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fait sortir par une aliénation frauduleuse? Le bien ainsi rentré sera-t-il le gage commun des créanciers, dans les termes de l'article 2092, ou bien au contraire l'annulation de l'acte frauduleux ne profitera-t-elle qu'au créancier qui l'a fait annuler?

C'est une question très controversée, et, dans l'opinion que nous avons adoptée en étudiant l'article 1167, nous avons été d'avis que seuls les créanciers qui ont exercé l'action Paulienne ont droit d'en profiter.' Si l'on admet cette opinion, on doit voir dans ce résultat de l'article 1167 une exception à la règle de l'égalité de droits entre les créanciers sur tous les biens de leur débiteur.

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146. En thèse générale, les créanciers non payés n'ont plus aujourd'hui de droits que sur les biens de leur débiteur, dans les termes des articles 2092 et 2093, et ils n'en ont pas sur sa personne; en effet, la loi du 22 juillet 1867, dans son article 1er, décide que « la contrainte par << corps est supprimée en matière commerciale, civile, et << contre les étrangers ».

Toutefois les articles 2 et suivants de cette loi, complétée par la loi du 19 décembre 1871, maintiennent la contrainte par corps en matière criminelle, correctionnelle et de simple police, non seulement pour les amendes, restitutions et dommages et intérêts au profit de l'Etat, mais aussi en faveur des particuliers, pour réparation des infractions commises à leur préjudice.

Il résulte de ces dispositions que, dans la mesure réservée par la loi, l'ancienne exécution sur la personne du débiteur est maintenue, et le créancier, Etat ou particulier, pourra faire incarcérer le débiteur qui ne paie pas, pour la durée fixée par la loi et en se conformant aux conditions qu'elle prescrit pour cette incarcération.

1 Voir notre Etude sur l'action Paulienne, p. 326-329.

SECTION II

Droits des créanciers qui ont une cause légitime de préférence.

147. Au principe que pose l'article 2093, que les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers, et que le prix s'en distribue entre eux par contribution, ce texte apporte une exception notable, dont l'étude va être tout l'objet de ce Traité: « à moins, dit l'article, qu'il n'y ait << entre les créanciers des causes légitimes de préférence. » L'article 2094 ajoute:

« Les causes légitimes de préférence sont les privilèges <<et hypothèques. »

Il n'y a donc, d'après le texte de l'article 2094, que deux causes légitimes de préférence, les privilèges et hypothèques; et nous croyons que ce texte est exact, et qu'il n'y a pas en effet d'autres causes de préférence entre les créanciers que celles-là.

On a soutenu pourtant qu'il fallait y ajouter deux autres droits, qui constitueraient, eux aussi, de véritables causes de préférence entre créanciers, le droit de rétention et l'antichrèse. Nous nous sommes expliqué sur ces points, dans nos Traités du Nantissement et Du droit de Rétention,1 et notre conclusion a été que ni l'un ni l'autre de ces droits. n'assurent de préférence au créancier qui en est investi.

'Du Nantissement, n° 226, et Du Droit de Rétention, n° 25.

148.- Les deux causes de préférence que la loi reconnaît, les privilèges et les hypothèques, créent au profit du créancier qui en est investi de grands avantages.

Le plus notable de ces avantages est d'être préféré aux autres créanciers, d'être payé avant eux aux dépens des biens sur lesquels cette cause de préférence leur est accordée. Ce droit de préférence est commun au privilège et à l'hypothèque: grâce à lui, le créancier évite la concurrence avec les autres créanciers et la répartition au marc le franc qui en est le plus souvent la conséquence, et, pourvu que l'objet qui lui est affecté soit d'une valeur suffisante, il est assuré d'être intégralement payé.

En second lieu, le privilège et l'hypothèque procurent au créancier le bénéfice de l'indivisibilité. Pour le créancier ordinaire, son droit se divise à la mort du débiteur entre les héritiers de celui-ci, conformément à l'article 1220, ce qui le force à intenter autant d'actions que le débiteur a laissé d'héritiers, et ce qui laisse à sa charge l'insolvabilité d'un ou de plusieurs d'entre eux: au contraire, pour le créancier privilégié ou hypothécaire, son droit est indivisible, ce qui lui permet de se faire payer sur l'objet formant son gage sans avoir à tenir compte de la pluralité des héritiers du débiteur. Il fera saisir et vendre cet objet dans les mains de l'héritier qui le détient, sans avoir à s'occuper des cohéritiers de celui-ci, et il sera payé par préférence sur le prix, comme s'il n'avait encore qu'un débiteur unique.

Enfin, les privilèges sur les immeubles et les hypothèques garantissent le créancier contre le danger de l'aliénation des biens de celui-ci: avec le droit de suite que la loi reconnaît à son profit, il pourra faire saisir et vendre les immeubles affectés à son privilège ou à son hypothèque dans n'importe quelles mains, dans le patrimoine d'un tiers détenteur comme dans celui du débiteur personnel de la créance privilégiée ou hypothécaire. Mais ce dernier avantage, le droit de suite, n'existe pas en matière mobilière, où le tiers acquéreur de bonne foi est protégé contre l'exercice de tout pri

vilège par la règle de l'article 2279, combiné avec l'article 2119.

149. — Les causes de préférence, qu'il s'agisse du privilège ou de l'hypothèque, n'ont d'intérêt que si le débiteur devient insolvable: s'il est solvable, tous les créanciers seront payés, créanciers chirographaires ou privilégiés et hypothécaires.

De plus, elles n'ont d'intérêt que pour les créanciers, à raison des avantages qu'elles procurent à quelques-uns au détriment des autres: quant au débiteur, peu lui importe qu'un créancier soit payé au détriment de l'autre. Il peut avoir ses préférences personnelles pour tel ou tel créancier, mais il n'a pas d'intérêt juridique à ce que l'un passe avant l'autre, et il ne pourrait pas intervenir dans un débat entre ses créanciers sur l'existence ou le rang d'un privilège ou d'une hypothèque.'

150. Si le privilège et l'hypothèque se ressemblent en ce qu'ils constituent l'un et l'autre des causes de préférence entre créanciers, il n'en existe pas moins entre eux des différences notables, qu'il importe d'étudier: nous en signalerons quatre principales.

En premier lieu, tandis que le privilège résulte de la qualité de la créance, et ne peut exister que dans les cas où la loi l'accorde d'une manière expresse, l'hypothèque peut être créée par la volonté des parties au profit de n'importe quelle créance, quelque peu favorable qu'en soit la cause. Sans doute, il y a des hypothèques qui, comme les privilèges, dérivent de la loi, l'hypothèque légale et même l'hypothèque judiciaire, qui, malgré son nom, n'est pas donnée par le juge, mais attachée par la loi aux jugements; mais aucun privilège ne peut naître d'une convention :

« Le privilège, dit l'article 2095, est un droit que la qua«lité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux << autres créanciers, même hypothécaires. >>

1 Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 296; Laurent, XXIX, n° 303.

Il suit de là que la convention des parties ne peut ni créer un privilège,' ni l'étendre au delà des limites fixées par la loi qui l'organise,' ni le faire revivre : sa création, son étendue, ses modes d'extinction ne peuvent résulter que de la loi.

Une exception à ces principes existe pourtant en matière de gage. C'est la convention des parties, non la loi, qui donne naissance au privilège du créancier gagiste, et ce privilège peut être constitué au profit de n'importe quelle créance, quelle qu'en soit la cause: c'est ce qui résulte des articles 2071 et 2074. Ce privilège conventionnel constitue certainement une anomalie dans notre droit, et nous croyons, avec M. Valette, que le gage n'est en réalité « qu'une sorte << d'hypothèque mobilière »; et si l'on a été amené, dans notre droit français, à faire produire à cette convention les effets d'un privilège et à lui en donner le nom, c'est parce que l'on a repoussé l'hypothèque sur les meubles. Ne pouvant faire du gage une hypothèque, puisque les meubles ne peuvent être hypothéqués, on en a fait un privilège, contrairement aux principes de la matière des privilèges, et contrairement à la règle que les privilèges naissent de la loi et sont attachés à la qualité de la créance.

151. — En second lieu, les privilèges et les hypothèques diffèrent les uns des autres à raison de la préférence que la loi accorde aux privilèges sur les hypothèques :

Cassation, 12 décembre 1831, Sirey, 32, I, 273; Paris, 6 mars 1834, Sirey, 34, II, 308; Cassation, 26 juillet 1852, Sirey, 52, 1, 693, et Dalloz, 52, I, 196; Amiens, 3 juillet 1862, Sirey, 63, II, 84; Bordeaux, 6 avril 1865, Sirey, 65, II, 347; Lyon, 1er avril 1881, Sirey, 82, II, 165, et Dalloz, 82, II, 44; Paris, 2 février 1888, Dalloz, 89, II, 165; Cassation, 4 mars 1889, Dalloz, 89, I, 426. Valette, Des Privilèges et Hypothèques, no 12; Aubry et Rau, III, § 258, texte et note 2, p. 123; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 299-300; Laurent, XXIX, no 306.

* Cassation, 4 août 1852, Dalloz, 52, I, 297.

3 Contrà, Cour de cassation de Belgique, 25 janvier 1877, Dalloz, 77, II, 185.

• Des Privilèges et Hypothèques, no 12.

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