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<< Bientôt, dit M. Esmein, ne distingua-t-on plus quant au << droit de préférence ni quant au droit de suite entre l'o«bligation générale et l'obligation spéciale. Entre créan«ciers hypothécaires, l'ordre des temps régla toujours les << rangs: seules les hypothèques privilégiées primèrent les << autres, non en raison de leur spécialité, mais en raison << de leur origine. »1

Comme en droit Romain, l'hypothèque, provenant soit de l'obligation générale, soit de l'obligation spéciale, résulta du seul consentement des parties, et il n'y eut pas besoin, dans le droit commun de la France, du concours du seigneur :

*... Au pays de Champagne et de Brie et d'environ, là a « lieu obligacion par hypothèque; car aussitost que lomme « est obligié hypothèque s'y assiet. >>1

Il n'y a qu'un point sur lequel persista la différence entre l'hypothèque romaine et l'hypothèque de notre ancien droit; celle-ci, à la différence de l'hypothèque romaine, ne put pas être constituée sur les meubles. M. Valette, dans la savante étude qu'il a consacrée à la règle que Les meubles n'ont pas de suite par hypothèque,' résume dans les termes suivants la portée de cette règle en matière hypothécaire :

« Dans les pays de droit écrit et dans quelques coutu<mes, on avait retenu quelque chose de l'hypothèque mo<< bilière des Romains : c'était le droit de préférence sur les << meubles du débiteur, eu égard à la date de la convention « ou d'un autre titre hypothécaire (prior tempore, potior « jure); mais on avait rejeté en cette matière ce que nous << appelons proprement aujourd'hui le droit de suite; en << d'autres termes, l'hypothèque des meubles ne produisait

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1 Somme rural, Liv. I, Tit. 25 (Edit. Charondas le Caron, 1611, p. 192).

* Revue de droit français et étranger, 1845, II, p. 365 et suiv., et Mélanges de droit, de jurisprudence et de législation, I, p. 247 et suiv.

4 Anjou, Maine, Normandie.

<< aucun effet contre les tiers acquéreurs. Pour nous autres << modernes, cet état de choses est exprimé de la manière << la plus exacte et la plus claire par la maxime: Les meu«bles n'ont pas de suite par hypothèque.

<< Mais le droit commun des pays coutumiers ne s'arrê<< tait pas à cette demi-réforme ; il rejetait l'hypothèque des << meubles en entier, sous toutes ses faces, comme droit de << collocation par préférence aussi bien que comme droit de << suite. C'est ce que déclarent, d'une voix unanime, tous << nos anciens auteurs. >>

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14. L'hypothèque ainsi organisée dans notre ancien droit présentait, au point de vue des tiers, tous les inconvénients de l'hypothèque romaine, car elle était occulte comme celle-ci ; le créancier, vis-à-vis duquel une obligation spéciale ou générale était prise, n'était jamais assuré de ne pas être primé par une hypothèque antérieure, pas plus que l'acquéreur n'était assuré de ne point être évincé par l'effet d'une hypothèque qu'il n'aurait pas connue.

Les dangers de cette absence de publicité augmentèrent même par l'étendue donnée à l'hypothèque générale, que l'on finit par attacher à toute obligation, au moins lorsqu'elle était reçue par acte authentique.

Loyseau, dans son traité Du Déguerpissement, nous montre très bien comment on était arrivé à donner cette extension à l'hypothèque générale, en même temps qu'il indique, en termes saisissants, le péril que cet état de choses avait créé. Après avoir montré avec quelle facilité, dans notre ancien droit, on pouvait « obliger d'un seul mot tous et cha<«< cuns ses biens », même les biens à venir, il ajoute :

<< Et encores en France on a bien passé plus outre : car << pour ce qu'en tous les contracts par un style ordinaire des << notaires on s'est accoustumé d'insérer la clause d'obli<<<gation de tous les biens; on a enfin tenu pour règle, que <<< tous contracts portoient hypothèque sur tous les biens, << comme cette clause estant soubs-entendüe, si elle avoit « été obmise.

«En quoy à la vérité il n'y a nul inconvénient pour le regard du débiteur; car il est bien raisonnable de le faire << bon payeur par tous moyens : mais l'inconvénient est « grand à l'égard d'un tiers acquéreur de bonne foy, qui << pensant être bien asseuré de ce qu'on lui vend et qu'on << met en sa possession sachant bien qu'il appartenoit à son « vendeur, s'en voit enfin évincé et privé par un malheur «< inévitable, au moyen des hypothèques précédentes, les<< quelles estant constituées secrettement, il ne lui estoit possible de scavoir ny descouvrir. »

Voici la conclusion de Loyseau :

«... Nous voyons avenir tous les jours du trouble aux tiers. << acquéreurs, à cause des hypothèques précédentes dont il << se veoit infinité de bonnes maisons ruinées, non par mau<< vais mesnage, mais pour n'avoir pas assez seureusement «achepté. Et puis dire qu'il se trouvera plus de bons mes«nagers ruinez par ce moyen, pour les debtes d'autruy, et << pour avoir mal achepté, que de mauvais mesnagers pour « leurs propres debtes, et pour avoir mal vendu : qu'est-ce << qu'on dit en commun proverbe, qu'il y a plus de fols «achepteurs que de fols vendeurs. »1

15. On en arriva à décider que l'hypothèque ne pouvait être constituée que par un acte authentique, mais en même temps on admit que tout acte authentique emportait hypothèque générale, sans qu'il y eût besoin d'une convention particulière dans l'acte, comme l'obligation générale dans le droit ancien primitif :

« Les seuls contrats passés devant notaire, dit Basnage, << peuvent donner hypothèque. »2

Loyseau, examinant si le légataire a une hypothèque, ne s'exprime pas moins nettement :

. «En France, dit-il, cette question est presque inutile: << car ou le don ou legs est faict par devant notaires, et en ce « cas il a toujours hypothèque par nostre usage; ou c'est

1 Du Déguerpissement, Liv. III, Chap. I, n° 15 et 19. * Des Hypothèques, Chap. I (Edition de 1681, p. 9).

<< par scedule privée, ou testament escrit et signé de la main << du testateur, et en ce cas, ores mesme qu'il y eust clause << claire et expresse de constitution d'hypothèque, telle << clause ne sert de rien, et n'a point d'effect pour induire << hypothèque, du moins à l'égard ny du tiers détenteur de << l'héritage, ny des autres postérieurs créanciers, et ce pour << éviter aux fraudes. Car tous nos practiciens de France sont << d'accord que la loy Scripturæ, c., Qui pot. in pignor., en «< ce qu'elle décide que l'hypothèque peut être constituée par « écriture privée, pourvu qu'elle soit signée de trois tesmoins, « n'est point gardée en France... »1

Citons encore Ferrière :"

<< Nous ne suivons pas encore la disposition du droit << Romain, en ce que, suivant elle, la seule convention des << parties était suffisante pour constituer une hypothèque. << Mais la seule convention des parties n'est pas capable, en << France, de constituer hypothèque ; il faut pour cet effet << le ministère des personnes publiques, savoir, du juge << ou du notaire. »

L'hypothèque conventionnelle résultait donc toujours d'un acte notarié, qu'il s'agit de l'hypothèque générale attachée à toute obligation par une présomption de volonté des parties ou de l'hypothèque spéciale expressément stipulée. Mais, si cette forme était de nature à empêcher quelques fraudes, des antidates, par exemple, elle ne remédiait pas au vice de clandestinité, les prêteurs et les acquéreurs ne pouvant ni savoir devant quel notaire une hypothèque avait été donnée, ni, s'ils l'avaient par hasard appris, prendre connaissance de l'acte. Dans notre ancien droit en effet, comme aujourd'hui, les notaires ne pouvaient communiquer les actes qu'aux parties elles-mêmes :

<< Comme ils sont dépositaires du secret des familles, dit << Ferrière, ils ne doivent point communiquer les actes qui << sont passés chez eux, si ce n'est aux parties qui les ont

9

Traité du Déguerpissement, Liv. I, Chap. 8, no 9.

• DICT. DE DROIT ET DE PRATIQUE, V° Hypothèque.

<< passés ; et ils ne peuvent être contraints de les exhiber « à d'autres, qu'en vertu de lettres de compulsion obtenues « à cet effet. »>1

16. — Aux dangers résultant du caractère occulte des hypothèques un remède avait été apporté dans deux régions de la France: dans les provinces du Nord, par le système du nantissement, et, en Bretagne, par le système de l'appropriance.

Examinons les effets de l'une et de l'autre de ces deux institutions.

Le système dit du nantissement était appliqué en Belgique et dans le nord de la France, notamment dans les coutumes de Picardie, d'Amiens, de Vermandois, de Ponthieu, de Cambrésis, de Péronne, de Reims, de Valois et de Boulonnais :

<< Nantissement signifie une manière d'établir et consti<< tuer hypothèque sur des immeubles, dans quelques pro<< vinces de France, appelées coutumes de nantissement; ce <qui se fait par une espèce de tradition feinte ou simulée, << comme en Picardie et en Champagne. C'est aussi une « formalité qui s'observe en quelques coutumes en la vente << et l'aliénation des immeubles, pour en acquérir droit de < propriété. >>

Le nantissement était, dans sa forme comme dans ses résultats, une institution excellente, qui assurait aux acquéreurs et aux créanciers hypothécaires une sécurité que le droit général des coutumes ne leur donnait pas.

Le nantissement, connu aussi sous les noms de devest et vest, déshéritance et adhéritance, dessaisine et saisine, devoirs de loi, consistait dans le dessaisissement solennel par l'ancien propriétaire de ses droits, et l'investissement du nouvel acquéreur ou du créancier hypothécaire. Pour la transmission de la propriété la première origine de ces formalités est évidemment la tradition solennelle du droit Romain

1Qp. citat., V. Notaire.

2 Op. citat., V° Nantissement.

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