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sur les immeubles, et elle conférait au créancier le droit de vendre, jus distrahendi, le droit de suite, qui s'exerçait au moyen des actions Servienne et quasi-Servienne, et le droit de préférence.

Quant au classement des hypothèques, on appliquait la règle prior tempore, portior jure, sauf pour les hypothèques privilégiées, qui passaient avant les autres, quelle que fût leur date.

91.

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Les hypothèques privilégiées qui, comme nous venons de le dire, primaient les autres hypothèques, étaient nées en droit Romain, suivant les expressions de M. Accarias, « de la combinaison des deux idées de privilège et << d'hypothèque ».

Le privilège romain ne donnait qu'un droit de préférence contre les simples créanciers chirographaires; il était primé par toutes les créances hypothécaires, et n'emportait aucun droit de suite:

« Eos, qui acceperunt pignora, cum in rem actionem << habeant, privilegiis omnibus, quæ personalibus actionibus << competunt, præferri constat. »1

Les hypothèques privilégiées, telles que l'hypothèque de celui qui a fait des frais pour la conservation de la chose, l'hypothèque du fisc pour le recouvrement de l'impôt foncier, et enfin celle de la femme mariée, primeront au contraire toutes les autres créances hypothécaires, même antérieures.'

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10. L'hypothèque romaine se constitue, comme on le voit, avec une facilité très dangereuse pour les tiers: la simple convention des parties suffit pour la créer, sans aucune condition de publicité. Sans doute, au point de vue du débiteur, elle est préférable au pignus, puisqu'elle n'exige pas qu'il se dépossède du bien qu'il donne en garantie; mais, pour le créancier, rien n'est moins sûr qu'une telle

L. 9, COD., Qui potior. in pign. (VIII, XVIII).

Voir, sur les privilèges en droit Romain, Accarias, Précis de droit Romain, I, no 290, et les textes qu'il cite.

garantie, et, au moment où elle lui est donnée, il peut se faire que la valeur du bien soit absorbée par des hypothè ques antérieures, sans qu'il y ait aucun moyen de s'en assurer. Bien plus, en supposant même qu'au moment où une hypothèque est constituée au profit du créancier il n'existe pas d'autre hypothèque qui la prime, il n'a pas pour cela de sécurité, car son droit pourra être anéanti par l'établissement d'une hypothèque privilégiée, qui, comme nous venons de le dire, passera la première, malgré la postériorité de sa date. Telle est l'hypothèque créée par Justinien au profit de la femme mariée pour garantir la restitution de sa dot, dans la célèbre loi Assiduis:

«Etiam tacitam donavimus inesse hypothecam, po«tiora jura contra omnes habere mariti creditores, licet "anterioris sint temporis privilegio vallati. »1

Le créancier n'était garanti contre l'existence d'hypothèques antérieures, que le débiteur lui aurait dissimulées lors du prêt, que par la crainte des peines prononcées contre le débiteur stellionataire, et, contre l'antidate d'une autre hypothèque qu'on lui opposerait, que par les peines du faux édictées contre les auteurs de cette antidate; et rien ne pouvait le prémunir contre l'éventualité d'hypothèques privilégiées venant plus tard enlever à la sienne tout effet utile.

Sous l'empereur Léon, en 449, on essaya d'apporter un remède aux inconvénients de cette législation; une constititution, qui forme la loi 11, au Code, au Titre Qui potiores in pignore,' décida que les actes privés constitutifs d'hypothèque ne prévaudraient pas contre les actes publics, ou les actes privés portant la signature de trois témoins dignes de foi. « Ce timide essai de réforme, dit très bien M. Accarias, ne << satisfaisait pas aux véritables besoins du crédit ; et le régime hypothécaire romain resta ce qu'il avait été à l'épo«que classique, une conception admirable de justesse, mais << sans organisation pratique, comparable à une horloge bien L. 12, COD., Qui potior. in pignor. (VIII, XVIII). ' VIII, XVIII.

«< réglée dont le cadran ne marquerait pas les heures. »1 D'où vient, en matière d'hypothèques, cette infériorité du droit Romain, si supérieur à tant d'égards aux autres législations?«< Elle s'explique, dit M. Laurent, dont nous parta<«<geons le sentiment, par la mission providentielle du peu<< ple romain: peuple de guerriers, il était appelé à faire << la conquête du monde ancien ; l'industrie lui fut toujours << étrangère et il dédaignait le commerce. Par cela même, << l'idée du crédit ne pouvait naître à Rome, et ce sont les << besoins du crédit qui ont fait admettre chez les peuples <<< modernes les principes de la publicité et de la spécialité << des hypothèques. »2

11. - Dans notre ancien droit nous retrouvons, comme première forme de sûreté réelle, l'aliénation au profit du créancier du bien qui va lui être donné en garantie: le mortgage et le vif-gage sont, comme nous l'avons expliqué dans notre Traité Du Nantissement, des conventions qui ont pour but d'assurer au créancier la libre possession et jouissance du bien remis en garantie, tant que le débiteur ne l'aura pas racheté en payant le montant de sa dette. Ces deux conventions diffèrent, ainsi que nous l'avons dit, en ce que, dans le cas de mort-gage, le créancier jouit des fruits ou revenus du bien à lui remis sans avoir à en tenir compte, tandis que, dans le cas de vif-gage, il doit les imputer sur le montant de sa créance; mais elles se ressemblent en ce qu'elles assurent l'une et l'autre au créancier une garantie sur les immeubles de son débiteur. Dans le vif-gage, la garantie consiste dans la jouissance des revenus, et, dans le mort-gage, dans l'attribution au créancier de la propriété du bien donné en garantie, sous la réserve pour le débiteur d'une perpétuelle faculté de rachat, qu'il exercera en remboursant le montant de sa dette.'

1 Précis de droit Romain, I, no 287.

'XXX, n° 163.

• Introduction, no 6-12.

Charondas le Caron, Mémorables observations du droict

Cette garantie donnée au créancier lui était d'autant plus utile que, d'après les principes du droit féodal, il n'avait pas d'action pour se faire payer sur les immeubles de son débiteur, mais seulement sur les meubles et sur les revenus des immeubles, à moins de convention contraire.'

12.- Comme dans le droit Romain et dans le droit Grec, les inconvénients de la dépossession du débiteur dans le mort-gage et le vif-gage amenèrent une transformation dans la forme de la garantie, et on passa du gage à l'hypothèque. Ainsi que l'explique très bien M. Esmein, dans sa belle et savante étude sur Les Contrats dans le très ancien droit Français, à laquelle, comme l'a fait M. Violet, nous ne pouvons que nous référer, pour l'histoire du développement de l'hypothèque dans notre ancien droit, on commença par autoriser, au profit des créanciers, l'insertion d'une clause par laquelle le débiteur obligeait tous ses biens au paiement de la dette, et en même temps ses héritiers:

« Et à ce tenir fermement, ai-je obligié moi et mes hoirs, << et tout le mien présent et à venir, muebles et héritages. » Cette obligation, première forme de l'engagement des biens au paiement de la dette sans dépossession du débiteur, est générale ou spéciale, comme l'obligatio rei du droit Romain à laquelle elle a été évidemment empruntée : mais elle ne produisit pas tout d'abord l'ensemble des effets de l'hypothèque romaine, et il faut, à ce point de vue, distinguer l'hypothèque générale de l'hypothèque spéciale.

« L'obligation générale, dit M. Esmein, ne produisit d'a

François, V Gage (Edition de 1614, p. 90-91); Esmein, Etudes sur les contrats dans le très ancien droit Français, p. 162 et suiv.; Viollet, Précis de l'histoire du droit Français, Liv. III, Chap. VI, § 2.

'Viollet, Etablissements de Saint-Louis, I, p. 106 et suiv.; et Précis de l'histoire du droit Français, Loc. citat.; Esmein, Op. et Loc. citat.

? Précis de l'histoire du droit Français, Loc. citat.

Beaumanoir, Les Coutumes du Beauvoisis, XXXV, 20 (Edition Beugnot, II, p. 49).

<< bord le droit de suite que dans des limites fort restrein<< tes; elle n'entraînait point le droit de préférence. Malgré << l'obligation générale qu'il avait consentie, le débiteur << pouvait encore aliéner ses immeubles à titre onéreux, et << l'acquéreur n'avait rien à craindre des créanciers ; seul << un donataire eût été exposé à leurs poursuites. »>1

Les passages de Bouteillier et de Beaumanoir que M. Esmein cite à l'appui de cette opinion sur les effets de l'obligation générale, à l'origine, sont absolument décisifs.

L'obligation spéciale, au contraire, engendrait un droit de suite, non seulement au cas de donation par le débiteur de l'immeuble obligé, mais dans tous cas d'aliénation :

«... Par générale obligation, dit Beaumanoir, je ne suis << pas contrains que je ne puisse vendre mon héritage et << garantir à l'aceteur. Mais ce je l'avois obligié especial<< ment, adont ne le porroie je vendre, ne donner, ne escan<< gier, en nule manière par quoi il peust estre damaciés, << auquel il fut obligiés especialment. »2

L'obligation spéciale entraînait aussi un droit de préférence, de sorte que, comme le remarque M. Esmein,' elle apparaît, au double point de vue du droit de suite et du droit de préférence, comme égale à l'hypothèque romaine. Elle en différait toutefois à deux points de vue : d'abord elle ne portait pas sur les meubles, par application du principe d'origine germanique que le possesseur d'un meuble, du moment où ce meuble n'était ni volé ni perdu, était protégé contre toute revendication; puis, tandis que l'hypothèque romaine s'établissait par le seul consentement des parties, l'obligation spéciale exigeait le concours du seigneur féodal.

13. - Peu à peu l'hypothèque résultant de l'obligation spéciale et celle résultant de l'obligation générale tendirent à se rapprocher l'une de l'autre et à ressembler à l'hypothèque romaine :

Op. citat., p. 182.

2 Les Coutumes du Beauvoisis, Chap. LXX, n° 11 (Edition Beugnot, II, p. 502).

Op. citat., p. 186.

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