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dataire qui a fait des frais pour la conservation de la chose du mandant, et il faut en dire autant de tous ceux qui nesont pas dans les conditions que nous venons d'indiquer pour l'obtention du privilège des gens de service, mais dont les travaux ont conservé la chose dont le prix va être mis en distribution.

228. — Le privilège que l'article 2101, 4o, ne donne ni aux ouvriers, ni aux commis, a été donné aux ouvriers industriels et aux commis, non par le Code de commerce de 1807, mais par les lois qui l'ont modifié.

En effet, la loi du 28 mai 1838 sur les faillites a, dans le nouvel article 549 qu'elle édictait, créé ce privilège dans les termes suivants :

<< Le salaire acquis aux ouvriers employés directement << par le failli pendant le mois qui aura précédé la déclara<<tion de faillite sera admis au nombre des créances pri« vilégiées, au même rang que le privilège établi par l'ar<<ticle 2101 du Code civil pour le salaire des gens de ser<< vice. Les salaires dus aux commis pour les six mois qui << auront précédé la déclaration de faillite seront admis au << même rang. >>

La loi du 4 mars 1889 a étendu ce privilège, en ce qui concerne les ouvriers, en le leur accordant pendant les trois mois qui précèdent la liquidation judiciaire ou la faillite.

Enfin, la loi du 9 février 1895 étend le privilège des commis en l'accordant aux commis attachés à une ou plusieurs maisons de commerce, sédentaires ou voyageurs, savoir, s'il s'agit d'appointements fixes, pour les six derniers mois, et s'il s'agit de remise proportionnelle allouée à titre d'appointements ou de supplément d'appointements, pour les trois derniers mois.'

L'explication de ces lois appartient au droit commercial, et nous n'avons point à la donner; mais nous devons montrer comment cette extension des privilèges de l'article 2101

Voir, sur le sens à donner au mot Commis, Trib. de comm. de la Seine, 18 décembre 1895, Pandectes françaises, 96, II, 197.

a été inspirée par les mêmes motifs que ceux du privilège des gens de service. M. Martou, en expliquant l'article 49 de la loi belge du 16 décembre 1851, qui avait déjà fait cette extension, l'a très bien indiqué :

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<< Les mêmes raisons d'humanité plaideront pour eux (les << commis et les ouvriers), et avec plus de force même, puisque c'est par le zèle des commis, et par le travail des << ouvriers que le gage commun des créanciers sur les<«<quels ils sont appelés à l'emporter, s'est trouvé, jusqu'à << la réalisation des valeurs, conservé ou amélioré, tandis << que les domestiques proprement dits ne rendent de ser<< vices qu'à la seule personne du débiteur. »1

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229. Le privilège accordé, soit par l'article 2101, 4o, aux gens de service, ou par l'article 549 du nouveau Code de commerce pour les ouvriers, doit-il être accordé aux acteurs, en cas de faillite d'un directeur de théâtre ? La question est, hélas! très pratique, au moins en province, où le culte de Thalie et de Melpomène, comme on disait au commencement du siècle, n'enrichit pas ses adeptes : « Les << directeurs de théâtre, dit M. Laurent, font régulièrement << faillite, au moins dans la ville où nous écrivons. » Ce n'est pas seulement à Gand qu'il en est ainsi, et il est important de savoir si, dans ces hypothèses trop fréquentes, les acteurs ont un privilège.

L'affirmative a été jugée par la Cour de Montpellier, qui classe les acteurs parmi les « gens de service » de l'article 2101, 4o, ou tout au moins parmi les « ouvriers » de l'article 549:

<< Attendu, dit l'arrêt, qu'en accordant un privilège aux << gens de service, l'article 2104, C. Nap., s'est évidemment << référé aux dispositions de l'article 1780 du même Code, << qui n'a pas cu uniquement en vue la domesticité, mais << qui comprend parmi les gens de service tous ceux qui << engagent leurs services pour un temps ou pour une en

1 Des Privilèges et Hypothèques, II, no 371.

<<treprise déterminée ; qu'il en est de même de l'article 549, << Cod. com., qui emploie la même locution; que l'article « 2101 se réfère évidemment comme lui au louage d'ou<< vrage et d'industrie, et s'applique aux ouvriers et gens de << service auxquels l'article 1780 est applicable;

«Que l'engagement des artistes envers les directeurs << d'une entreprise théâtrale répond exactement aux con«<ditions indiquées par l'article 1780, Cod. Nap., et par << l'article 2404, même Code, et constitue un louage d'indus<< trie; que si, pour obéir aux exigences de nos mœurs, et « pour ménager de justes susceptibilités, on ne donne pas << aux artistes, dans le langage usuel, la qualification qui << leur appartient dans le langage du droit, on ne peut s'ar<< rêter devant de pareils scrupules, quand, dans l'intérêt << d'une existence trop souvent précaire, les artistes reven<< diquent eux-mêmes les avantages attachés à cette quali<<fication;

<< Que d'ailleurs le privilège réclamé au nom des artistes << ne dépassant pas le mois de traitement qui a précédé la << faillite, il n'y a pas nécessité de déterminer spécialement « à quelle catégorie de créanciers privilégiés les artistes << appartiennent, suivant les dispositions combinées des << articles 2401, Cod. Nap., et 549, Cod. com., puisqu'ils <<< invoquent le moindre des privilèges établis par lesdits << articles. >>1

230.- Il nous est impossible d'admettre cette opinion, qui donne à l'article 2101, 4o, d'abord, puis à l'article 549 du Code de commerce un sens beaucoup trop large.

Les mots gens de service » employés par l'article 2101 sont très clairs, en eux-mêmes d'abord, puis par leur origine historique. En eux-mêmes, grammaticalement, ils ne peuvent s'entendre que des personnes qui sont « en ser

1 Montpellier, 25 mars 1862, Sirey, 62, II, 270, et Dalloz, 62, II, 260. Sic Rolland de Villargues, RÉPERT. DU NOTAR., Vo Engagement d'acteur, n° 215; Agnel, Cod. man. des artistes dramatiques, no 205.

« vice» auprès d'une autre, c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà indiqué, dans des relations de domesticité vis-à-vis de celle-ci; et ce n'est pas seulement par convenance de langage, c'est à raison du sens précis des mots qu'il est impossible de comprendre les acteurs dans cette catégorie de créanciers privilégiés. Puis, historiquement, et comme le prouvent les travaux préparatoires,' ces expressions ont été substituées au mot « domestiques » de l'ancien droit et de la loi du 11 Brumaire an VII non pas pour innover, mais pour comprendre dans ces termes plus larges tous les domestiques, attachés ou non à la personne.

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On prétend que l'article 2101, 4°, doit s'interpréter par l'article 1780, et que ces deux textes s'appliquent aux mêmes personnes; mais nous avons déjà montré qu'il n'en était pas ainsi en établissant que le privilège de l'article 2104, 4o, ne pouvait être donné à l'ouvrier. L'article 1780 a une portée beaucoup plus générale que l'article 2101, 4° : comme nous l'avons dit dans notre Traité du Louage, il ne s'applique pas seulement aux domestiques et ouvriers, ce qui suffirait pour lui donner plus d'étendue qu'à l'article 2101, 4o, mais il s'applique à tous ceux dont les services peuvent faire l'objet d'une location, et c'est ainsi qu'on l'étend à juste titre aux artistes dramatiques; il est donc impossible d'interpréter ces deux textes l'un par l'autre, comme veut le faire l'opinion que nous combattons.

Enfin les motifs de faveur qui s'attachent à la créance des gens de service n'existent pas pour celle des acteurs : les premiers sont dans un état de dépendance qui ne leur permet pas de réclamer leur salaire, et ce salaire n'est jamais très élevé ; les artistes dramatiques au contraire ne se considèrent point comme les subordonnés de leur directeur, et les sommes qu'ils gagnent, qui atteignent parfois des chif

1 Voir notamment le Rapport au Tribunat de Grenier, Fenet, XV, p. 491.

* II, n° 698.

fres d'une énormité invraisemblable, sont toujours élevées par rapport à l'actif que laisse le directeur.

Voilà pour l'application de l'article 2404, 4°.

Quant à l'article 549 du Code de commerce, dans quelle partie veut-on l'appliquer ? Veut-on ranger les acteurs parmi les «< ouvriers » ? C'est impossible, car le mot « ouvrier » ne s'applique qu'à ceux qui travaillent de leurs mains :

« Ouvrier, celui qui travaille de la main pour différents << métiers. »>1

Il n'est pas moins impossible de les assimiler à des «< com<< mis » comme le dit la Cour de cassation, dans son arrêt du 24 février 1864, « l'acception habituelle de ce mot sup<< pose un préposé, un mandataire chargé de représenter << le chef d'une maison de commerce, ou de diriger tout ou << partie de ses affaires. » M. Littré définit plus exactement le mot «< commis » : « Employé d'une administration, d'une << maison de banque, d'une maison de commerce. »> Comment pourrait-on qualifier ainsi l'artiste dramatique, l'acteur, de quelque nom qu'on veuille l'appeler?

Disons donc que les acteurs n'ont pas plus droit au privilège de l'article 2101, 4°, qu'à celui de l'article 549 du Code de commerce.'

231. — La durée du temps pour lequel les salaires des gens de service pourront être réclamés par privilège est fixée par l'article 2101, à « l'année échue et ce qui est dû << sur l'année courante >>.

Le point de départ de cette créance, pour l'année échue, sera le jour de l'entrée du créancier au service du débiteur,

'Littré, DICTIONN. DE LA LANGUE FRANÇAISE, Vo Ouorier. 2 Op. citat., V° Commis.

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Aix, 10 janvier 1861, Sirey, 62, II, 9; Paris, 20 juin 1863, Sirey, 63, II, 254, et Dalloz, 63, II, 19; Cassation, 24 février 1864, Sirey, 64, I, 135.- Bravard-Veyrières et Demangeat, Droit commercial, V, p. 581; Aubry et Rau, III, § 270, texte et note 24, p. 134; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 85; Laurent, XXIX, n° 366.

• Dijon, 10 mai 1893, Dalloz, 93, II, 479.

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