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<< En théorie pure et en faisant abstraction de l'influence <<< des traditions historiques, le principe des législations ger<< maniques et de l'Act Torrens, qui consiste à subordonner << l'acquisition de la propriété même inter partes à la forma<<lité que l'on juge nécessaire pour la sauvegarde des tiers, << est rigoureusement déduit de la notion du droit réel et de << l'idée qu'un droit de cette espèce doit, par son essence << même, être opposable à tous aussitôt qu'il existe. Si ce

principe est formaliste, comme on le lui reproche, c'est << proprement qu'un certain formalisme est indispensable << pour garantir les droits des tiers.

<< Mais les choses ne sont plus entières pour nous, et nous << ne saurions les envisager sous le seul point de vue des << notions doctrinales et abstraites. Avant de rompre avec << un principe qui n'est plus d'hier, qui s'est lentement dé<<gagé dans l'histoire de notre droit, et où l'on reconnaît << l'application d'une idée plus haute, la liberté des contrats, <<< nous devions nous demander si cette rupture était néces<< saire, et nous n'avons pas aperçu qu'il en fût ainsi.

<< En soi, nul ne saurait le contester, la publicité que reçoit << un transfert d'immeubles par son inscription au registre << foncier n'offre vraiment d'intérêt que pour les tiers. Les << parties contractantes n'ignorent rien de l'acte où elles << ont figuré les tiers seuls ont besoin qu'on leur fasse con<< naître le déplacement du droit ou les charges qui peu<< vent résulter de cet acte; pourquoi donc refuser au con<< trat une efficacité propre, et vouloir que sa transmission «<et sa publicité soient simultanées ?

<< Ne se fait-on pas quelque peu illusion lorsqu'on affirme << que par là on mettrait un obstacle aux reventes fraudu<«<leuses, que notre législation est impuissante à empêcher << dans le temps qui sépare la conclusion de la vente et sa << relation sur les registres ? Il est bien vrai que la loi fran«çaise, à la différence des lois germaniques, laisse au << vendeur la faculté de paralyser le droit réel dont il s'est « déjà dépouillé : mais qu'on ne s'y méprenne pas. Le droit

<< allemand reconnaît à la convention l'effet d'obliger, par << elle seule, le vendeur à procurer l'investiture à l'acheteur; <«<il laisse donc place lui-même à une violation de la foi << promise. Ce n'est pas un droit réel que le vendeur met en << échec lorsqu'il consent à un second acheteur l'investiture << qu'il a fait espérer au premier, mais il n'en manque pas << moins à la loi du contrat, et la sécurité de l'acheteur ne << peut naître, en définitive, que de la diligence apportée à << l'investiture, et de son attention à retenir le prix jusqu'à « l'accomplissement de la formalité, comme il le fait habi<tuellement chez nous jusqu'à la transcription.

« La supériorité du système germanique, sous ce rap<< port, n'est donc pas démontrée. Cette constatation n'ex« clut pas néanmoins une certaine amélioration de la légis<<lation actuelle, et, dans notre pensée, il y aurait utilité à

réprimer par une sanction pénale les manœuvres dé<< loyales et l'espèce d'escroquerie qui peuvent se produire << à l'abri de la règle de la publicité. L'avant-projet contient << un article 27 qui est conçu dans cet esprit. Il s'applique<<rait au cas d'une seconde vente frauduleuse dont il vient « d'être parlé, mais il vise encore bien d'autres hypothèses, << notamment celle où un héritier aurait retenu un testa<< ment et aurait aliéné frauduleusement, au préjudice du «<légataire, les immeubles compris dans les dispositions « du défunt. Il est à remarquer que la peine ne serait en<<courue que s'il y avait eu dommage effectivement causé, << el si des droits irrévocables avaient été constitués au pro«fit de tiers. Maintenue dans ces limites, la disposition << n'est pas excessive; elle n'est qu'un remède nécessaire << à des dangers contre lesquels la loi doit protéger la << bonne foi.

<< Il est un second point de vue sous lequel le système <du Code civil et de la loi du 23 mars 1855 soutient beau<<coup moins bien la comparaison avec les lois qui font de << la publicité du transfert contractuel la condition de son << existence entre parties.

<< L'omission de la transcription n'étant sanctionnée au« jourd'hui que par l'inefficacité du titre de l'acquéreur à << l'égard de certains ayants-cause de l'aliénateur, il arrive << que des ventes ne sont pas soumises à la formalité et << qu'il entre par elles dans la circulation des droits de pro<< priété précaires et incomplets, dont l'imperfection ne se << révèle parfois qu'après un certain nombre de mutations, << en apportant le trouble dans des situations qui parais<< saient acquises. Il importe de remédier à cet état de cho«ses et de mieux assurer la publicité. Mais il n'est pas <<< besoin encore d'aller, à cet effet, jusqu'au principe qui << procure cette publicité, comme par un procédé automa<«<tique, en en faisant dépendre la transmission entre par<«<ties: il suffit de donner à l'acquéreur un intérêt plus << grand à faire inscrire son droit, et de subordonner l'ins<<cription de toute mutation nouvelle à celle de la muta<<tion précédente. C'est ce qu'a dû faire la législation prus<< sienne elle-même, lorsqu'elle a voulu rendre certaine << l'inscription des droits de propriété acquis par voie de << succession ou par tous autres modes exclusifs d'une in<<< vestiture volontaire ; elle a dépouillé, en quelque sorte, << la propriété de sa valeur marchande aussi longtemps << que l'acquéreur n'aurait pas rendu public son titre d'ac«<quisition; jusque là, elle interdit, en règle générale, toute << aliénation ou constitution de droit réel (loi du 5 mai << 1872, loi D, article 5). Nous avons repris l'idée en l'ap«pliquant aux principes que nous entendions maintenir, et «< nous l'avons généralisée. D'après l'article 23 de l'avant<< projet, aucun droit ne peut être inscrit du chef d'une per<< sonne dont le titre n'est pas mentionné, au moins par << une prénotation, au livre foncier il faut que celui-ci << permette de suivre sans interruption toute la filière des << mutations, et qu'elles soient toutes placées sous la sauve<< garde de la publicité. La disposition ne distingue pas entre << les divers modes d'acquisition; nous n'en devions pas << moins la signaler à cette place, parce qu'elle fortifie très

<< utilement la règle de la publicité dans son application aux << mutations contractuelles. >>

Nous avons tenu à citer en entier ce passage du Rapport de M. Massigli, car il est impossible, à notre avis, de mieux démontrer qu'il ne le fait l'inutilité d'un changement dans notre législation sur les effets des contrats entre les parties contractantes. Sans doute, dans un pays neuf, comme l'Australie, lorsqu'on organise la propriété de toutes pièces, il est plus simple et plus pratique, peut-être même plus conforme à la notion juridique de l'acquisition des droits réels, de ne pas distinguer entre les parties et les tiers, et de décider que la translation de la propriété ou la constitution de droits réel ne résultera que de l'immatriculation au livre foncier. Mais, lorsqu'il y a, comme en France, une tradition ancienne en sens contraire, les avantages de l'innovation ne sont pas assez considérables pour rompre avec le passé : la pénalité attachée aux reventes frauduleuses, qui sont d'ailleurs peu fréquentes, suffira pour les prévenir, et l'impossibilité de constituer des droits sur un bien non immatriculé amènera indirectement tous les acquéreurs à requérir l'immatriculation. Ajoutons que la simplicité des formes de l'immatriculation, et, il faut l'espérer du moins, le peu de frais qu'elle entraînera la feront passer dans les mœurs.

117. — Le troisième principe formulé par le Congrès de la propriété foncière et que nous proposons est l'annulabilité de l'immatriculation obtenue par fraude contre le titulaire de mauvaise foi, sous la réserve des droits des tiers de bonne foi.

Ici encore deux systèmes nettement opposés sont en présence, dans les législations qui admettent l'établissement du livre foncier.

En Australie, comme nous l'avons dit,' d'après les articles 33 et 123 de l'Act de 1861 pour l'Australie du Sud, l'immatriculation produit des effets définitifs : aucune action en

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1 Suprà, no 98.

GUIL. Privilèges,

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éviction n'est recevable contre le propriétaire immatriculé, et la victime d'une erreur dans l'immatriculation n'a d'autre recours qu'une action en indemnité sur le fonds d'assurance.

En Prusse au contraire, et en Autriche, la loi permet l'annulation de l'inscription au livre foncier : cette annulation n'est permise que sous la réserve des droits des tiers qui ont traité à titre onéreux de bonne foi, d'après la loi prussienne, mais, selon la loi autrichienne, l'inscription au livre foncier ne produira cet effet au profit des tiers de bonne foi qu'après l'expiration des délais accordés pour l'exercice des actions en révocation ou en nullité.

Dans le système que nous proposons, on se rapproche de la loi prussienne, mais en se montrant plus difficile qu'elle pour l'admission de la nullité de l'immatriculation; elle ne pourra être annulée que dans le cas de fraude, et seulement contre le titulaire de mauvaise foi.

Même avec cette restriction, l'admission de la nullité de l'inscription a été vivement discutée au sein du Congrès, et la théorie de la loi australienne, la théorie du caractère définitif erga omnes de l'immatriculation a été défendue notamment par MM. Dansaërt et Brunard, qui indiquent dans leur Rapport même les raisons qui les font persister dans leur désaccord avec la majorité du Congrès :

<< Nous pensons, disent-ils, que le droit immatriculé des << tiers doit être à l'abri de toute rescision, même s'ils sont « de mauvaise foi.

<< Il faut se garder, dans notre matière spéciale, de con<< damner sans mûre réflexion l'idée que nous venons d'é<< mettre, et qui semble contraire, à première vue, aux rè<<gles d'équité généralement admises. Nous ne saurions en << effet assez répéter que le but principal de la réforme que << nous étudions est de donner à la propriété une indiscuta<< ble sécurité. Or le droit d'un tiers eontractant, quelque << régulier que soit l'acte dont ce droit dérive, peut toujours

Suprà, n° 81.

* Suprà, no 84.

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