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pas renoncer au préjudice de ses créanciers (article 2225), autre chose les courtes prescriptions, qui, suivant les expressions exactes de MM. Aubry et Rau, « ne sont acquises << au débiteur qu'à la charge de prêter le serment dont parle << l'article 2275 ». Le débiteur qui reconnaît les dettes de ce genre ne renonce donc pas à une prescription, il l'empêche de s'accomplir, aussi bien à l'égard des autres créanciers que vis-à-vis de lui-même. Ajoutons qu'en fait il serait excessif d'imposer à des créanciers dont la créance est souvent peu importante l'obligation d'intenter une action en justice, pour faire reconnaître une dette que le débiteur n'entend point contester.1

181.-A la nomenclature des privilèges généraux sur les meubles donnée par l'article 2101, il faut ajouter les privilèges suivants, créés par des lois postérieures :

1o Le privilège des ouvriers et des commis du failli, créé par la loi du 28 mai 1838 sur les faillites, et élargi par les

lois des 4 mars 1889 et 6 février 1895.

Ce privilège appartenant à la loi commerciale et étant organisé par le texte du nouvel article 549 du Code de commerce, il nous suffit de le mentionner ici : nous n'avons pas à nous en occuper.

2o Le privilège pour les mois de nourrice, créé par la loi du 23 décembre 1874, article 14.

Nous devrons dire quelques mots de ce privilège, qui s'ajoute aux privilèges de l'article 2101.

Nous diviserons par suite notre étude sur les privilèges généraux sur les meubles en six paragraphes:

§ I. - Du privilège des frais de justice.

-

§ II. Du privilège des frais funéraires.

§ III.

§ IV. § V. § VI.

Du privilège des frais de la dernière maladie.
Du privilège des mois de nourrice.

Du privilège des salaires des gens de service.
- Du privilège des fournitures de subsistances.

Compar. Motifs d'un arrêt de Bordeaux, 14 février 1849, Sirey, 49, II, 500.

§ I.

Du privilège des frais de justice.

182.- L'article 2101 place au premier rang des privilèges généraux sur les meubles le privilège des « frais de « justice >>.

<< Frais de justice, dit Ferrière, sont frais qui ont fait la << conservation de la chose au profit du propriétaire, du << créancier, ou de tout autre qui y a droit ou intérêt. Les << frais de scellés, d'inventaires, de ventes, d'ordre et de << discussion de meubles ou immeubles, et autres, sont frais << de justice. >>1

Les frais de justice doivent donc s'entendre, dans la matière des privilèges, de tous les frais faits pour la conservation, la liquidation, la réalisation et la distribution du patrimoine du débiteur; et rien n'est plus facile à justifier que le privilège donné à cette créance. Les frais qui ont été faits étaient des frais nécessaires, qui s'imposaient à tous les créanciers, et celui qui les a avancés a fait l'affaire de tous les autres : il est donc de toute équité que ces frais soient privilégiés, et privilégiés avant toute autre créance, qu'ils soient déduits de patrimoine qu'ils ont conservé ou liquidé.'

183.- L'origine de ce privilège remonte au droit romain, où il est formellement consacré dans la matière des successions, pour le calcul de la Falcidie et à propos de l'adition d'hérédité:

« Quantitas patrimonii, deducto etiam eo quidquid expli« candarum venditionum causa impenditur, æstimatur. »3 « In computatione autem patrimonii damus licentiam ex

2

1 Dictionn. de droit et de PRATIQUE, V° Frais de justice. Compar. Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 131; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 315; Laurent, XXIX, n° 323.

' L. 72, D., Ad Leg. Falcid. (XXXV, 2).

«cipere et retinere quidquid... vel in testamenti insinua« tionem, vel in inventarii confectionem, vel in alias neces«sarias causas hereditatis approbaverit sese persolvisse. »1 De là ce privilège était passé dans notre ancien droit: << Les frais de justice, dit Ferrière, se prennent toujours << sur la chose, et par préférence; parce qu'étant faits à << l'occasion et pour l'utilité d'une cause commune, ils en << deviennent la dette, qui doit être acquittée auparavant << que qui que ce soit puisse rien remporter de l'objet qui « y a donné lieu. »

«Les frais de vente, dit de son côté Denisart, ceux qui << sont faits pour y parvenir, et même ceux qui ont la dis<«<tribution pour objet, sont toujours privilégiés et les pre<< miers pris; parce que c'est par le moyen de ces frais que << les privilégiés mêmes parviennent à leur paiement. »3

184.- La plupart des législations étrangères, de celles du moins qui admettent les privilèges mobiliers, classent les frais de justice au premier rang de ces privilèges. Parmi elles nous en citerons trois dont la rédaction, moins laconique que celle de notre article 2101, nous paraît heureuse, et de nature à bien préciser ce qu'il faut entendre par frais de justice ce sont les législations du Bas-Canada, du Tessin et du Japon:

<< Les frais de justice sont tous les frais faits pour la sai<< sie et la vente des biens meubles, et ceux des opérations judiciaires qui ont pour objet de fournir aux créanciers << généralement le moyen d'obtenir le paiement de leur « créance. »✦

<< Les frais de justice sont ceux de saisie, de séquestre, << de garde, de vente, et autres semblables, faits dans l'in<< térêt commun des créanciers.

<< Les frais faits par chaque créancier dans l'intérêt de sa

1 L. 22, § 9, COD., De jure deliberand. (V1, 30).

* DICTIONN. De droit et de pratique, V' Frais de justice. 3 COLLECT. DE DÉcis. Nouv., V° Privilège.

4 Code civil du Bas-Canada, articles 1994 et 1995.

<< propre créance sont considérés comme un accessoire de << la créance même. »1

« Le privilège des frais de justice appartient aux créan«ciers qui ont fait des avances d'argent ou auxquels il est << dû un salaire ou des honoraires pour tous actes judiciai<< res ou extrajudiciaires légitimement faits dans l'intérêt << commun des créanciers, soit pour conserver les biens du << débiteur, soit pour arriver à les liquider et à en distribuer « le prix.

« A l'égard des frais qui n'ont pas été utiles à tous les «< créanciers, le privilège reste spécial et n'est opposable << qu'aux créanciers dans l'intérêt desquels les frais ont été « faits. »>*

185. Pour savoir ce que l'on doit entendre par << frais << de justice» privilégiés, il faut distinguer trois catégories de frais qui peuvent être faits par un créancier.

En première ligne se placent les frais faits dans l'intérêt général de la masse des créanciers, qui profitent à tous sans distinction: tels sont les frais d'apposition de scellés, d'inventaire, de saisie, de vente des biens du débiteur, de distribution des prix de vente par voie de contribution. Ces frais, sans lesquels aucun des créanciers n'aurait pu toucher sa créance ou le marc le franc qui lui revient, sont privilégiés à l'égard de tous.

En seconde ligne viennent les frais qui n'ont été utiles qu'à une partie des créanciers, mais non aux autres qui n'en avaient pas besoin pour réaliser leur gage. Comme le privilège des frais de justice repose sur l'idée de service rendu aux autres créanciers, les frais de cette catégorie seront privilégiés à l'encontre des créanciers auxquels ils auront été utiles, sur le prix des meubles qui sera distribué à ceuxci, mais ils ne le seront pas vis-à-vis des créanciers auxquels ils n'ont pas servi.

1 Code civil du Tessin, article 894.

* Code civil du Japon, Livre Des garanties des créances, article 138.

GUIL. Privilèges, 1.

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L'article 662 du Code de procédure nous fournit une application intéressante de ce principe: il décide que les frais de poursuite de distribution par contribution seront prélevés par privilège avant toute créance autre que celle pour loyers due au propriétaire, car ils sont inutiles à ce dernier, qui peut faire régler sa créance de loyers en référé, aux termes de l'article 661 du même Code.

En troisième lieu se rangent les frais faits en justice par un créancier dans le seul intérêt de sa créance, par exemple pour la faire reconnaître en justice par le débiteur qui la conteste, pour obtenir un titre exécutoire alors que le créancier n'a qu'un titre sous-seing privé, pour obtenir l'autorisation de prendre des mesures conservatoires, etc... Dans ce cas, le créancier ne peut avoir le privilège de l'article 2101, 1o, pour le recouvrement de ces frais, bien qu'il s'agisse de « frais « faits en justice » ; mais il n'a rendu service qu'à lui-même, et aucune faveur ne s'attache à cette partie de sa créance.

Seulement, dans la théorie que nous avons adoptée,' ces frais forment un accessoire de sa créance principale, et si cette créance jouit d'un privilège quelconque, ils seront privilégiés au même titre.

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186. Dans la première catégorie, celle des frais de justice privilégiés à l'égard de tous les créanciers prenant part à la distribution du prix des meubles, parce qu'ils ont été utiles à tous, on doit ranger les frais suivants : les frais d'apposition de scellés, d'inventaire,' de nomination de séquestre, de saisie, de vente et de distribution du prix des meubles; les frais faits pour l'administration de l'héri

1

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Suprà, no 174.

Paris, 27 mars 1824, Sirey, C. N., VII, II, 338.

* Cassation, 11 août 1824, Sirey, C. N., VII, I, 516.

Cassation, 29 juin 1875, Sirey, 75, I, 397, et Dalloz, 75, I, 471 ; Cassation, 26 juin 1878, Sirey, 78, I, 460, et Dalloz, 78, 1, 343; Cassation, 1er avril 1890, Dalloz, 91, I, 364.

Orléans, 13 août 1840, Sirey, 40, II, 410; Lyon, 16 janvier 1851, Sirey, 52, II, 344, et Dalloz, 52, II, 296; Dijon, 10 mai 1893, Dalloz, 93, II, 479.

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