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propriétés foncières aurait dû constituer l'impôt unique : mais, fait observer La Rochefoucauld, « l'application de « l'impôt unique, possible peut-être dans un pays neuf, se<rait impraticable dans un pays longtemps livré à une << administration arbitraire et variable. » (La Rochefoucauld, 18 août 1790.)

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Par tolérance donc, après s'en être excusé, au fond par nécessité budgétaire, le comité de l'imposition ajouta à la contribution foncière des 'perceptions d'autres sortes. Les principes établissent les contributions directes, la né<cessité exige les contributions indirectes», disait Camus, membre du comité des finances. A la suite de la contribution foncière, il fut dès lors résolu qu'on créerait, à titre exceptionnel, une contribution sur les facultés, ayant pour bases la qualité de citoyen actif et le prix du loyer des maisons, c'est la contribution mobilière, puis un droit sur les actes, les mutations de propriété et le timbre; les traites à l'intérieur seront supprimées, la culture, la fabrication et la vente du tabac deviendront absolument libres, la loterie disparaîtra, dès que la balance entre les recettes et les dépenses permettra de prononcer ce salutaire décret. (Rapport du 18 août 1790.)

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Le programme ajoutait que des droits sur les boissons et sur les entrées des villes seront conservés « parce que les << besoins sont grands »; mais l'assemblée ne ratifia pas cette dernière partie des projets de son comité. Les droits d'enregistrement, de timbre et de douane survécurent donc, par tolérance, ou plutôt par nécessité; tous les autres impôts indirects se trouvèrent systématiquement éliminés.

II

Pendant toute sa durée, la Révolution continua à se priver volontairement du secours des impôts indirects. Même à la fin de son existence, alors que la faillite sur les assignats et sur les rentes venait d'être consommée, que la détresse atteignait son maximum, malgré les propositions du gounement pressé par les besoins d'argent, les conseils du Directoire, animés du même esprit que leurs devanciers, persistèrent à repousser l'impôt sur le sel et le monopole des tabacs.

<< Il faut peut-être un grand courage », disait le ministre des finances en l'an IV, aux débuts du Directoire,« pour <<<oser replacer sur la liste des revenus publics le produit << de certaines contributions que des déclamations, fondées << sur des abus qui ne peuvent plus renaître, ont discrédi<<tées dans l'opinion publique. »

<< Ainsi, la proposition de percevoir un droit, quelque <modique qu'il soit, sur la consommation du sel devra << naturellement se présenter, au premier aspect, avec une « extrême défaveur. Elle rappelle de douloureux souve<< nirs..... Que peut-il y avoir, cependant, de commun entre << ce régime dévorant et l'établissement d'un droit à l'extrac<<tion des marais salants. Les mêmes considérations pa< raissent devoir déterminer à procurer 10 ou 12 millions « au Trésor sur la consommation des tabacs. » (Rapport du ministre des finances au Directoire exécutif, sur les moyens de rétablir l'équilibre, 25 germinal an IV. — Arch. nat., A. F. III, 115.)

Le détail des discussions relatives à l'impôt sur le sel et au monopole des tabacs se trouve exposé dans les chapi

tres suivants. On y verra que, si les conseils des Cinq-Cents et des Anciens refusèrent, par leurs votes, de ratifier les projets d'impôts indirects qui leur furent soumis, un grand revirement cependant s'était produit dans les esprits. Il s'en fallut de peu que les nouvelles taxes ne fussent adoptées, et beaucoup d'orateurs, parmi les plus influents, ne craignirent pas de les recommander ardemment. Quelques années plus tôt, personne n'aurait osé se compromettre à ce point. Le discours d'un membre du conseil des CinqCents, en l'an VI, débutait ainsi : « Représentants du peu<< ple, j'aime les contributions indirectes : le produit en est << clair et certain; le poids en est facile à supporter; elles << se confondent avec la valeur pécuniaire de l'objet im< posé, et on les paye d'une manière tellement commode << et insensible, que presque toujours la foule des citoyens « ignore si elle les a payées. » (Opinion de Riou sur le projet de la commission des finances, Cinq-Cents, 24 frimaire an VI.)

Un autre orateur alla jusqu'à préconiser dans l'impôt indirect précisément le résultat qu'on lui reproche le plus vivement, celui de frapper l'alimentation du pauvre. Il s'exprimait ainsi : « Le riche, s'écrie-t-on, doit payer, et << non le pauvre ! Imposer les objets de première nécessité, << c'est imposer le pauvre, l'ouvrier, l'artisan !... Je suis

si éloigné de partager cet avis, que je soutiens, au con<< traire, que l'impôt ne doit jamais porter que sur des objets << de première nécessité, si l'on ne veut pas anéantir le << pauvre et l'artisan, écraser l'ouvrier. Il n'y a que les ob<jets de première nécessité qui puissent être imposés sans << nuire à l'industrie. Le riche et l'homme industrieux ont << également besoin l'un de l'autre. L'ouvrier vit de ce qu'il << reçoit. Il se fait donc toujours rembourser de l'impôt. « Il en résulte que le riche paye l'impôt du pauvre sans s'en

« apercevoir. » (Discours de Bailleul, Cinq-Cents, 11 vendémiaire an VII.)

De telles déclarations n'avaient jamais résonné dans l'enceinte de l'assemblée constituante: elles révélaient un profond changement d'idées, et montraient que le moment de la restauration des impôts indirects n'était pas éloigné. Au commencement du siècle, en effet, l'Empire rétablit cette source féconde de revenus : les droits sur les boissons, en 1804, les droits sur le sel, en 1806, et le monopole des tabacs, en 1808.

Les écrivains financiers contemporains, en jugeant les travaux de l'assemblée constituante, déplorent tous l'esprit systématique qui domina ses délibérations:

<< Les idées de Turgot et des physiocrates exercèrent mal< heureusement une influence bien marquée sur les gran< des réformes financières accomplies par l'assemblée con<stituante.» (Répertoire de législation de Dalloz, V° ÉcoNOMIE POLITIQUE.) « La majorité de l'assemblée votait << sous l'influence des idées économiques que plusieurs < membres avaient puisées dans la fréquentation et la lectu<< re des physiocrates. » (Dictionnaire d'économie politique. V° PHYSIOCRATES.)

Un économiste de grand mérite, Blanqui, a spécialement résumé, de la manière suivante, la situation qui nous occupe. Quelle que fût la hardiesse et l'originalité des ré<< formateurs de 1789, dit-il, ils étaient encore trop imbus des principes qui dominaient à cette époque dans le monde philosophique et économique, pour ne pas céder à leur << influence, quand le moment se présenta d'en faire l'ap<plication. Ainsi les idées des physiocrates déterminèrent << l'assemblée constituante à concentrer tout le poids des <impôts sur la propriété foncière; à peine consentit-on

<< d'y joindre les taxes mobilières et les droits de douanes. < La France se vit privée, d'un trait de plume, des ressources <immenses qu'elle aurait pu retirer des contributions <imposées à tous les producteurs.» (Blanqui, Histoire de l'économie politique.)

En entreprenant l'étude individuelle de chacun des impôts indirects existant aujourd'hui, nous allons avoir l'occasion de vérifier de plus près l'exactitude de ces conclusions générales.

Nous nous occuperons d'abord des principaux impôts indirects éliminés par la Révolution, les gabelles, les aides et les droits sur le tabac.

Puis, nous aborderons l'analyse de ceux qui survécurent en 1789, enregistrement, timbre et douanes, en suivant, pour les uns et pour les autres, le même ordre que pour la contribution foncière et les impôts directs, c'est-à-dire en faisant ressortir le lien qui unit les institutions de l'ancien régime aux institutions actuelles.

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