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Ce projet fut ajourné par la Délégation, conformément aux conclusions du rapporteur de la Commission spéciale qu'elle avait nommée, M. Gunzert: « Les études auxquelles la Com<< mission s'est livrée, dit-il, sont d'une nature trop com<< plexe pour aboutir dès à présent à un rejet ou à une ac<<ceptation du projet du Gouvernement. A raison de la diffi<«< culté de la matière et de sa grande portée économique, << elle vous propose de ne pas entrer dans un examen plus <«< approfondi pour permettre à la Délégation et au pays << d'examiner la réforme dans tous ses détails. »1

Une nouvelle tentative faite par le Gouvernement en 1886 a été de nouveau l'objet d'un ajournement de la part de la Délégation; mais, en 1889, elle a voté une loi transitoire que le Gouvernement lui proposait et qui a pour but de faciliter le passage de la législation hypothécaire du Code civil français au régime du livre foncier réel. Cette loi tend, d'après les expressions du rapporteur de la Commission, M. Gunzert, « à éclairer, dans la mesure du possible, la situation << actuelle de la propriété foncière et à faciliter plus tard l'in<<< troduction des livres fonciers. » Nous allons en indiquer les principales dispositions.

72. La loi du 24 juillet 1889 soumet à la forme notariée tous les actes translatifs ou déclaratifs de propriété, ventes, échanges et partages; si ces actes sont passés en la forme sous seing privé, ils n'engendrent entre les parties que l'obligation de passer un contrat authentique, et, en cas d'inexécution, ne donneront lieu qu'à des dommages et intérêts.

Mais, pour ne pas rendre trop onéreux ce recours aux notaires désormais obligatoire, la loi du 24 juillet 1889 a diminué, dans une assez large mesure, les honoraires auxquels ils ont droit. De plus, dans un intérêt de crédit immobilier, elle a diminué les droits de transcription, de timbre et d'enregistrement, ainsi que les droits de toute nature afférents aux inscriptions hypothécaires.'

'Cité par M. Besson, Op. citat., p. 225-226.

2 Cité par M. Besson, Op. citat., p. 226.

5 Voir, quant au détail des réductions opérées, le Bulletin de

Les notaires sont tenus de faire transcrire tous les actes translatifs ou déclaratifs de propriété par eux reçus, et ils sont responsables en cas d'inaccomplissement de cette formalité.

Toutes les hypothèques sont soumises au double principe de la publicité et de la spécialité, l'hypothèque judiciaire et l'hypothèque légale des incapables aussi bien que l'hypothèque conventionnelle.

Pour l'hypothèque judiciaire, le créancier qui a obtenu un jugement de condamnation doit spécifier, dans son inscription, les immeubles sur lesquels va porter son hypothèque.

Pour l'hypothèque légale du mineur, le conseil de famille fixe les sommes pour sûreté desquelles l'inscription doit être prise et détermine les immeubles qui en seront grevés; il peut même décider, suivant les circonstances, qu'il n'en sera pas pris, si le tuteur consigne des sommes suffisantes, ou si la fortune du mineur n'en doit pas souffrir. L'inscription sera prise à la requête du magistrat cantonal. Les décisions du conseil de famille peuvent être modifiées par lui au cours de la tutelle, et les inscriptions étendues ou restreintes, avec l'homologation des tribunaux régionaux.

L'hypothèque légale de la femme peut être inscrite à compter du jour du mariage, ou même avant le mariage et en vertu des stipulations du contrat de mariage, sous la condition que le mariage soit ensuite célébré ; et elle devra l'être au cours du mariage, pour les causes de créance qui naîtraient au profit de la femme pendant sa durée. Cette hypothèque n'a d'effet que du jour de l'inscription, et cette inscription fixe la somme pour laquelle elle est requise et détermine spécialement les immeubles qui seront grevés. La femme peut d'ailleurs renoncer à son hypothèque légale sur des immeubles déterminés, ou y subroger des tiers, avec la seule autorisation de son mari, sans intervention de la justice.

Ni l'hypothèque légale de la femme, ni celle du mineur ne sont soumises au renouvellement décennal, tant que dustatistique et de législation comparée du Ministère des finances, juin 1890, et Besson, Op. citat., p. 229-231.

rent le mariage et la minorité, et le droit commun ne reprend son empire qu'après la dissolution du mariage ou la cessation de la tutelle.

Enfin, quant au privilège du vendeur avec lequel l'action résolutoire continue d'être liée, l'inscription doit être prise pour sa conservation dans les quarante-cinq jours de la vente, faute de quoi le privilège dégénère en simple hypothèque.1

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73. La loi du 22 juin 1894, qui constitue le régime hypothécaire actuel de l'Alsace-Lorraine, place ce pays dans une situation plus rapprochée du système germanique que du système français, en ce sens qu'elle substitue à nos formalités de l'inscription et de la transcription l'inscription au livre foncier ; à ce point de vue, nous devrions nous en occuper au § II, Groupe des législations du système germanique.

Mais, par certains côtés, le système de la loi du 22 juin 1891 se rapproche encore du système français, et n'est qu'un pas de plus pour la préparation de l'Alsace-Lorraine à l'établissement du système germanique complet.

D'abord le livre foncier de l'Alsace-Lorraine est établi non par feuillets réels, dans lesquels chaque immeuble individualisé a son histoire juridique, mais par feuillets personnels, comme notre matrice cadastrale. On a considéré que le morcellement de la propriété en Alsace-Lorraine était trop grand pour permettre de procéder par feuillets réels.

Puis, d'après la loi du 22 juin 1891, l'inscription au livre foncier n'est pas nécessaire pour la translation de la propriété entre les parties: pourvu que le contrat soit reçu en la forme authentique, suivant les exigences de la loi du 24 juil

1 Voir, sur la loi du 24 juillet 1889 Blumstein, Etude sur la transmission de la propriété foncière et le système hypothécaire en Alsace-Lorraine, dans le Bulletin de la Société de Législation comparée, 1889-1890, p. 373 et suiv.; Besson, Les Livres fonciers et la réforme hypothécaire, p. 224-231; Dansaërt et Brunard, Rapport sur l'immatriculation des immeubles, p. 37-41.

let 1889, il est valable inter partes, et le nouveau propriétaire ne sera obligé de faire inscrire son titre que pour l'opposer aux tiers, comme au système de notre loi du 23 mars 1855.

De plus, tandis que, dans le système germanique, nul ne peut contester aux tiers de bonne foi les droits qui naissent de l'inscription au livre foncier, cette inscription, dans le registre créé en Alsace-Lorraine, ne donnera pas au titulaire plus de droits que n'en avait son auteur, comme l'inscription hypothécaire et la transcription sous le régime de notre Code civil et de la loi du 23 mars 1855.

La loi du 22 juin 1894 est donc elle aussi, comme la loi du 24 juillet 1889, une loi de transition, se rapprochant de plus en plus de la législation foncière de Prusse et ayant pour but d'en préparer l'adoption complète ; mais elle en diffère assez pour n'appartenir ni à l'un ni à l'autre des deux groupes français ou germanique, et, pour ne pas scinder nos explications sur la législation d'Alsace-Lorraine, nous allons l'étudier immédiatement, sous la rubrique, inexacte dans la mesure que nous venons d'indiquer, de Groupe de législations du système français.'

74. Le feuillet foncier créé par la loi du 22 juin 1894 a pour but de remplacer la matrice cadastrale: le système qu'il inaugure ne peut donc être appliqué que dans les communes où le cadastre est révisé, par application de la loi du 31 mars 1874, et il résulte des déclarations du Gouvernement, au cours de la discussion de la loi de 1891, qu'au 1er avril 1894 la révision n'était faite que pour 164 communes, soit un dixième du total: il suit de là que jusqu'à l'achèvement complet de la révision, c'est-à-dire pendant de longues années encore, à en juger par le résultat des dix-sept premières années de travail, l'Alsace-Lorraine va être soumise à deux régimes fonciers, le régime de la trans

Voir, pour l'étude de cette loi, la Notice de M. Challamel, en tête de la traduction qu'il en a donnée dans l'Annuaire de Législation étrangère, 1892, p. 331 et suiv.

• Challamel, Op. citat., p. 332.

GUIL. Privilèges, 1.

cription et de l'inscription sur les registres du conservateur des hypothèques, pour les communes où la révision cadastrale n'est pas faite, et le régime du feuillet foncier, tenu sous l'autorité du tribunal cantonal, pour les communes où le cadastre est révisé.

Pour remédier aux inconvénients graves de ce dualisme, qui est de nature à jeter beaucoup de confusion sur l'état de la propriété foncière, le Gouvernement avait proposé la création d'un rouage intermédiaire entre les livres fonciers et les registres hypothécaires, un répertoire foncier, Grundbuchregister, sorte de registre foncier provisoire où les immeubles figureraient dans leur état actuel de possession; mais ce système, nécessairement imparfait et de nature à amener des complications nouvelles, a été rejeté par la Délégation, et le dualisme que nous venons de signaler durera jusqu'à la révision intégrale du cadastre.

75. Le livre foncier d'Alsace-Lorraine est tenu non par les conservateurs des hypothèques, mais par les tribunaux cantonaux. Le rôle du juge cantonal n'est pas de vérifier l'identité et la capacité des parties, ni la validité intrinsèque des actes, car cette vérification rentre dans les attributions du notaire qui a reçu l'acte, mais seulement la régularité extérieure des actes, leur validité extrinsèque.

Ce rôle donné au juge cantonal a été critiqué, lors de la discussion de la loi, par M. Petri :

<< La tenue des livres fonciers, disait-il, n'est qu'une af<< faire de pure formalité ; l'important, c'est d'y apporter une «<exactitude, une ponctualité rigoureuse; or cette qualité << se trouvera sans doute à un plus haut degré chez un sim«ple employé que chez un magistrat.

<< Il y a dans nos lois récentes une tendance beaucoup << trop marquée à faire du juge cantonal une sorte d'agent << administratif; c'est rabaisser sa fonction. Ce n'est donc << pas assez des liquidations immobilières, et des faillites, et << des affaires d'exécution forcée, et des partages judiciaires <«<et des tutelles : voilà le juge cantonal qui devra mainte

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