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Ces lois constituent, disons-nous, le régime actuel de l'Espagne: en effet, un projet de loi dont la prise en considération a été votée le 19 février 1890, et dont nous allons parler, aurait pour effet de changer ce régime pour y substituer une législation analogue à celle de l'Act Torrens. Nous ne savons pas quel a été, depuis cette date, le sort de ce projet.

88. — Dans l'état actuel de la législation espagnole, le système en vigueur est, en la forme, celui du livre foncier : sur un registre public, ouvert à tous les intéressés (article 607 du Code civil de 1889), doivent être inscrits, comme en Prusse, tous les actes intéressant la condition de la propriété foncière, actes translatifs de propriété ou constitutifs de droits réels immobiliers, mutations d'immeubles ab intestat ou par testament, servitudes, droits d'usufruit, d'emphytéose, d'usage et d'habitation, baux de plus de six ans, quittances par anticipation de trois ans de loyer, déclaration d'absence, jugement d'interdiction, et, d'une manière générale, tous les actes ou jugements restreignant la capacité de disposer des propriétaires.

Ce registre foncier, ou registre de la propriété, est tenu dans chaque arrondissement judiciaire par un conservateur, Registrador.

881. Toutes les hypothèques sont soumises au régime de la publicité et de la spécialité, quelle qu'en soit l'origine, qu'elles soient conventionnelles ou légales, même l'hypothèque légale existant au profit de l'Etat, des provinces et des communes sur les biens de leurs comptables et des contribuables. Il n'y a de dispenses d'inscription que pour les privilèges correspondant à ceux de l'article 2406 du Code civil français, mais cette dispense même n'apporte aucun échec au principe de la publicité, car ces privilèges seront primés sur les immeubles par toute hypothèque régulièrement inscrite.

L'hypothèque légale de la femme mariée est inscrite par elle-même, si elle est majeure, et, si elle est mineure, à la requête de ses père ou mère, de ceux qui lui ont constitué

une dot, de son tuteur, et, à leur défaut, du magistrat du ministère public près le tribunal de district.

L'hypothèque légale du mineur est inscrite à la requête du tuteur; et, au cours de la tutelle, si la garantie primitive devient insuffisante, le juge devra exiger d'autres sûretés et même ordonner, s'il y a lieu, le placement des capitaux du mineur et le dépôt de l'excédent de ses revenus.

Pour assurer l'inscription de l'hypothèque des incapables, femme mariée ou mineur, voici ce que prescrit encore la Joi espagnole: tout notaire qui reçoit un contrat d'où résulte une hypothèque légale à leur profit doit la mentionner expressément dans l'acte, et, dans les quarante-huit heures, adresser un extrait analytique de l'acte au bureau de la conservation. Si, dans les trente jours qui suivent, l'hypothèque n'a pas été inscrite, le conservateur ou Registrador en informe le ministère public, pour qu'il puisse requérir d'office cette inscription; et, tous les six mois, il envoie au président du tribunal le relevé des extraits à lui adressés par les notaires et non suivis d'inscription.

88 11.

L'inscription au livre foncier ne peut être faite qu'en vertu d'un titre authentique, jugement ou acte authentique émanant du gouvernement et de ses agents, et cela qu'il s'agisse de l'inscription d'un titre de propriété ou d'un droit hypothécaire. Toutefois cette règle ne s'applique pas aux personnes qui requièrent l'inscription en vertu de titres de propriété antérieurs à la promulgation de la loi hypothécaire; elle ne s'applique pas non plus à ceux qui n'invoquent point un titre écrit, mais la prescription acquisitive accomplie par l'effet d'une longue possession. Les premiers seront inscrits comme propriétaires, l'acte sous seing privé restant annexé au livre foncier; et les seconds, après enquête et autorisation du tribunal, seront inscrits comme possesseurs, et sous réserve par la partie lésée d'attaquer l'inscription au pétitoire.

89. La loi espagnole admet le système des prénotations, Anotaciones preventivas, analogues au Vormerkung de

la loi prussienne dont nous avons parlé.' Toutes les fois qu'un droit réel ne peut être immédiatement inscrit, à raison de son caractère provisoire ou indéterminé, il fait l'objet d'une prénotation ou annotation préventive, qui informe les tiers du droit prétendu ; et, au jour où ce droit est devenu définitif ou déterminé, l'inscription définitive rétroagit, au respect des tiers, à la date de l'inscription préventive.

C'est ce qui a lieu, soit par l'autorité du conservateur, soit, en cas de refus de sa part, en vertu d'une décision de justice, dans le cas où le titre du requérant est entaché d'un vice réparable; dans le cas où le conservateur, avant d'inscrire définitivement, croit devoir en référer aux magistrats ou à l'administration supérieure ; dans le cas d'actions en revendication ou en déclaration de droit réel, en interdiction, en déclaration de décès d'un absent, et dans le cas de saisie.

Enfin la prénotation remplace en Espagne l'hypothèque judiciaire, et c'est même dans ce but, d'après M. Lehr, qu'elle a été créée, puis elle a été élargie et étendue aux droits réels, provisoires ou indéterminés :

« Les prénotations ou annotations préventives, dit-il, ont << été essentiellement imaginées pour remplacer les hypo<<thèques judiciaires. Elles n'ont pas pour objet de conver<< tir en un droit réel une créance purement personnelle à << l'origine, ni d'engendrer une action hypothécaire, mais << seulement de sauvegarder le droit du créancier tel qu'il << est, pour le cas où la chose viendrait à périr ou le débi«teur à tomber en déconfiture; c'est une simple mesure <conservatoire. »

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90. Nous venons de constater la grande similitude qui règne, dans la forme, entre la loi espagnole et la loi prussienne, et à cause de laquelle la législation espagnole est toujours rattachée, au point de vue qui nous occupe, au groupe des législations du système germanique. D'ailleurs, comme dans le droit germanique, lorsqu un propriétaire 1 Suprà, no 81.

• Droit civil Espagnol, I, n° 516.

régulièrement inscrit traite avec des tiers de bonne foi, ceuxci n'ont rien à craindre des actions en revendication, en rescision ou en nullité qui n'ont pas été l'objet d'une prénotation, tandis que dans notre droit français on applique d'une façon absolue la règle que nul ne peut transférer à un autre plus de droits qu'il n'en a.

Mais, au fond, et si l'on se borne à envisager l'effet de l'inscription au livre foncier soit entre les parties, soit dans son caractère facultatif, la loi espagnole se rapproche beaucoup du système français, comme la loi suédoise dont nous venons de parler.

En effet, l'inscription au registre foncier n'est point en Espagne une condition de la validité, entre les parties contractantes, des actes intéressant la propriété des immeubles, ses démembrements ou les charges qui la grèvent, mais seulement une condition d'opposabilité aux tiers de ces actes, comme la transcription ou l'inscription de notre loi française. L'article 606 du Code civil espagnol de 1889 est ainsi conçu:

<< Les titres de propriété, ou d'autres droits réels sur les <«< immeubles, qui ne sont pas dûment mentionnés et trans«crits sur le registre de la propriété, ne portent point préjudice aux tiers. »1

Cette inscription peut se faire à toute époque, quand il plaira aux parties: seulement, pour essayer d'amener indirectement les parties à faire inscrire, la loi espagnole décide qu'un titre devant être inscrit par sa nature et qui ne l'a pas été ne pourra être produit en justice. Mais ce n'est là qu'un remède très insuffisant à la liberté laissée aux parties, et qui ne paraît avoir produit que des résultats insignifiants.

Enfin, et sous la réserve des droits acquis à des sousacquéreurs ou à des créanciers de bonne foi, et qui devront être respectés, ainsi que nous venons de le dire, l'inscription au livre foncier ne donne aucun droit absolu au bénéficiaire même de cette inscription; elle lui permet seule

1 Traduction Levé, p. 126.

ment d'opposer aux tiers les droits qu'avait son auteur, dans la mesure où il les avait.

91. La réforme du régime hypothécaire dont nous venons de décrire les lignes principales est vivement désirée en Espagne, où la situation foncière paraît assez inquiétante. Voici, en effet, ce que nous lisons dans une Notice de M. le professeur Mario Navarro Amandi, de l'Université de Madrid:

« ... Malgré les facilités données par la loi de 1861 et << d'autres postérieures pour la régularisation des titres de « propriété et leur inscription sur les registres, il est cons<< tant aujourd'hui qu'après trente années environ, il existe < 50 pour 100 d'immeubles, dont l'étendue équivaut au quart << de la propriété, qui n'ont pas pu, par suite de difficultés « d'ordre très divers, participer aux avantages de la loi.

« D'un autre côté, malgré tout ce qui a été fait, le crédit « réel n'a pas pu se développer; c'est ainsi qu'il n'est pas << rare de voir des prêts réalisés avec un intérêt de 100, de « 450, de 200, de 240 et même de 365 pour cent par an, et << que la moyenne de l'intérêt des prêts sur la propriété non << inscrite est d'environ 17 pour 100, et, sur la propriété << inscrite, de 9 pour 100 par an. »1

Pour remédier à ces inconvénients, deux projets de loi ont été présentés : l'un, dont nous ne connaissons pas l'économie, mais qui est mentionné dans l'étude de M. Navarro Amandi et qui a pour but de faciliter l'établissement de la situation légale de la propriété ; l'autre, dû à l'initiative de M. le comte de San Bernardo, et qui a pour but d'établir en Espagne le système de l'Act Torrens, comme l'indique clairement l'article 2 du projet, dont nous transcrivons cidessous les quatre premiers alinéas:

Article 2. «Ladite loi sera conforme aux principes suivants: « 1° On prendra comme base l'idée initiale du système << connu sous la dénomination d'Act Torrens; et l'on aura

1 Traduction Fravaton, Bulletin de la Société de législation comparée, p. 569.

GUIL. Privilèges, 1.

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