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ou, s'il y est depuis plusieurs années, le jour anniversaire de cette entrée; et, quant à la détermination du jour auquel s'arrêteront les salaires de l'année courante, ce sera le jour du décès du débiteur ou de la constatation de son insolvabilité, le jour du jugement déclaratif de faillite ou de liquidation judiciaire, ou, s'il s'agit d'un non commerçant, le jour des poursuites révélant la déconfiture.

Au premier abord, on peut s'étonner que la créance des gens de service soit privilégiée par un temps aussi long, quand leurs salaires se prescrivent par six mois ou par un an, suivant qu'ils sont engagés à l'année ou pour une période de moins d'une année. Mais le motif en est, d'abord, que la prescription a pu être régulièrement interrompue par le créancier, et alors il jouira dans toute son étendue du privilège que lui accorde l'article 2101.

Puis, si la prescription n'a pas été interrompue, il ne faut pas oublier que nous sommes en présence d'une courte prescription, et nous avons essayé d'établir que dans ce cas, contrairement à l'opinion de MM. Valette et Pont, le créancier de salaires pouvait déférer le serment au débiteur sur le point de savoir s'il l'avait payé.' Dans cette théorie, l'article 2101, 4o, s'explique très facilement, et le créancier aura privilège pour une année échue et l'année courante, à la condition soit d'avoir interrompu la prescription, soit de déférer au débiteur le serment prévu par l'article 2275.

Ajoutons, avec un arrêt de Douai,' que le privilège n'existe au profit des gens de service que pour leurs salaires, point pour les dommages et intérêts qui pourraient être dus par le maître à raison de l'inexécution de ses obligations. Tout est de droit étroit en matière de privilèges, et l'article 21401, 4°, n'en accorde aux gens de service que pour les «< salaires ». 2311. La loi du 27 décembre 1895, concernant Les caisses de retraite, de secours et de prévoyance fondées au profit des employés et ouvriers, crée un privilège qui doit 1 Suprà, n° 180.

* 7 mai 1842, Dalloz, RÉPERT. ALPHAB., V° Obligations, no 1991.

s'ajouter au privilège des salaires des gens de service que nous venons d'étudier. L'article 4, § 2, de cette loi est en effet ainsi conçu:

<< La restitution des retenues ou autres sommes affectées << aux institutions de prévoyance qui, lors de la faillite ou << de la liquidation, n'auraient pas été effectivement versées << à l'une des caisses indiquées ci-dessus, est garantie, pour «< la dernière année et ce qui sera dû sur l'année courante, << par un privilège sur tous les biens meubles et immeubles << du chef de l'entreprise, lequel prendra rang concurrem<< ment avec le privilège des salaires des gens de service << établi par l'article 2101 du Code civil. »

S VI

Du privilège pour les fournitures de subsistances.

232.- Le privilège accordé par l'article 2101, 5o, pour << fournitures de subsistances faites au débiteur et à sa fa<< mille », repose sur le même motif d'humanité qui a fait accorder le privilège pour les frais de la dernière maladie : il ne faut pas qu'aux approches de l'insolvabilité le débiteur soit abandonné, ni par le médecin ou le pharmacien des soins ou des remèdes duquel il a besoin, ni par le boucher ou le boulanger dont le crédit lui est nécessaire pour vivre. C'est afin de donner sécurité à ces créanciers pour cause d'aliments, pour éviter qu'ils ne refusent des fournitures à une personne dont la ruine paraît prochaine, que la loi leur attribue un privilège.

233. Le privilège pour fournitures de subsistances ne paraît pas avoir existé en droit romain. Nos anciens jurisconsultes, qui essayaient toujours de rattacher les solutions qu'ils proposaient à une loi romaine, indiquent bien comme origine de ce privilège la préférence accordée, en matière maritime, à ceux qui ont procuré des vivres pour les matelots:

« Hujus enim pecunia salvam fecit totius pignoris causam : « quod poterit quis admittere, et si in cibariâ nautarum fue«rit creditum, sine quibus salva pervenire non poterat. »1

Mais il est évident par la lecture même de la loi que la préférence ainsi accordée a une toute autre base: elle est donnée au créancier qui a avancé des fonds pour acheter des vivres pour les matelots, ou à celui qui leur a fourni des aliments, par le motif qu'il a ainsi conservé le navire, que les matelots auraient abandonné faute de nourriture. C'est le privilège pour la conservation de la chose, de l'article 2102, 3o, ce n'est pas le privilège exclusivement basé sur des considérations d'humanité que consacre l'article 2101, 5°.

C'est donc à notre ancien droit que remonte l'origine du privilège pour fourniture de subsistances:

<< C'est une maxime certaine, dit Brodeau, que pour dettes << alimentaires on est préféré à tous créanciers chirogra<< phaires. >>

<< Duplessis ne parle pas, dit Denisart, du privilège de <«< ceux qui ont fourni des aliments. Cependant il est cons<< tant que ces fournisseurs ont un privilège, et principale<<ment les boulangers et les bouchers... »

Il est à noter que la loi du 11 Brumaire an VII, qui admettait le privilège des frais de dernière maladie, n'admettait pas celui des fournitures de subsistances.

Les rédacteurs du Code civil ont été mieux inspirés en suivant les traditions de l'ancien droit, et en ne séparant pas ces deux privilèges, inspirés l'un comme l'autre par la même pensée, celle de ne pas « éloigner d'un citoyen les << secours offerts à ses infirmités ou à sa misère, en privant << ceux qui sont disposés à les donner de l'espoir d'être << payés sur les objets qui sont au pouvoir du débiteur et

L. 6, Princ., D., Qui potior. in pign. (XX, 4).

* Sur Louët, LETTRE C, Somm. XXIX, n° 3, et LETTRE A, Somm. XVII, n° 6.

5 Denisart, COLLECT. DE DÉCIS. NOUV., V° Privilège, no 14.

« en évidence, et que de bonne foi ils ont regardé comme << leur gage. »><1

234. En droit comparé, nous trouvons dans beaucoup de législations un privilège accordé pour fournitures de subsistances, dans quelques-unes pour une année,' dans d'autres pour trois mois seulement,' dans l'une pour deux mois, mais dans la plupart pour six mois."

Mais, presque dans toutes ces législations, on écarte la distinction, assez peu justifiée d'ailleurs, que fait notre article 2101, 5o, entre les marchands en gros et les marchands en détail, et on accorde un délai uniforme pour toutes les créances de cette nature."

Nous remarquerons, dans cet examen des législations étrangères, quelques dispositions intéressantes des lois que nous venons de citer.

Le Code civil espagnol (article 1924, 2°) précise les dépenses privilégiées à ce titre, et qui sont « les avances faites << au débiteur, et aux membres de sa famille qui sont sous << son autorité, en comestibles, habillements, chaussures. »

Le Code civil du canton de Vaud (article 1575, 6o) accorde expressément le privilège « aux ouvrages et menues << fournitures des tailleurs et des cordonniers ».

Enfin le Code civil du Tessin (article 897) indique que les fournitures de subsistances privilégiées ne comprennent que celles « de première nécessité ».

'Grenier, Rapport au Tribunat, Fenet, XV, p. 491.

Code civil du Bas-Canada, articles 1994 9° et 2006; Code civil espagnol, article 1924 2o.

3 Code civil du Pérou, article 1009, 4°.

4

* Code civil du Tessin, article 897.

* Loi belge du 16 décembre 1851, article 19, §5; Code civil italien, article 1956, 4°; Code civil du canton de Vaud, article 1575,5°; Code civil portugais, article 884, 4°; Code civil du Japon, Livre Des garanties des créances, article 142.

· Contrà, dans le sens de la distinction du Code civil

6 Voir en ce sens toutes les législations citées aux notes qui précèdent. français, Code civil hollandais, article 1195, §§ 5 et 6.

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235. L'article 2104, 5o, réglemente dans les termes suivants le privilège des créanciers pour fournitures de subsistances:

<< Les créances privilégiées sont... 5° Les fournitures de << subsistances faites au débiteur et à sa famille; savoir, << pendant les derniers six mois, par les marchands en dé<< tail, tels que boulangers, bouchers et autres ; et pendant << la dernière année, par les maîtres de pension et mar<< chands en gros. >>

L'étude de ce privilège comprend l'examen des quatre points suivants : quels créanciers ont droit à ce privilège, pour quelle espèce de fournitures est-il accordé, à qui les subsistances doivent-elles avoir été fournies, et enfin pour quelle période de temps ces fournitures sont-elles privilégiées.

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Nous allons traiter successivement ces diverses questions. 236. L'article 2104 accorde le privilège pour fournitures de subsistances à trois catégories de personnes : les marchands en détail, les marchands en gros et les maîtres de pension; cette nomenclature est-elle limitative, ou au contraire faut-il accorder le privilège à tous ceux qui ont fourni des subsistances, au particulier non marchand comme au marchand?

M. Colmet de Santerre soutient très habilement l'affirmative:

« Ce n'est pas nous éloigner du texte, dit-il, car si l'ar<«<ticle parle des marchands, c'est dans une partie inci<< dente, et non pas dans celle qui contient, principaliter, << la disposition de la loi. Ce qui est privilégié, ce sont les <«< fournitures de subsistances: voilà la disposition prin<«<cipale; elle s'exprime in rem, elle n'a rien de personnel « par rapport à la qualité du fournisseur. Il n'est ques<<tion des marchands que dans la disposition secondaire, << celle qui détermine pour combien de temps les four<< nisseurs sont privilégiés; mais, dans cette partie même, << on s'accorde généralement à admettre qu'il ne faut pas

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