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<< A notre avis, dit-il, les dépens sont des dommages-in«térêts; ils ne sont pas dus comme compensation de la chose ou des fruits, ils sont dus pour inexécution de l'obli«gation contractée par l'acheteur, de même que les dom«mages-intérêts; donc le droit et l'équité s'opposent à ce « qu'ils soient privilégiés. »1

Nous croyons, avec M. Duranton,' que cette solution doit être rejetée, et les frais faits pour parvenir au payement d'une créance privilégiée doivent être privilégiés au même titre que la créance.

Au point de vue de l'équité, les motifs qui ont fait donner au créancier un privilège conduisent à l'accorder aussi bien pour les frais que pour le principal: la faveur de la créance veut que ce créancier soit payé avant les autres, et il ne le sera pas si, pour les frais par lui exposés, il ne doit avoir qu'un dividende. Il y a même des cas, et nous en avons vu, hélas ! où dans ce système il aurait intérêt à perdre sa créance plutôt que d'agir, les frais pouvant être supérieurs au principal, par exemple dans une créance pour salaires de gens de service, pour frais funéraires.

Au point de vue du droit, cette solution nous paraît facile à justifier. La créance privilégiée se compose de deux éléments, la créance proprement dite, et les frais de poursuite en cas d'inexécution, qui ne sont qu'une conséquence et un accessoire de la créance primitive. La pratique judiciaire française les désigne d'un nom exact, en les accordant « com« me suite de créance », et à ce titre, ils doivent être entourés des mêmes garanties.

175.- Les privilèges portent, comme nous l'avons dit, tantôt sur les meubles, tantôt sur les immeubles. Nos explications sur cette première partie devront donc se diviser en deux points:

1

Chapitre I.

Des privilèges sur les meubles.

Chapitre II. Des privilèges sur les immeubles.

' XXX, no 14.

'XIX, n° 163 - Adde Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 314.

CHAPITRE PREMIER

DES PRIVILÈGES SUR LES MEUBLES.

176. Les privilèges sur les meubles sont, aux termes de l'article 2100, « généraux ou particuliers sur certains << meubles ».

En prenant pour base cette division des privilèges d'après leur étendue, les rédacteurs du Code ont divisé la section consacrée aux privilèges en deux parties, relatives, la première, aux privilèges généraux sur les meubles, qui s'étendent à tout le patrimoine mobilier du débiteur, la seconde aux privilèges spéciaux, qui ne portent que sur certains meubles déterminés.

Nous adopterons cette division dans les deux sections suivantes :

I. - Des privilèges généraux sur les meubles ;

II.

Des privilèges sur certains meubles.

SECTION I

Des privilèges généraux sur les meubles.

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177. L'article 2101, qui donne la nomenclature des privilèges généraux sur les meubles, fait plus que de les énumérer, il les classe:

<< Les créances privilégiées sur la généralité des meubles << sont celles ci-après exprimées, et s'exercent dans l'ordre « suivant... »

A ce point de vue, l'œuvre des rédacteurs du Code est supérieure à notre ancien droit, où le classement des privilèges était très controversé. Malheureusement cette œuvre est très incomplète, car, si le Code a fait le classement des privilèges généraux sur les meubles entre eux, il ne les a pas classés dans leurs rapports avec les privilèges spéciaux, et il n'a pas classé ces derniers privilèges entre eux; et l'une des plus grandes difficultés de la matière des privilèges pour l'interprète consiste dans ce classement, que la jurisprudence et la doctrine doivent faire à défaut du législateur.

Cependant c'est bien là une œuvre essentiellement législative. Les privilèges ont pour cause, avons-nous dit, la faveur qui s'attache aux créances, et, du moment où la coutume fait place à la loi écrite, c'est la loi et la loi seule qui peut indiquer quelles créances méritent d'être privilégiées ;

Voir Pothier, Coutume d'Orléans, Introduction au Titre XX, Chap. II, § IX.

il n'y a pas de privilège, avons-nous dit, en dehors des textes. Or, si c'est la loi qui seule peut apprécier la faveur qui rend les créances privilégiées, c'est elle seule aussi qui devrait mesurer les degrés de cette faveur, et dire que telle créance privilégiée passera avant telle autre.

L'œuvre du législateur français est donc, en ce point, tout à fait incomplète, sauf pour les privilèges généraux, dont nous nous occupons.

178. Les privilèges généraux de l'article 2101 reposent sur les divers motifs suivants: service rendu aux autres créanciers (privilège des frais de justice), respect dû aux morts (privilège des frais funéraires), motif d'humanité soit pour le débiteur (frais de dernière maladie et fournitures de subsistances), soit pour le créancier à situation modeste et à créance modique (privilège des salaires des gens de service).

Ces motifs sont suffisants pour légitimer le privilège que notre loi donne à ces créances, en tant qu'il s'exerce sur la généralité des meubles du débiteur; mais faut-il aller jusqu'où les rédacteurs du Code sont allés, et dire qu'à défaut de paiement sur les meubles, ces créances doivent être privilégiées sur la généralité des immeubles? Nous ne le croyons pas, et, lorsque nous aborderons l'étude de notre second chapitre, Des Privilèges sur les immeubles, nous indiquerons en quoi le système de la loi belge du 16 décembre 1854, qui décide que les privilèges généraux ne viennent sur les immeubles qu'après les créances privilégiées ou hypothécaires, nous paraît préférable au système français.

179. Les créances énumérées par l'article 2101 sont privilégiées « sur la généralité des meubles », d'après les expressions mêmes du texte. Il faut entendre ici le mot << meubles » dans le sens large que nous avons indiqué,' et dire qu'il comprend tous les meubles, meubles par nature et meubles par la détermination de la loi.

180. Pour que les créanciers auxquels l'article 2404

-

1 Suprà, no 156.

accorde un privilège général puissent exercer ce privilège, il faut que leur créance soit opposable aux autres créanciers, et, par suite, qu'elle ne soit pas prescrite: c'est le droit commun, et sur ce point tout le monde est d'accord. Mais, si les délais de la prescription sont accomplis sans que le créancier privilégié en ait régulièrement interrompu le cours, ce créancier pourra-t-il néanmoins faire valoir son privilège contre les autres créanciers, en déférant au débiteur le serment autorisé en matière de courtes prescriptions par l'article 2275 ?

La question est controversée, et, d'après MM. Valette' et Pont, à défaut d'interruption régulière de prescription, le créancier qui aura conservé sa créance contre le débiteur perdra néanmoins son privilège à l'encontre des créanciers. D'après eux, les articles 2271 et 2272 doivent être combinés avec l'article 2101 dont ils forment le complément légal, et, à moins d'interruption régulière de la prescription, il n'y a de privilège que dans la limite de temps fixée par ces deux articles. On ajoute que ces divers articles sont tellement inséparables que, si les gens de service sont engagés au mois ou au trimestre, comme leur créance se prescrit par six mois d'après l'article 2271, ils n'auront de privilège que pour ce laps de temps, malgré les termes de l'article 2401, à moins d'une interruption régulière de la prescription.

Nous croyons, avec MM. Aubry et Rau,' que cette théorie doit être rejetée, et que, du moment où le débiteur aura reconnu l'existence de la dette, elle sera privilégiée, dans les termes de l'article 2101, sans qu'il y ait besoin d'une interruption régulière de la prescription. Autre chose est en effet la prescription ordinaire, à laquelle le débiteur ne peut

Des Privilèges et Hypothèques, no 33 et 35.

Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 77, 86 et 90.

III, § 260, texte et note 36, p. 136-137.

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Compar. Cassation, 12 juillet 1880, Dalloz, 81, I, 437. Une opinion va plus loin, et refuse aux créanciers le droit d'opposer les courtes prescriptions: Tribunal de la Flèche, 13 août 1861, Dalloz, 61, III, 71.

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