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pas que la veuve, les enfants et les domestiques assistent aux funérailles, mais, dans les lieux où l'usage contraire est établi, il accorde le privilège même pour le deuil des domestiques.

Notre opinion est qu'il faut le refuser dans tous les cas et pour toutes personnes.

Les raisons de décider sont les mêmes, à notre avis, que pour la concession de terrain ou le monument funèbre; il s'agit là d'une dépense qui ne rentre pas dans les «< frais << funéraires », que le Code déclare seuls privilégiés, et d'une dépense qui n'a pas le caractère de nécessité qui permet de l'imposer aux créanciers.

L'argument historique ne peut être invoqué pour interpréter en ce sens l'expression « frais funéraires », car, ainsi que nous l'avons dit, la question était très controversée dans notre ancien droit:

<< Les habits de deuil, disait Basnage, n'ont pas la même << faveur, et l'héritier est tenu de faire le deuil à ses frais. »' Cette opinion était suivie par la jurisprudence du Parlement de Bordeaux.?

Le législateur se montre, il est vrai, très favorable aux frais de deuil de la femme dans la matière du contrat de mariage, mais il prend soin de le dire dans les articles 1481 et 1570,' et d'ailleurs la situation n'est pas la même : il s'agit là de régler la situation entre la veuve et les héritiers du mari prédécédé, et l'on comprend que la loi impose à ceux-ci un sacrifice qu'elle n'impose pas aux créanciers. Aussi croyons-nous qu'il faut écarter sur ce point toute idée de privilège.*

'Des Hypothèques, Chap. IX.

'Salviat, JURISPRUD. Du Parlement de BordeAUX, V° Veuve. 5 Voir notre Traité du Contrat de Mariage, II, no 679; III, n° 1305-1306 bis, 1314, 1662; IV, no 2160-2165.

Tribunal de la Seine, 6 mai 1873, Dalloz, 75, III, 8; Tribunal de la Seine, 21 juin 1893, Pandectes françaises, 95, II, 221. — Merlin, RÉPERT., V° Deuil, § II, n° 8; Grenier, Des Hypothèques, II, no 301; Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 136;

207. Sur les différents chefs pour lesquels nous admettons le privilège des frais funéraires, nous ne l'admettons qu'avec la restriction que nous avons indiquée, d'après la tradition du droit romain et de notre ancien droit,' et qu'il importe maintenant de préciser les dépenses rentrant bien dans la catégorie des frais funéraires ne jouissent du privilège accordé à ces frais que si elles sont modérées.

Le législateur ne pouvait fixer le chiffre des dépenses à faire pour les funérailles : une seule législation, à notre connaissance du moins, a fixé un maximum, celle de la Louisiane, mais nous croyons qu'elle a eu tort. Tout dépend en effet des circonstances, et c'est aux tribunaux, et non au législateur, à en apprécier l'infinie variété.

Mais les tribunaux devront-ils, dans cette fixation, tenir compte à la fois de la fortune laissée par le défunt et de sa condition sociale? C'était la solution de la loi romaine que nous avons citée,'Equum accipitur ex dignitate ejus, qui funeratus est, ex causa, ex tempore, et ex bona fide. C'était aussi la solution de notre ancien droit, et c'est la décision expresse de plusieurs législations contemporaines, celles du Bas-Canada, de la Belgique, du Portugal, du Japon, de la Louisiane."

Diverses décisions du tribunal de la Seine s'écartent de ce système et jugent que les tribunaux ne doivent prendre en considération qu'un seul élément, la fortune laissée par

Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 26; Aubry et Rau, III, § 260, texte et note 11, p. 130; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 357; Laurent, XXIX, n° 358; Thézard, Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothèques, n° 374; Thiry, IV, n° 355; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 321.

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• Pothier, Introduct. à la Cout. d'Orléans, Tit. XX, Chap. II,

§ 9, n° 117.

5 Suprà, n° 200.

le défunt, sans tenir aucun compte de sa position sociale:

<< ....Que les tribunaux, pour déterminer les dépenses <«<couvertes par le privilège, doivent tenir compte, non de << la situation apparente du débiteur, ni de sa position so<«<ciale, mais de son état réel d'insolvabilité, et protéger << ainsi les intérêts des créanciers. »>1

Cette solution apparaît au premier abord comme la plus logique qu'importe en effet aux créanciers, aux dépens desquels les frais funéraires sont payés, la condition sociale de leur débiteur ? Ce qui doit les préoccuper, et par là même servir de guide aux tribunaux défenseurs de leurs intérêts, ce sont les ressources qu'il a laissées, et, si son insolvabilité est grande, que les créanciers doivent perdre beaucoup, les funérailles devront être ordonnées avec parcimonie, quelle qu'ait été la « condition sociale » de ce. débiteur.

Mais, lorsqu'on y réfléchit, ce système doit être écarté malgré sa logique, par la considération suivante: au moment où une personne meurt et où ses héritiers ordonnent ses funérailles, la situation pécuniaire de cette personne n'est souvent qu'imparfaitement connue; beaucoup meurent pauvres, quelques-uns ruinés, qui pendant leur vie passaient pour être dans l'aisance, parfois même dans la richesse. Sans doute cette incertitude de la situation exacte laissée par le défunt, situation qui ne sera connue que lors de la confection de l'inventaire, commande aux héritiers une grande prudence dans l'ordonnance des funérailles, et ils ne doivent faire que le nécessaire. Mais s'ils se sont maintenus dans cette limite, en tenant compte de la situation apparente du défunt, il serait injuste de faire retomber sur eux, ou sur les créanciers à raison de ces frais, des dépenses qui paraissaient nécessaires, dans la mesure où elles ont été ordonnées, au moment où l'ordre a été donné.

Tribunal de la Seine, 23 février 1889, Pandectes françaises, 90, II, 41. Sic même tribunal, 6 mai 1873, Dalloz, 75, III, 8; 16 novembre 1889, Sirey, 90, II, 47.

Nous proposons donc de suivre l'opinion traditionnelle, et de décider que la quotité des frais funéraires devra être appréciée en tenant compte « de la condition de la fortune <«< du défunt », suivant la formule de la loi hypothécaire belge.'

208. Le privilège des frais funéraires, limité dans la mesure que nous venons d'indiquer, appartient aux personnes qui ont concouru aux diverses parties des funérailles et qui sont créancières directes de ces frais, gardes qui ont veillé auprès du corps, menuisier, pompes funèbres, fabrique ou consistoire, etc... Il appartient aussi aux héritiers ou représentants du défunt, qui ont commandé les funérailles et qui sont débiteurs vis-à-vis de ceux auxquels ils se sont adressés, sauf recours contre la succession.

Mais faudrait-il l'accorder au tiers, non représentant du défunt, qui aurait payé ces frais, et son recours contre la succession, dont il est certainement créancier, serait-il privilégié ? La question est controversée entre les auteurs, mais, en ce qui nous concerne, nous adoptons la distinction proposée par M. Martou et que voici.

Si le tiers, qui a payé les frais funéraires, a ordonné les funérailles, ou s'il s'est porté caution des héritiers qui les ont ordonnées, il jouira du privilège de l'article 2101, 2o : il est devenu en effet, par l'ordre qu'il a donné ou la garantie qu'il a promise, le débiteur direct des frais funéraires, et lorsque, après les avoir payés, il se présente pour se faire rembourser par la succession, il vient comme créancier des frais funéraires et doit être privilégié à ce titre.

Mais, s'il n'a ni commandé les funérailles ni garanti le paiement des frais, et que, après les funérailles, il ait, sur

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1 Paris, 9 février 1887, Sirey, 87, II, 40. Persil, Régime hypothécaire, I, article 2101, no 6; Grenier, Des Hypothèques, II, n° 301; Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 135; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 26; Aubry et Rau, I, § 260, texte et note 14, p. 131; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 72.

la prière de l'héritier, soit payé les créanciers, soit donné de l'argent à l'héritier pour les payer, nous croyons qu'il n'aura de privilège que s'il a obtenu la subrogation à son profit, dans les termes de l'article 1250 du Code civil:

<< Sa position, dit très bien M. Martou, est celle d'un sim<< ple bailleur de fonds. Il n'est pas créancier pour frais << funéraires, car cette créance s'est éteinte par le paie«ment; il l'est à cause d'un contrat nouveau, à titre de <«< prêt, et ses droits ne diffèrent pas de ceux de tout autre << prêteur; s'il veut exercer le privilège des personnes dont «<le ministère a été nécessaire aux funérailles, il doit se << faire subroger. »1

§ III

Du privilège des frais de la dernière maladie.

209. — Le privilège pour les frais de la dernière maladie repose sur un double motif, très bien indiqué par Brodeau, dans ses notes sur Louët: un motif d'humanité d'abord, il ne faut pas que le débiteur malade reste privé de soins, parce que ceux qui peuvent les lui donner craindraient de n'être pas payés; puis un motif de faveur pour la créance des médecins, gardes-malades, etc., qui sont des créanciers particulièrement dignes d'intérêt:

<< Il n'y a dette, dit Brodeau, dont la cause soit plus juste, << plus favorable et plus privilégiée que celle qui procède << des médicaments, par le moyen desquels bien souvent la << vię nous est conservée et prolongée, et la personne du << débiteur maintenue en santé, pour le bien et la sûreté « des dettes de tous les autres créanciers...

1 Des Privilèges et Hypothèques, II, no 359. Sic Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 74. Compar. Persil, Régime hypothécaire, I, article 2101, V; Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, no 77. Contrà, dans le sens de l'obtention du privilège même s'il n'y a pas de subrogation, Duranton, XIX, no 51; Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, 1, n° 136 bis.

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