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A cette exécution sur la personne du débiteur qui se faisait au moyen de la manus injectio, succède l'exécution sur les biens :

<< Sous le souffle régénérateur du christianisme, dit << M. Martou, et grâce à l'expansion graduelle de mœurs pu«<bliques et privées de plus en plus adoucies, l'humanité << descendit dans la loi ; l'asservissement, mode de paie<< ment de la dette, fit place à l'emprisonnement, simple << moyen de forcer le débiteur, par la privation temporaire << de sa liberté, au respect de la loi promise; l'homme réha«bilité cessa d'être un objet vénal, et peu à peu se fit jour << ce principe plus juste, plus élevé et plus fécond que le << gage naturel du créancier, ce sont les biens et non le << corps du débiteur. »1

Dans sa belle préface De la contrainte par corps, M. Troplong a très bien montré comment la jurisprudence prétorienne arriva à séparer la personne du débiteur de ses biens, et à créer un ordre de poursuite nouveau, plus humain : nous n'avons pas la prétention de refaire ce qu'il a si bien fait, mais nous allons indiquer comment, dans cette voie nouvelle de l'exécution sur les biens, va apparaître la notion de l'hypothèque.

5. La première forme de la sûreté réelle est la vente à réméré, par laquelle le débiteur aliène son bien au profit du créancier, en se réservant de le reprendre, s'il peut rembourser sa dette dans le délai fixé.

Dans le droit Grec, la très intéressante étude de M. Dareste sur les inscriptions hypothécaires en Grèce nous fait assister, de la façon la plus vivante, à cette naissance de la sûreté réelle. L'éminent jurisconsulte a relevé avec soin, dans le Corpus Inscriptionum Atticarum de M. Köhler, les inscriptions ou pol, dont nous allons bientôt indiquer la forme,' et qui avaient pour but de faire connaître aux tiers la con

Des Privilèges et Hypothèques, no 239.

* NOUVELLE REVUE HISTORIQUE, 1885, p. 1 et suiv.

3 Infrà, n° 7.

dition des biens ou les charges qui les grevaient, et il constate que les inscriptions les plus nombreuses sont celles qui indiquent une vente à réméré, « la plus ancienne forme << de l'engagement des immeubles en même temps que la << plus énergique ».'

Nous retrouvons en droit Romain la même évolution : comme nous l'avons dit dans l'Introduction de notre Traité du Nantissement, la première forme de la garantie réelle est l'aliénation avec fiducie, par laquelle le débiteur transfère à son créancier la propriété du bien qu'il lui remet en garantie; et, de son côté, le créancier s'engage par la clause de fiducie à lui restituer sa chose, lorsqu'il sera payé. Nous avons signalé, dans le passage que nous venons de rappeler, les inconvénients de ce système de garantie pour le débiteur, non seulement parce qu'il est privé de la possession de sa chose, mais surtout parce qu'il se trouve à la merci du créancier, libre d'aliéner comme bon lui semble un bien entré erga omnes dans son patrimoine.

6.

Les inconvénients d'une translation de propriété immédiate du bien donné en garantie firent peu à peu écarter, dans le droit Grec, la forme de la vente à réméré pour y substituer l'hypothèque, mais avec des effets différents de ceux qui sont attribués à l'hypothèque moderne. L'hypothèque grecque primitive, comme la vente à réméré, a pour résultat final d'attribuer au créancier non payé la propriété du bien hypothéqué : il en devient propriétaire de plein droit, à l'échéance de la dette, par l'effet d'une sorte de pacte commissoire. Mais le débiteur a au moins l'avantage, qu'il n'avait pas dans la vente à réméré, de ne pas être dépouillé de son bien au moment du prêt; il ne le sera qu'à l'échéance de la dette, si, à ce moment, il ne peut pas l'acquitter.

Plus tard le droit Grec substitue à cette espèce de pacte commissoire un mode d'exécution plus favorable aux inté1 Op. et Loc. citat., p. 4.

2 N° 3.

rêts du débiteur au lieu d'être attribué au créancier pour le payer de sa dette, le bien hypothéqué est vendu aux enchères publiques, et le prix distribué entre les créanciers. M. Dareste indique, d'après la Vie des Sophistes de Flavius Philostrate, que ce système était en vigueur à Athènes au commencement du IIe siècle de notre ère :

<< Philostrate nous montre, dit-il, le rhéteur Proclus, de « Naucratis, arrivant à Athènes le jour même où la mai« son d'un de ses amis va être mise aux enchères publiques << pour le paiement d'une dette hypothécaire de dix mille << drachmes. Proclus arrête la vente en payant pour son << ami. Ceci se passait sous la domination romaine, mais à << une époque où Athènes jouissait encore, en matière civile, << de son droit municipal. »1

7. Le caractère particulier de l'hypothèque dans le droit Grec, qui en rend l'étude intéressante, c'est la publicité qu'on était arrivé à donner, au moins dans l'Attique, aux hypothèques, et d'une manière plus générale, aux charges grevant la propriété, réméré, antichrèse, dotalité. Cette publicité s'effectuait au moyen d'inscriptions, poi, placées sur des bornes plantées dans les fonds grevés ou sur une pierre de l'édifice donné en hypothèque ces inscriptions, dont l'étude de l'épigraphie grecque a révélé l'existence, indiquaient les noms du débiteur et du créancier, l'objet de l'hypothèque, le montant de la créance garantie par l'inscription, et parfois la date de la créance.

Le même immeuble pouvait être donné en hypothèque à plusieurs créanciers, et alors l'opos indiquait dans quelle mesure s'étendait le gage de chacun d'eux. C'est ce que l'on voit dans l'inscription suivante :

<< Enseigne d'un terrain affecté à la dot d'Hippocleia, fille « de Démocharès, de Leuconoé, un talent. Le surplus de la « valeur est hypothéqué aux Cécropides, aux Lycomèdes, et << aux démotes de Phlya. »*

1

1 Les Inscriptions hypothécaires en Grèce, Op. et Loc. citat., p.7. • Dareste, Op. et Loc. citat., p. 12. Compar., du même au

GUIL. Privilèges, 1.

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2

8.

En droit Romain, à l'aliénation avec clause de fiducie qui, comme nous venons de le dire, constituait la première forme de garantie donnée au créancier, succéda le pignus, ou contrat de gage, par lequel le débiteur transférait au créancier seulement la possession du bien engagé. Nous avons indiqué, dans notre Traité du Nantissement,' comment les droits du créancier sur l'objet donné en gage furent peu à peu étendus on lui accorda successivement des interdits, puis des actions pour défendre son droit, on permit au débiteur de lui donner la faculté de vendre l'objet du pignus à l'échéance de la dette, s'il n'était pas payé ; puis ce droit de vendre le gage fut considéré comme étant de la nature et, dans le dernier état de la jurisprudence romaine, de l'essence du contrat de gage.

Même avec ces perfectionnements, le pignus demeurait une forme très imparfaite de crédit : il exigeait en effet que le débiteur fût dépossédé de l'objet du gage, et, si l'on avait essayé de remédier à cette situation par une convention de louage, et surtout de précaire au profit du débiteur, ce remède était insuffisant, car le créancier pouvait toujours révoquer la concession de précaire par lui faite. De plus, quelle que fût la valeur de l'objet livré à titre de pignus, il n'était possible de l'affecter qu'à la garantie d'une seule créance, puisque la tradition ne pouvait en être faite à aucun autre créancier.

9. Ces inconvénients du pignus amenèrent le prêteur à créer l'hypothèque, par laquelle le débiteur va, sans se dépouiller de la possession de la chose, l'affecter à la garantie de la dette qu'il contracte:

<< Le premier pas dans cette voie, dit M. Machelard, fut fait << par Servius, qui n'eut en vue qu'un cas particulier, celui << d'une convention intervenue entre le bailleur d'un fonds << rural et le colonus. On a fait observer avec raison qu'il y

teur, Une Loi Ephésienne du premier siècle avant notre ère, NOUVELLE REvue historiquE, 1877, p. 161 et suiv.

Introduction, no 4.

<< avait ici nécessité de ménager les intérêts du propriétaire, << sans enlever au fermier la possession du seul gage qu'il pût offrir en général, gage consistant habituellement en objets qui devaient servir à l'exploitation du fonds. Peut<< être aussi que la circonstance que les choses affectées « étaient des res illatæ, invectæ in fundo, aidait-elle à faire << admettre cette innovation, puisqu'on pouvait voir là une « espèce de possession pour le propriétaire. Quoiqu'il en << soit, on ne s'en tint pas là ; et les prêteurs subséquents, << généralisant la dispense de tradition introduite par Ser<< vius en faveur d'une créance spéciale, décidèrent qu'il << suffirait en tout cas d'une convention pour autoriser au << profit d'un créancier quelconque une action réelle, qui « fut appelée quasi-Servienne, Servienne utile, ou hypo«thécaire. L'effet de cette convention était de produire non un engagement personnel, une obligation dans le sens << ordinaire du mot, mais d'affecter directement la chose à << laquelle on transportait l'idée d'obligation. Aussi l'expres«sion usitée pour désigner l'affectation hypothécaire était « celle d'obligatio rei. »1

Ajoutons que l'hypothèque romaine, qui avait pour source ordinaire le pacte prétorien dont nous venons de parler, pouvait être constituée aussi par l'ordre du magistrat, par la volonté du testateur, ou par une disposition législative, tacitum pignus. Elle pouvait même être conférée par le magistrat au créancier, dans le cas de condamnation ou de confessio in jure relative à une somme déterminée:' c'est le pignus in causâ, ou in causâ judicati captum, appelé par les modernes pignus judiciale.

Elle était spéciale ou générale, et elle pouvait s'étendre aux biens à venir; elle était donnée sur les meubles comme

Textes de droit Romain sur la possession, les hypothèques

et les donations entre époux, p. 108-109.

* L. 58, D., De re judic. (XLII, 1); L. 1 et 2, COD., De execut. rei judic. (VII, 53).

4

L. 31, D., De re judic. (XLII, 1).

L. 15, § 1, D., De pign. et hyp. (XX, 1).

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