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il faut aussi qu'ils établissent que la faute a causé un dommage (1).

Un testament était nul parce que le notaire avait omis de mentionner le lieu où il avait été passé. Mais ce même testament était nul à raison de l'incapacité de la testatrice qui, mariée sous la coutume de Liége, ne pouvait pas tester sans le consentement de son mari. Question de savoir si le notaire était responsable. La cour de Bruxelles la décida négativement. Quand même le testament eût été valable en la forme, on aurait dû néanmoins l'annuler; donc le dommage causé par la nullité n'était pas un effet nécessaire de la négligence du notaire; ce qui est décisif (2). La cour de cassation a jugé, en principe, que l'acte irrégulier, quoique constituant en lui-même un fait dommageable, ne rend pas le notaire responsable si, de fait, il n'en est résulté aucun dommage (3). Quelque grave que soit la faute de l'officier public au point de vue légal, il n'y a point de délit ni de quasi-délit quand la faute du notaire n'a causé aucun préjudice à celui qui s'en plaint (4).

Un huissier signifie un acte d'appel qui est nul. La cour reconnaît qu'en principe il était responsable. Mais, en fait, elle décida que le jugement déféré était inattaquable; l'huissier n'avait donc causé d'autre grief aux appelants que de les exposer aux frais frustratoires d'un acte d'appel frappé de nullité et de nécessiter un recours en garantie contre lui. Il a été jugé que la responsabilité de l'huissier devait être restreinte dans les limites du préjudice réel que sa négligence avait causé (5).

392. Les mêmes principes s'appliquent à l'usurpation d'un nom, fait illicite qui, par lui-même, constitue un délit ou un quasi-délit, en ce sens que celui qui usurpe le nom fait ce qu'il n'a point le droit de faire, mais il n'y a lieu à une action en dommages-intérêts que s'il en résulte un préjudice. Un pharmacien vend son fonds;

(1) Rejet, 21 mars 1855, et Cassation, 6 février 1855 (Dalloz, 1855, 1, 133).

(2) Bruxelles, 30 juin 1818 (Pasicrisie, 1818, p. 131).

(3) Rejet, 8 mai 1854 (Dalloz, 1854, 1, 146).

(4) Rejet, 13 juin 1864 et le rapport de Hardoin (Dalloz, 1864, 1, 46). (5) Chambéry, 1er mai 1868 (Dalloz, 1868, 2, 111). Voyez plus bas no 515.

l'acheteur prend non-seulement la qualité de successeur, mais fait même usage du titre et des médailles conférées à son auteur. Il y avait un fait illicite, mais il a été jugé qu'il n'était pas dommageable, puisque le pharmacien vendeur n'en éprouvait aucun préjudice (1). De même il a été jugé que l'usurpation d'une marque de fabrique n'autorise pas le juge à accorder des dommages-intérêts s'il est constaté, en fait, qu'elle n'a causé aucun préjudice au propriétaire de la marque (2).

393. Il suit du même principe qu'une infraction pénale peut ne pas constituer un délit civil. U.. i..dividu est condamné, pour violences légères, à 5 francs d'amende; la partie lésée intente ensuite une action civile devant le juge de paix et réclame 500 francs de dommages-intérets. En appel, il a été jugé que, le demandeur n'ayant éprouvé aucun dommage appréciable de l'infraction, la peine de l'amende devait suffire à sa susceptibilité. Pourvoi en cassation fondé sur ce que le tribunal avait refusé l'action civile à la partie lésée. La cour décida que ce n'était pas refuser l'action que de la déclarer non fondée, faute d'un dommage appréciable (3).

Dans une autre espèce, le juge criminel avait refusé d'allouer des dommages-intérêts au demandeur, parce qu'il ne justifiait pas d'un préjudice matériel. La cour de cassation rejeta le pourvoi de ce chef. Il faut se garder d'en conclure que le juge ne peut pas accorder des dommages intérêts pour un dommage moral. Le contraire est certain, comme nous allons le dire. Mais, dans l'espèce, il ne pouvait pas s'agir d'un dommage moral; dire qu'il n'y avait pas de préjudice matériel, c'était dire qu'il n'y avait pas de dommage, donc le tribunal ne pouvait pas accorder de réparation civile (4).

394. Faut-il faire exception à ces principes dans le cas où l'administration du chemin de fer est en retard de livrer une marchandise dont le transport lui était confiée?

(1) Rejet, chambre civile, 13 avril 1866 (Dalloz, 1866, 1, 342).

(2) Cassation, 24 décembre 1855 (Dalloz, 1855, 1, 66).

(3) Rejet, 15 janvier 1862 (Dalloz, 1862, 1, 144).

(4) Cassation, chambre criminelle, 15 nov. 1861 (Dalloz, 1864, 1, 46).

C'est une question de dommages-intérêts conventionnels, plutôt que de quasi-délit. Mais le principe est le même : pas de dommages-intérêts sans dommage. On prétendait qu'il y avait une clause pénale sous entendue (1). Nous avouons ne pas comprendre ce que c'est qu'une clause pénale tacite n'est-il pas de l'essence de toute peine qu'eile soit déterminée? Il n'y a donc ni clause pénale ni quasidélit.

395. Le dommage moral donne-t-il lieu à une réparation? L'affirmative est admise par la doctrine et par la jurisprudence. Elle se fonde sur le texte et sur l'esprit de la loi l'article 1382 parle d'un dommage en termes absolus qui ne comportent pas de distinction; tout dommage doit donc être réparé, le dommage moral aussi bien que le dommage matériel. C'est ce que Pothier exprimait en ajoutant le mot tout, qui se rapporte au dommage moral (no 384). L'esprit de la loi ne laisse aucun doute; elle veut sauvegarder tous les droits de l'homme, tous ses biens; or, notre honneur, notre considération ne sont-ils pas le plus précieux des biens? Ils sont plus, ils constituent l'essence de notre être. On a puisé une objection dans l'importance même des droits qu'il s'agit de garantir quelle réparation donnera-t-on à l'honneur blessé? l'honneur s'estime-t-il à prix d'argent? Non, certes; mais toute condamnation, fût-elle purement pécuniaire, implique une réprobation morale du fait dommageable. Il est vrai qu'il est impossible d'évaluer en argent le dommage moral, le montant des dommages-intérêts sera donc toujours arbitraire est-ce 1,000 francs? est-ce 10,000 francs? Et pourquoi 10,000 plutôt que 9,000? On ne le sait; mais qu'importe? De ce que le juge ne peut pas accorder une réparation exacte, on ne peut pas conclure qu'il ne doit accorder aucune réparation. L'arbitraire est ici dans la nature des choses et il peut tourner à bien, parce qu'il permet au juge de prononcer des peines civiles sans limite aucune, donc en les proportionnant à la gravité du tort moral. La loi autorise de plus la contrainte par corps;

(1) Jugement du tribunal de commerce de Nantes, 13 juillet 18 0, et la note de l'arrêtiste (Dalloz, 1871, 3, 33).

c'est une sanction nécessaire et parfois la seule possible, quand le débiteur est sans fortune et qu'il appartient à cette race d'êtres malfaisants qui vivent de calomnie et de chantage (1).

396. La jurisprudence a fait de nombreuses applications du principe, nous rapporterons les plus remarquables. Des collatéraux contestent la légitimité d'un enfant; l'action n'avait d'autre fondement que la méchanceté de ceux qui la formaient et qui, par là, portaient atteinte à la moralité des père et mère, ainsi qu'à la considération de la jeune fille c'était une honteuse spéculation. La cour prononça des dommages-intérêts contre les coupables (2). On voit par cet exemple que les condamnations pécuniaires ne sont pas seulement une nécessité, qu'elles sont aussi très-justes : c'est une pensée de lucre qui trèssouvent est le mobile de la méchanceté; en frappant les coupables de dommages-intérêts, on leur inflige la peine qu'ils méritent et on les punit par où ils ont péché.

Il y a une action qui d'ordinaire n'a d'autre mobile que l'intérêt blessé, c'est l'opposition au mariage formée par les collatéraux; la loi permet de les condamner à des dommages-intérêts quand leur opposition est rejetée et qu'elle n'a été inspirée que par de mauvaises passions (art. 179).

397. Nous avons parlé ailleurs des promesses de mariage, elles sont nulles. Mais, quand il y a séduction et, par suite, dommage causé, le fait devient un délit ou un quasi-délit; comme tel, il tombe sous l'application de l'article 1382. Les tribunaux peuvent tenir compte, en cette matière, du dommage moral. Nous renvoyons à ce qui a été dit au premier livre (t. II, no 308).

398. Un père, blessé dans son honneur et sa considération par une imputation diffamatoire dirigée contre sa fille majeure, peut-il demander la réparation de ce délit en portant plainte et en se constituant partie civile, tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille? Il y a un

(1) Gand, 4 juillet 1853, et le réquisitoire de l'avocat général Donny (Pasicrisie, 1853, 2, 293). Bruxelles, 26 avril 1843 (Pasicrisie, 1843, 2, 129). (2) Poitiers, 1er décembre 1869 (Dalloz, 1871, 2, 17).

motif de douter. La fille étant majeure, n'est-ce pas elle seule qui avait le droit de porter plainte et de demander une réparation? La cour de Montpellier a accueilli l'action par le motif que l'on ne peut sérieusement méconnaître que l'estime et la considération qui s'attachent à la conduite honnête et irréprochable des père et mère et des enfants ne soient un patrimoine commun de la famille, dont la conservation et la garde sont spécialement confiées par la morale et la loi à la surveillance et à la sollicitude paternelle (1). » Le considérant ne répond pas à notre scrupule; nous n'y insistons pas, parce que le sentiment moral l'emportera toujours, dans ces affaires, sur la subtilité du droit.

399. Il est de jurisprudence que l'action civile née d'un délit de presse peut être portée directement devant les tribunaux civils. C'est surtout en cette matière que les dommages-intérêts sont une nécessité, quel que soit l'arbitraire de la décision. Il y a une presse qui vit d'outrages, de mensonges et de calomnies. C'est une profonde atteinte à la moralité publique; elle est d'autant plus grave que ceux qui ont toujours l'insulte à la bouche se prétendent les représentants de la religion et de la morale. Le juge doit sauvegarder la moralité publique ébranlée et ruinée par des attaques incessantes qui n'ont d'autre mobile que la haine aveugle que les prétendus défenseurs de l'Eglise portent à ceux qui osent penser librement et qui refusent de plier sous la domination du prêtre.

Sans doute, il est difficile d'évaluer le dommage moral qui résulte des délits de presse; la cour de Bruxelles dit que l'appréciation en est abandonnée à l'arbitrage des tribunaux le juge aura égard à la position pécuniaire des parties, au caractère des imputations, à la publicité qui leur a été donnée et aux motifs qui ont fait agir les auteurs (2).

400. On abuse de la justice, comme on abuse de la presse et des choses les plus sacrées. L'auteur d'un crime, par des manoeuvres coupables et des machinations

(1) Montpellier, 12 novembre 1855 (Dalloz, 1856, 2, 141). (2) Bruxelles, 6 janvier 1847 (Pasicrisie, 1849, 2, 263).

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