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anonyme de précautions contre la fraude, le plus souvent légitimes, toujours sévères et quelquefois minutieuses, et il rejeta à la fin du titre l'association en participation qu'il considérait, avec raison, comme une forme accidentelle et secondaire. Pour les assurances, il copia l'ordonnance de 1681, et par conséquent les assurances maritimes furent réglées, mais il ne fut question ni des assurances contre l'incendie, qui avaient déjà une certaine importance en France, ni des assurances sur la vie dont on ne trouvait alors d'exemples qu'en Angleterre.

La timidité du Conseil d'État à admettre des formes nouvelles provenait surtout du désir de ne laisser aucune prise à la mauvaise foi et aux spéculations ténébreuses; il ne faut pas trop l'en blâmer, il faut même le louer d'avoir consacré celles des formes anciennes dont une longue expérience avait montré la solidité. Mais on peut lui adresser le reproche de n'avoir pas tracé un cadre assez large. Au lieu d'un Code de commerce, c'était un Code de l'industrie et du commerce qu'il aurait dû rédiger. Car entre les deux la distinction est parfois impossible et souvent inutile à marquer. L'une et l'autre créent entre les hommes des rapports d'une nature particulière qui doivent être déterminés par des lois spéciales; il eût été bon que ces lois, et en particulier celle du 22 germinal an XI, y fussent réunies en un même corps, de façon à ce que tout homme fabriquant et trafiquant connût facilement ses droits et ses devoirs, comme chaque citoyen apprend les siens dans le Code civil, qui, d'ailleurs, ayant explicitement défini les droits et les obligations de la propriété foncière et mobilière, était beaucoup trop bref sur le contrat de travail. Dans le Code d'industrie et de commerce auraient pu figurer, sous le titre de propriété industrielle, les brevets d'invention et les marques de fabrique; à côté des tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes, les rapports des patrons et des ouvriers, en même temps que « l'engagement et les loyers des matelots et gens de l'équipage ».

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Le Code traita seulement dans ses quatre livres du commerce en général, du commerce maritime, des faillites et banqueroutes et de la juridiction commerciale, autrement dit régla, non sans méthode, comment les entreprises sont formées et jugées. Sur quelques points mêmes de ces sujets, l'édifice resta imparfait.

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projet avaient ajouté la société par actions et la société en participation; la section les réduisit à trois, en disant que la participation n'étant qu'un fait passager ne donnait pas lieu à une société ; le Conseil d'État ne voulait que la société en nom collectif et la société anonyme; mais on lui prouva que la société en commandite différait essentiellement de la société anonyme.

1. Livre II, titre V.

2. Le livre Ier du Code de commerce, du Commerce en général, comprend huit titres: 1o des commerçants; 2° des livres de commerce; 3o des sociétés; 4o des séparations de biens; 5o des bourses de commerce, agents de change et courtiers; 6o du gage et des commissionnaires; 7° des achats et ventes; 8o de la lettre de change, du billet å ordre et de la prescription.

La législation industrielle de l'Empire n'a donc été ni complète, ni exempte de défauts. Il n'est pas étonnant qu'il en ait été ainsi dans les circonstances où le gouvernement l'établissait, avec la diversité des opinions admises au Conseil et avec le désir de fixer l'incertitude sur des questions relatives à la liberté du travail que l'expérience n'avait pas encore suffisamment éclairées. Dans la perspective de l'histoire, on aperçoit souvent entre la conduite et les principes d'un gouvernement des incohérences que les contemporains, dominés par la passion ou par l'intérêt du moment, ne soupçonnent pas. Néanmoins cette législation, prise dans son ensemble, marqua un progrès dans les destinées du travail; la création des chambres consultatives des arts et manufactures, l'institution des conseils de prud'hommes, la reconnaissance de la propriété des marques et des dessins de fabrique, la publication d'un Code de commerce étaient en elles-mêmes des mesures appropriées aux besoins: le temps aiderait à en reconnaître et à en corriger les imperfections. Elles organisaient en quelque sorte la liberté du travail, qu'il est beau de proclamer, mais qu'il n'est pas facile d'entourer de solides garanties. La Révolution avait eu le premier de ces mérites; l'Empire, malgré certains écarts, eut le second.

CHAPITRE V

LA SCIENCE ET L'ART DANS L'INDUSTRIE

SOMMAIRE.

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Métal

Rétablissement de la sécurité et du crédit (397). La Société d'encouragement pour l'industrie nationale (398).—Activité du premier consul (399). Luxe de la cour (402). — Les expositions et la reprise des affaires (403). - Exposé de la situation de l'Empire en 1806 (409). - Union de la science et de l'industrie pour le perfectionnement des moyens de production par la chimie (410). — La mécanique dans l'industrie textile (413). — Classification des industries (424). lurgie et industries préparatoires mécaniques (425).— Les industries préparatoires chimiques (428). L'agriculture et l'alimentation (430). Les industries textiles (431). Laine (431).- Coton (434). - Chanvre et lin (438). — Soie (440). — Industries diverses (445). L'art et les artistes (447). Rapports de l'art et de l'industrie (456).

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Rétablissement de la sécurité et du crédit. La sécurité est la première condition du progrès industriel; elle est en quelque sorte l'air vital que respire le travail. Le Consulat n'eût-il pas procuré à la société française d'autre avantage que de lui rendre cette sécurité durant une suite d'années, les ateliers se seraient rouverts, des manufactures auraient été fondées, des capitaux, accrus par l'activité de la production, auraient coulé avec la confiance vers les entreprises, et la liberté aurait d'elle-même porté de bons fruits.

Mais les efforts d'un gouvernement guidé par le désir et par l'intelligence du bien peuvent ajouter au bienfait de la sécurité. Ces efforts ne firent pas défaut à l'industrie; durant plusieurs années, ils en secondèrent les progrès jusqu'au jour où, sous l'inspiration d'une politique belliqueuse, ils en contrarièrent le développement naturel, au grand dommage de la richesse nationale et de la fortune de Napoléon. Le Directoire s'était traîné jusqu'au dernier jour de banqueroute. en banqueroute; le discrédit de l'État avait fait fuir l'argent et avait lourdement pesé sur le crédit commercial. Les assignats avaient démoralisé le commerce. 1 Dès les premiers mois du nouveau gouver

1. VITAL ROUX, dans son rapport sur les jurandes et maîtrises, dit (p. 62) que pendant la Révolution les produits des manufactures étaient dégénérés et que la faute ́en était aux assignats, parce que trompés sur le payement, les fabricants trompaient sur la qualité. Son témoignage sur ce point n'est pas isolé. Il ajoutait : « Depuis qu'une monnaie plus indépendante a réglé les échanges, tous les rapports se sont rétablis; le vendeur a été jaloux de contenter l'acheteur. L'intérêt du manufactu rier est meilleur guide que les statuts. »

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nement la régularité introduite dans le service de la trésorerie, le payement des rentes en argent, la création de la Banque de France firent monter la rente, rappelèrent le numéraire et abaissèrent bientôt à 7 et à 6 p. 100 par an le taux de l'escompte pour les bonnes maisons à Paris. «... Cette France, disait un contemporain, est si riche, elle est si industrieuse, qu'à peine l'orage a cessé de gronder, toutes les traces de ses malheurs ont disparu, ses ateliers ont été repeuplés : il s'en est formé de nouveaux ; il s'en forme encore tous les jours, et si la guerre n'avait interrompu son commerce, sa prospérité n'aurait peut-être rien de comparable dans les temps les plus brillants de l'ancienne monarchie. » 2

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La Société d'encouragement pour l'industrie nationale. - Des hommes éminents, tels que Monge, Conté, Berthollet, Fourcroy, Chaptal, comprirent que la liberté se trouvant consacrée par le rétablissement de l'ordre, le moment était venu « d'exciter l'émulation, de répandre les lumières, de seconder les talents », et à l'instigation de Delessert et de Lasteyrie, ils fondèrent, dès 1801, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, ou plutôt ils renouvelèrent une société qui avait été formée sous le même nom en 1789. Ils se donnaient pour mission de recueillir partout les découvertes utiles aux arts et de les répandre, de propager l'instruction industrielle, de provoquer et diriger des expériences, de secourir les artistes malheureux et d'encourager les décou vertes en distribuant des récompenses, d'aider à la création d'institutions semblables dans les villes manufacturières. Ils avaient réuni environ 300 souscripteurs dès le début, et le 9 brumaire an X, la société tint sa première réunion dans une des salles de l'Hôtel de Ville. Le baron de Gérando présidait, et plein de la confiance qui animait alors la majorité des hommes éclairés, il s'écriait : « Sous quels auspices plus heureux pouvait-elle naître ? Elles ont disparu, ces institutions anciennes qui enchaînaient l'industrie et flétrissaient les artistes; ils ont disparu aussi, ces préjugés révolutionnaires qui portèrent partout la destruction avec le désordre. Elles sont tombées à la voix d'un héros pacificateur, ces barrières qui séparaient le peuple français des autres peuples. Six mois ont suffi pour nous rendre l'amitié de cent nations et pour assu

1. A Orléans, l'intérêt avait été de 12 p. 100 sous le Directoire; depuis 1806 il fut de 9 à 11 p. 100. Arch. du Loiret, note communiquée par M. BLOCH, archiviste du département.

2. Rapport de VITAL ROUx, p. 59.

3. Les noms des principaux fondateurs étaient Chaptal, qui fut pendant toute cette période le président de la Société, Lasteyrie, Delessert, Berthollet, Conté, de Gérando, Fourcroy, Regnault de Saint-Jean-d'Angely, F. de Neufchâteau, Frochot, Guyton de Morveau, Monge, Costaz, Montgolfier, Parmentier, Perregaux, Récamier, Ternaux, Vilmorin, Molard, Perrier, Vauquelin, Prony, etc.

4. Il existait depuis 1756 une société du même genre en Angleterre: Society of arts

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rer la paix de l'univers.... » La France complait en profiter pour tourner toute son activité vers les arts pacifiques. Malgré le renouvellement de la guerre, qui ne tarda pas à assombrir cet horizon, la Société poursuivit son œuvre ; elle proposa des prix, et elle eut la satisfaction d'en décerner un grand nombre à d'utiles inventions qu'elle avait ellemême provoquées. 2 Pendant toute la durée de l'Empire et après l'Empire auquel elle a survécu, elle a rendu à l'industrie des services signalés.

Activité du premier consul. - Le premier consul, qui voulait être présent partout, avait pris pour son compte cent actions de la Société et cherchait à communiquer à tous son infatigable ardeur. Tantôt seul, tantôt accompagné de ses collègues, il parcourait les ateliers, questionnait les fabricants, ou donnait au ministre de l'intérieur l'ordre de continuer ces visites quand les affaires de l'État le retenaient ailleurs. Il écoutait les réclamations, il ouvrait lui-même, au nom de l'État, des concours industriels ou dotait certains établissements. Il

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1. Voir le Moniteur de l'an X, p. 992.

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2. Dès la première année, la société mit au concours six questions, pour lesquelles elle offrit des prix de 600 à 3.000 francs: fabrications de filets de pêche, du blanc de plomb, du bleu de Prusse, des vases de métal recouverts d'un émail économique, des vis à bois, repiquage ou transplantation des grains d'automne au printemps. Parmi les prix les plus importants qu'elle proposa et les principales récompenses qu'elle accorda dans les vingt années suivantes, nous citerons : la purification des fers cassant à froid (4.000 fr.), la fabrication du fer-blanc (3,000 fr.), les ouvrages en fer fondu (3,000 fr.), le métier à fabriquer les étoffes façonnées et brochées (3,000 fr.), la fabrication des fils de fer et d'acier pour faire les aiguilles à coudre et les cardes à coton et à laine (6,000 fr.), la fabrication de l'acier fondu (4,000 fr.), les fours à chaux (3,000 fr.), les machines à feu (6,000 fr.), l'acier fondu (4,000 fr.), les machines à peigner la laine (3,000 fr.), les ouvrages de petite dimension en fonte de fer (3,000 fr.). Parmi les inventions qu'elle a provoquées par des questions mises au concours ou qu'elle a encouragées par des récompenses, on peut citer les machines à fabriquer les filets de pêche, le perfectionnement de la fabrication du bleu de Prusse, le procédé pour juger instantanément de la qualité du verre, les machines à filer et à carder la laine, la carbonisation du bois, diverses applications économiques de chauffage, la fabrication des poteries, de la fonte du fer, du vernis, des cuirs imperméables, les lampes de sûreté, les procédés de clichage, les lampes à courant d'air, les serrures de sûreté, la simplification du métier à bas, la fabrication des vis à bois, du fer-blanc, de l'acier fondu, la construction des fours à chaux. Voir les rapports de CoSTAZ, entre autres celui de 1808. Moniteur de l'année 1808, p. 1010. Voir aussi les Bulletins publiés par la Société.

3. Parmi les manufactures qui furent visitées, on peut citer la fabrique de lampes à courant d'air de Lange, la filature de lin de Fournier, la briqueterie de Stainville, la porcelainerie de Greder, la fabrique de limes de Raoul, la menuiserie de Foubert, etc., etc.

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4. Un des premiers prix fut proposé pour le perfectionnement des machines à carder la laine. Arrêté du 22 messidor an IX. Voir le Moniteur de l'an X, p. 1374. 5. Autorisation donnée à la manufacture des bonnets de Tunis, à Orléans, de s'appeler Manufacture nationale. Subvention de 6,000 livres par mois à la manufac

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