrit, déclare la preuve testimoniale admissible et autorise la partie à faire cette preuve a l'autorité de la chose jugée quant à l'almissibilité de la preuve. Rejet, 29 juillet 1873 (Dalloz, 1874, 1, 263).

le mode de partage, mais avant tout sur la part qui doit revenir à chacune des branches appelées à succéder. Un jugement ordonne l'expertise de tous les biens et détermine en même temps la part proportionnelle de chacune des branches. La cour de cassation a décidé que l'arrêt était interlocutoire quant à l'expertise, simple mesure d'instruction sur laquelle il n'y avait aucun débat, et définitif quant à la part attribuée à chacune des branches copartageantes, part qui était contestée et qui devait être réglée définitivement avant que l'on pût procéder au partage. Ainsi l'arrêt contenait tout ensemble des dispositions interlocutoires qui n'étaient pas susceptibles de passer en force de chose jugée et des dispositions définitives qui, faute d'avoir été attaquées dans le délai légal, avaient acquis l'autorité de chose jugée (1).

Un testateur lègue tout son mobilier à son conjoint. Que comprend ce legs? Un jugement décide qu'il comprend toutes les valeurs mobilières qui se trouvaient dans Îa succession du testateur. Le même jugement ordonne qu'il sera procédé par experts à la consistance, à la liquidation et au partage de la société d'acquêts qui avait existé entre les époux; que les époux rapporteront à la masse des biens existants tout ce dont ils étaient débiteurs envers la communauté, à titre de récompense ou d'indemnité, et que, sur la masse générale des acquêts ainsi composée, il sera fait prélèvement des reprises des époux dans l'ordre établi par les articles 1470 et 1471; enfin que le surplus sera partagé en deux lots égaux. Ce jugement était tout ensemble interlocutoire et définitif; interlocutoire en ce qui concerne l'expertise, simple mesure d'instruction sur laquelle il n'y avait aucun débat, et définitif quant aux bases de liquidation qu'il fixait sur les conclusions prises par la veuve demanderesse; ces bases formaient donc chose jugée. Le notaire liquidateur y ayant contrevenu en ce qui concerne le mode de rapport, l'arrêt qui homologuait le partage fut cassé comme violant la chose jugée (2).

(1) Rejet, 20 décembre 1814 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 49, 1o). (2) Cassation, 8 décembre 1869 (Dalloz; 1870, 1, 31). Comparez Čassa

Sur la demande de l'une des parties, le tribunal ordonne une enquête : il ne peut révoquer sa décision, dit Duranton. Cela n'est-il pas trop absolu? Quand il y a débat sur la question de savoir si la preuve testimoniale est admissible, il y a jugement définitif sur ce point. Ainsi le juge décide que tel acte forme un commencement de preuve par écrit et il admet, en conséquence, la preuve testimoniale. Ce jugement est définitif et a l'autorité de chose jugée quant au commencement de preuve; mais il est interlocutoire quant à la preuve testimoniale qu'il ordonne, en ce sens que le juge n'est pas lié par cette décision; il lui appartient toujours d'apprécier l'enquête et, par conséquent, il est libre de prescrire d'autres mesures d'instruction ou de décider le différend, non d'après les témoignages, mais d'après les faits et circonstances de la cause (1).

27. Restent les jugements interlocutoires proprement dits, ordonnant simplement une expertise, une vérification, une preuve. S'il n'y a aucun débat entre les parties sur la mesure que le tribunal ordonne, on ne peut pas dire qu'il y ait un jugement ni, par conséquent, chose jugée. Un premier arrêt ordonne que les dommages-intérêts réclamés par un preneur pour résiliation de son bail seront donnés par état pour être vérifiés par experts. Un second arrêt liquide les dommages-intérêts sans avoir recours à une expertise. Pourvoi en cassation pour violation de la chose jugée. La cour rejette le pourvoi. Il est de principe que le juge est expert de droit, et il n'est pas lié par le résultat de l'expertise qu'il a ordonnée; ce qui décide la question (2).

Cela suppose qu'il n'y a eu aucun débat entre les par

tion, 5 décembre 1860 (Dalloz, 1861, 1, 88). Il a été jugé dans le même sens que le jugement qui ordonne l'établissement d'un compte, d'après certaines bases, a l'autorité de la chose jugée, quant à ces bases. Rejet, chambre civile, 19 avril 1870 (Dalloz, 1871, 1, 244).

(1) Liége, 4 février 1871 (Pasicrisie, 1872, 2, 214). Rejet, 29 juillet 1873 (Dalloz, 1874, 2, 263).

(2) Rejet, 27 décembre 1810 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 50, 7o). Un arrêt de rejet, du 25 novembre 1873, décide que le jugement qui a ordonné une expertise sur la demande formée par un entrepreneur en payement de travaux supplémentaires, ne met pas obstacle à ce qu'il soit

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ties sur la mesure d'instruction prescrite par le tribunal: dès qu'il y a contestation, il y a condamnation ou absolution, comme le disent les lois romaines que nous avons citées (n° 22), donc chose jugée. Un jugement prononce la résiliation d'un marché de travaux entre des entrepreneurs et une compagnie de chemin de fer, et condamne la compagnie aux dommages-intérêts, pour l'évaluation desquels il prescrit une expertise. Les experts ayant fait leur rapport, le tribunal rend un second jugement dans lequel on lit que le seul moyen de calculer le montant des dommages-intérêts est de décomposer, après toutes les opérations de recherches, de fouilles et d'examen sur les lieux, les différents éléments de chaque valeur d'ouvrage par unité, et d'obtenir ainsi d'une manière exacte son prix de revient pour le comparer ensuite au prix attribué par le devis à la même unité d'ouvrage. » L'opération n'ayant pas été faite ainsi, le tribunal en ordonna une nouvelle, d'après la base qu'il venait d'indiquer. Les nouveaux experts arrivèrent à un chiffre double de celui que les premiers experts avaient admis. Sur l'appel, la cour se prononça pour la première expertise. Pourvoi en cassation pour violation de la chose jugée par le second jugement. La cour de cassation décida que le mode de calcul suivi par les premiers experts avait été définitivement rejeté après contradiction de la part de la compagnie; donc le jugement qui avait prescrit un nouveau mode de calculer les dommages-intérêts décidait une contestation, il était donc définitif; non pas que la cour d'appel fût liée par le rapport des seconds experts quant au chiffre de l'indemnité due par la compagnie, mais elle était liée par le mode que le second jugement prescrivait comme étant seul admissible; la cour ne pouvait donc, sans violer la chose jugée, revenir au mode de calcul que le tribunal avait rejeté; la cour de cassation a soin d'ajouter: malgré la résistance de la compagnie. C'est donc le débat contradictoire qui distingue le jugement interlocu

définitivement jugé qu'aucune indemnité n'est due à raison de ces travaux (Dalloz, 1875, 1, 135). Comparez Rejet, 24 juin 1873 (Dalloz, 1874, 1, 54) et Cassation, 19 janvier 1874 (Dalloz, 1874, 1, 141).

toire du jugement définitif, plutôt que la nature de la mesure d'instruction prescrite par le juge (1).

La cour de cassation l'a décidé ainsi par un arrêt récent. Dans un de ces scandaleux procès en séparation de corps qui retentissent devant les cours de France, la femme invoquait, entre autres causes, la communication d'une maladie vénérienne. Sur l'appel du jugement qui avait ordonné la preuve par témoins des faits allégués par la demanderesse, le mari défendeur demanda que la preuve par témoins de la communication de la maladie véhérienne ne fût pas admise, jusqu'à ce qu'il fût établi par le rapport d'un expert médecin que la femme était réellement atteinte de ladite maladie, et que, de plus, les notes produites par la demanderesse seraient vérifiées par experts à l'effet de constater si les remèdes qui y étaient portés supposaient une maladie vénérienne. L'arrêt rendu en conséquence était interlocutoire, puisqu'il statuait sur un mode d'instruction, mais il avait été rendu après débat contradictoire, sur les conclusions formelles des parties; le juge avait écarté tels moyens d'instruction proposés pour s'en tenir exclusivement à d'autres moyens qu'il précisait. Pouvait-il, en statuant sur le fond, se décider par les moyens que l'interlocutoire rejetait? Non, dit la cour. Ce n'est pas à dire que le juge soit jamais lié par le résultat de la mesure d'instruction qu'il a ordonnée; il reste absolument libre sur la décision du fond. La cour, dans l'espèce, aurait donc pu rejeter la demande en séparation de corps sans tenir compte du résultat de la mesure ordonnée par l'interlocutoire, mais il ne lui était pas permis d'écarter un jugement rendu sur conclusions contradictoires (2).

28. Pothier range encore parmi les jugements qui n'ont pas force de chose jugée les jugements qui contiennent une condamnation provisionnelle. Il est vrai que la partie qui l'a obtenu a le droit de contraindre la partie

(1) Cassation, 14 juillet 1869 (Dalloz, 1869, 1, 345). Comparez Liége, 23 décembre 1874; Gand, 18 juin 1874 et Bruxelles, 27 novembre 1874 (Pasicrisie, 1875, 2, 129, 141 et 154).

(2) Cassation, 4 juin 1872 (Dalloz, 1873, 1, 486).

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