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CHAPITRE VII

CONDITION DES PERSONNES

SOMMAIRE.

Recherche du bien-être (495).

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Condition légale de l'ouvrier et de l'apprenti (497). - Le salaire (499). La conscription et le mouvement de la population (503). La crise, le chômage et la mutualité (506). Les mœurs des ouvriers de Paris (507). De la condition des ouvriers dans l'Orne et à Nîmes (510). Le compagnonnage (511). Attitude de l'Empire à l'égard de la classe ouvrière (519). Le Mont-de-Piété (520). Assistance et mendicité (521). Résumé de l'œuvre du Consulat et de l'Empire (529).

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L'instruction (524).

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Recherche du bien-être. En bouleversant les fortunes et les conditions, la Révolution tendait à changer la manière de vivre des classes de la société. La recherche du bien-être devint plus générale 1: conséquence logique des institutions nouvelles. C'est ainsi que les lois. réagissent sur les mœurs, et que l'homme qui se sent devenu l'égal de son voisin par les droits civils, aspire à devenir aussi son égal par les jouissances. Le progrès se fit d'autant mieux sentir au commencement du XIXe siècle qu'il avait été précédé par dix années d'épreuves. La monarchie absolue s'était terminée au milieu d'une disette, et le régime de la liberté avait d'abord porté des fruits amers non seulement pour les industriels, mais aussi pour un grand nombre de propriétaires fonciers; la disette avait été prolongée par la mauvaise administration des subsistances; les réquisitions, le papier-monnaie, l'interruption du payement des fermages avaient troublé la vie agricole sans appauvrir les fermiers. Ces fléaux furent écartés un peu sous le Directoire, beaucoup plus sous le Consulat.

Les paysans cultivateurs commencèrent, surtout après que le Concordat eut rassuré les acquéreurs de biens nationaux, à jouir paisiblement des biens de la Révolution. Ils avaient été les premiers à en

1. Les mœurs avaient jusqu'en 1789 conservé presque dans toutes les classes leur antique simplicité. Aujourd'hui le faste éblouit et subjugue tous les esprits; personne n'est assez sage pour s'en défendre. Les mœurs sont changées, de même que le genre de vie; la dépense est quintuplée. » Mém, statisl, sur le département de la Moselle, an XII, p. 105. Il y a dans les expressions du préfet une exagération évidente, cependant le fond de sa pensée est vrai et se retrouve dans d'autres mémoires.

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recueillir les bénéfices matériels. Le nombre des propriétaires avait augmenté ; les petites propriétés, débarrassées des gênes et des redevances de la féodalité, avaient été peut-être un peu mieux cultivées ; la petite culture, quoique livrée à la routine, s'était mise sur quelques points, bien rares encore, à supprimer les jachères et à pratiquer les méthodes d'assolement de la Flandre et de l'Angleterre. Sous le Consulat et l'Empire, certaines cultures, comme celles de la garance, de l'œillette, de la betterave, du pastel, se développèrent; des champs furent plantés de vignes; la pomme de terre occupa plus de 500,000 hectares. << Si l'on compare l'agriculture à ce qu'elle était en 1789, dit avec complaisance un contemporain, on sera étonné des améliorations qu'elle a reçues; des récoltes de toute espèce couvrent le sol; des animaux nombreux et robustes labourent et engraissent la terre. Une nourriture saine et abondante, des habitations propres et commodes, des vêtements simples, mais décents, tel est le partage de l'habitant des campagnes : la misère en a été bannie et l'aisance y est née de la libre disposition de tous les produits. » Certains détails de ce tableau pouvaient être embellis; mais le fond est vraisemblable: la population des campagnes parait s'être accrue, même pendant la période revolutionnaire. 3

La bourgeoisie avait été émancipée, comme la classe rurale, par les institutions de la Constituante. Plus de manufactures royales, plus de maîtrises la carrière était ouverte et chacun avait le droit d'y entrer. Mais l'industrie a, plus encore que l'agriculture, besoin d'être enveloppée de sécurité. Elle vit par l'échange et en partie par le luxe; or, le maximum et les assignats avaient paralysé l'échange, et le désir naissant du bien-être chez les petits ne remplaçait pas encore, en 1800, le luxe éclipsé des grands. Les nobles avaient fui ou se cachaient; les gens de robe ou de finance étaient ruinés par le remboursement fictif de leurs offices, et la plupart de ceux qui conservaient des débris de leur fortune, auraient craint de les étaler au grand jour avant le Con

1. « Jusqu'à présent l'agriculture a obtenu tous les avantages de cette Révolution dont l'industrie a très peu profité... Un tel changement est provenu du délabrement des fortunes, de la perte des capitaux... L'agriculture s'est améliorée non dans l'exploitation des fermes, mais sous le rapport seulement que des bras antérieurement oisifs ou mercenaires se sont appliqués à en multiplier les produits sur de médiocres ou de petites propriétés, sur des portions communales qui ont été continuellement tenues en culture: ce qui a diminué les jachères et les pâtis. » Mém. statist. sur le département de la Moselle, an XII, p. 51.

2. CHAPTAL, de l'Industrie française, t. I, p. 153.

3. La population de la France en 1789 ne peut guère être, à travers les évaluations diverses de cette époque, portée à plus de 26 millions d'habitants (Voir la Population française, par E. LEVASSEUR, t. I). Le recensement de 1801, le premier qui ait été fait, accuse 27,349,003 habitants pour le territoire de l'ancienne France, et ce chiffre, si l'on en uge par le recensement de 1806, est probablement trop faible.

sulat. Les équipages étaient devenus rares, en province surtout, et l'on ne voyait presque plus de domestiques mâles. Les artisans souffraient de cette contraction de la dépense. « Dans les villes, disait un préfet, le journalier est misérable par la dispersion des capitaux et des fortunes qui y étaient rassemblés, tandis que celui des campagnes a recueilli tous les avantages de la Révolution; l'un est réduit à solliciter de l'ouvrage, tandis que l'autre a presque besoin d'être sollicité. »>

Il ne faudrait pourtant pas exagérer le changement qui s'était opéré dans la manière de vivre. Les générations qui donnaient le ton sous l'Empire avaient été élevées sous l'ancien régime : les gens de quarante ans en 1810, venaient d'atteindre la vingtaine lors de la convocation des États généraux; une grande partie de la jeunesse masculine qui arrivait à la vingtième année à partir de 1808 était successivement appelée sous les drapeaux et y est restée jusqu'en 1814, ou a succombé. A la campagne, si les fermiers s'étaient arrondis en ne payant plus de redevances ou en achetant des biens nationaux, la masse des journaliers n'avait pas eu les moyens d'acquérir de la terre et demeurait, comme auparavant, dans le salariat. Dans les villes, les ouvriers avaient sous l'Empire un peu plus de bien-être, mais ils vivaient pour la plupart, comme par le passé, au jour le jour. Si de petites bourgeoises en province s'étaient coiffées d'un chapeau qu'elles n'auraient pas osé porter sous Louis XVI, beaucoup aussi conservaient le bonnet ou la mante et dans les villes, même à Paris, les ouvrières et les bonnes n'auraient pas osé prendre la même coiffure que les dames.

Nous avons dit comment le Consulat fit promptement disparaître les causes de malaise qui avaient paralysé l'industrie pendant la Révolution, comment les industriels rentrèrent dans la carrière, soutenus à la fois par les encouragements du premier consul, puis par les pompes de la cour et de l'administration impériale, et surtout par ce besoin croissant de consommation qu'éprouve et que peut satisfaire une nation qui s'enrichit par le travail. La grande manufacture et les fournitures militaires donnèrent naissance à quelques fortunes considérables; les arts et métiers prospérèrent. Les années qui s'écoulèrent de 1800 à 1811 ont laissé de brillants souvenirs dans les ateliers.

Condition légale de l'ouvrier et de l'apprenti. Les ouvriers ne furent pas traités par l'Empire avec la même sollicitude que l'industrie. Nous avons vu que la police les tenait en tutelle, que les articles 414, 415 et 416 du Code pénal, qui punissaient les coalitions, n'avaient pas tenu la balance égale entre les patrons et les ouvriers, que le Code Napoléon avait établi une différence, fondée sur le prin

1. Mém. statist. sur le département de la Moselle, p. 104.

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cipe de subordination par l'article 1781. Le décret du 3 août 1810, relatif aux conseils des prud'hommes, accusait aussi cette subordination: « ART. 4. — Tout délit tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, tout manquement des apprentis envers leurs maitres pourront être punis par les prud'hommes d'un emprisonnement qui n'excédera pas trois jours; » juridiction disciplinaire qui s'exerçait sans préjudice du tribunal de police et du tribunal correctionnel.

Le Code défendait la liberté individuelle contre les faiblesses de l'ignorance ou de la misère: il ne reconnaissait pas les engagements à vie ou trop longs (art. 1780); la loi du 22 germinal an XI stipulait même que l'engagement contracté par un ouvrier ne devait pas excéder un an. Pour les gens de service, le salaire d'une année entière constituait une créance privilégiée (art. 2101); pour le salaire le droit de l'ouvrier créancier se prescrivait par six mois (art. 2271). Le patron avait le droit de faire des retenues pour s'indemniser des malfaçons. Les salaires étaient saisissables comme tous les autres biens d'un débiteur. Le livret était obligatoire : nul ne pouvait employer un ouvrier ou un apprenti sans certificat d'acquit du patron qui avait employé auparavant l'ouvrier ou l'apprenti. Sur le livret le patron inscrivait les avances faites à l'ouvrier, et si celui-ci venait à changer de maison, le nouveau patron était obligé d'acquitter la dette par des retenues sur le salaire. Les patrons, comme commettants, étaient rendus civilement responsables de leurs ouvriers (art. 1384); mais ils pouvaient exercer ensuite leur action en remboursement contre l'ouvrier fautif. Si l'ouvrier était blessé ou tué par le fait du travail, il y avait matière à des dommages et intérêts pour lui ou pour ses héritiers, mais la demande était nulle si le mal provenait d'une négligence constatée de l'ouvrier. 1

Les chaînes de l'apprentissage étaient tombées. La classe ouvrière voulut échapper à la longueur du noviciat que lui avaient pendant des siècles imposée les statuts. Dans l'orfèvrerie, par exemple, l'apprentissage à Paris était en général de cinq à huit années sous l'ancien régime; il fut réduit en général à cinq ans quand le patron devait nourrir l'apprenti, à quatre ans sans nourriture, et même à trois ans quand l'apprenti consentait à payer pension. Dans les métiers qui exigeaient une moins longue initiation, le temps moyen fut de trois ans environ. Mais les élèves ne respectaient pas toujours un contrat auquel la loi n'attachait plus de sanction.

On aurait pu craindre que le nombre des apprentis ne diminuât, chacun étant libre de s'intituler ouvrier ou maître; ce fut, dans beau

1. Voir les Rapports des maîtres et ouvriers, par FERNAND GIRAUD, et le Code civil. 2. Dans l'Eure, le maître nourrissait ordinairement pendant la troisième année, et se faisait payer une somme de 50 à 100 francs. Mém, statist. de l'Eure, p. 35.

coup de cas, le contraire qui se produisit. Les patrons, libres aussi, en formèrent davantage, parce que le travail de ces auxiliaires, moins rémunérés, laissait dans certaines branches de l'industrie plus de profit à l'entrepreneur, et l'on vit, ce qui eût été un scandale au temps de la corporation, des ateliers comptant jusqu'à quatre apprentis pour deux ou trois ouvriers. On vit aussi, ce qui était plus nouveau encore quoique non sans exemple, des ouvriers à la journée ayant un apprenti à leur compte et le faisant travailler à leur côté dans l'atelier du maître. C'était entre douze et quatorze ans que l'enfant entrait ordinairement à l'atelier. Mais dans les villes manufacturières, on tirait plus tôt parti de son travail; souvent, dès l'âge de sept ans, et même avant, on l'envoyait travailler à la fabrique 3, ou on lui donnait, à la maison, à éplucher, filer, dévider de la laine ou du coton. *

Le salaire. Les dépenses de la vie avaient augmenté pendant la Révolution, non seulement parce qu'on consommait probablement davanlage, mais parce que le prix des principales consommations avait haussé. On estimait à une livre la nourriture d'un ouvrier à Evreux

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1. Un bijoutier à Paris, sur lequel j'ai eu des renseignements jadis par un contemporain, avait quatre apprentis, deux ou trois ouvriers et une polisseuse. Ce témoin m'affirmait que les ouvriers formés par l'apprentissage avant 1789 n'étaient pas plus habiles que les nouveaux.

2. Les ouvriers chapeliers ont fait revivre, mais dans une autre pensée, une prétention de ce genre en 1865. La loi du 22 février 1851 l'autorise en termes exprès. 3. Mém. statist. du département de l'Indre, p. 296.

4. Mém. statist. du département de l'Eure, p. 34.

5. Voici, par exemple, la comparaison de quelques prix en 1789 et en l'an IX :

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Voir les Mém. statist. du département de la Moselle, p. 112; du département de

l'Eure, p. 55, et du département des Deux-Sèvres, p. 215.

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