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mot « famille » aurait une acception plus étendue et comprendrait même les amis qui vivent chez le débiteur et à ses frais :

« Famille, dit M. Littré, se dit de toutes les personnes, parents ou non, maîtres ou serviteurs, qui vivent sous le << même toit. >>1

Mais, suivant l'observation exacte de M. Laurent, c'est dans son sens juridique que ce mot doit être pris ici, et le sens juridique est plus restreint ; il ne comprend que les personnes soumises au chef de la famille par un lien de dépendance, c'est-à-dire les parents et les domestiques :

« Famille, dit Ferrière, est l'assemblage de plusieurs << personnes qui vivent sous un même chef et sous sa dé<< pendance. >>

<< Par ce mot, dit aussi Denisart, on entend la réunion de << plusieurs personnes vivant sous la dépendance d'un « même chef. »>"

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248. -- Pour que les gens de service du débiteur puissent être compris dans sa «< famille », dans le sens que nous venons de préciser, il ne suffit pas qu'ils soient à son service; cela est suffisant pour leur reconnaître le droit au privilège que l'article 2101, 4°, donne à tous les gens de service pour leur salaire, mais non pour justifier le droit au privilège de l'article 2101, 5o. Par l'expression « famille » qu'il emploie, ce texte montre suffisamment qu'il ne s'applique qu'aux personnes habitant sous le même toit.

Il résulte de là que la nourriture fournie aux travailleurs immigrants dans les colonies auxquels nous avons reconnu le privilège de l'article 2101, 4o, ne donnera pas aux marchands le privilège de l'article 2101, 5o:

« Qu'on objecte en vain, dit très bien un arrêt de la Cham<«<bre civile de la Cour de cassation, qu'en vertu des règle«ments (administratifs de la colonie), les immigrants in

' DICTIONN. DE LA LANGUE FRANÇAISE, Vo Famille. 2 Dict. de Droit et de Pratique, V° Famille.

3 COLLECT. DE DÉCIS. NOUv., V° Famille.

<< diens sont des serviteurs astreints par leur engagement << à tous les travaux de la domesticité, et que leur maître << est tenu de leur fournir la nourriture ainsi que le loge<< ment en sus d'un salaire:

<< Attendu que ces travailleurs, s'ils sont effectivement << des gens de service, ne sauraient être mis néanmoins au << nombre des membres de la famille de leur maître, lors<< que, comme dans l'espèce, ils ne vivent pas dans sa mai. << son, et que leur service est purement industriel; que, par << suite, les fournitures de subsistances faites en vue de l'in«<dustrie à laquelle ils sont attachés ne sauraient être ré<< putées des fournitures de subsistances faites au débiteur << et à sa famille. »1

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249. Si le débiteur est un aubergiste ou un maître de pension, le privilège de ceux qui lui ont fourni des subsistances est restreint à la quantité nécessaire pour lui et sa famille; et il ne s'applique pas aux subsistances qui ont été consommées par les voyageurs ou les élèves. Les termes de notre texte, le motif d'humanité sur lequel il repose, tout se réuuit pour en écarter l'application à cette catégorie de dépenses, qui n'ont été faites par le débiteur que dans l'intérêt de son industrie."

250. — Quant au temps pendant lequel le privilège est accordé, l'article 2401, 5°, distingue suivant que les fournitures sont faites par des marchands en détail, ou par des maîtres de pension et par des marchands en gros: dans la première hypothèse, les fournitures sont privilégiées pendant les six derniers mois, et dans la seconde, pendant la dernière année.

Cette distinction prend son origine dans les règles de

'Cassation, 22 mars 1892, Sirey, 92, 1, 229, et Dalloz, 92, I, 247 . 2 Rouen, 14 juillet 1819, Dalloz, Répert. alphab., V° Privilèges et Hypothèques, n° 216; Lyon, 14 décembre 1832, Sirey, 33, II, 169; Cassation, 27 février 1833, Sirey, 33, I, 136; Paris,5 mars 1838, Sirey, 38, 1, 630. Aubry et Rau, III, § 260, texte et note 29, p. 135; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 92.

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droit coutumier sur la prescription en cette matière; comme on le voit notamment dans les articles 127 et 128 de la Coutume de Paris, la prescription était de six mois contre les gens de métier et marchands en détail, et d'un an contre les marchands en gros, Mais, ainsi que le fait remarquer avec raison M. Pont,' cette réminiscence n'est pas très heureuse, alors que l'article 2272 fixe d'une manière uniforme à un an la prescription contre les marchands, pour les marchandises qu'ils vendent aux particuliers non marchands et contre les maîtres de pension.

251. Les termes employés par l'article 2101, 5o, << marchands en détail, marchands en gros », feraient croire que le délai du privilège varie suivant le genre de commerce du créancier, qu'il est de six mois, si la fourniture est faite par un marchand en détail, et d'un an, si elle est faite par un marchand en gros.

Mais l'on s'accorde à reconnaître que telle ne doit pas être l'interprétation à donner à l'article 2104, et que le délai sera de six mois ou d'un an non pas selon le genre de commerce du marchand, mais selon la nature de la fourniture qu'il aura faite un an, si la fourniture est en gros, six mois si elle est en détail. Il n'y a en effet aucune raison pour donner une faveur particulière aux marchands en gros, tandis que l'on s'explique que la loi accorde un temps plus long pour les fournitures faites en gros, quel que soit le genre de commerce du marchand qui les fait."

252. Le point de départ de la durée des six mois, ou de l'année, pendant lesquels le privilège est accordé, sera le fait qui donne naissance à la distribution des deniers, le décès du débiteur, sa faillite ou sa déconfiture. En remontant en arrière à partir de cette date, les fournitures faites

1 Des Privilèges et Hypothèques, I, no 89.

* Cassation, 1er février 1893, Sirey, 93, I, 188, et Dalloz, 93, I, 184. Persil, Régime hypothécaire, I, article 2101, § V, n° 3; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, 1, n° 90; Colmet de Santerre, IX, n° 19 bis V.

pendant six mois ou un an seront privilégiées, mais sans que cette durée puisse jamais être augmentée: y eût-il arrêté de compte entre le créancier et le débiteur,' ou action. en paiement dirigée contre celui-ci,' ces faits auront pour résultat de conserver la créance pour un temps plus long, mais non d'augmenter le privilège, dont la durée maximum est fixée d'une manière invariable par la loi.'

253. Si le fait qui amène la réalisation du patrimoine du débiteur est la faillite de celui-ci, le point de départ des six mois ou de l'année sera le jugement déclaratif de faillite, et non l'époque à laquelle sera reportée l'ouverture de la faillite: « En décider autrement, dit avec raison un arrêt << de Rouen, ce serait, au grand dommage de la masse des << créanciers, faire revivre des privilèges éteints à défaut de « demande avant la faillite. »>'

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Si le débiteur est en déconfiture, la question est plus délicate, et un premier système, soutenu par MM. Valettes et Pont, enseigne que le point de départ sera la date de la production de ses titres par le créancier, avec acte contenant demande en collocation, dans les termes de l'article 660 du Code de procédure.

Ce système est justement combattu, à notre avis, par MM. Aubry et Rau,' qui proposent, comme point de départ, au cas de déconfiture, le jour où celle-ci est devenue notoire par la saisie du mobilier du débiteur. Comme ils le font remarquer avec raison, l'époque de l'ouverture de la

1 Bordeaux, 28 août 1844, Sirey, 45, II, 497.

* Limoges, 9 juin 1842, Sirey, 43, II, 10.

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Aubry et Rau, III, § 260, texte et note 34, p. 136. - Voir toutefois Duranton, XIX, n° 63; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 91.

• Rouen, 31 août 1867, Sirey, 68, 11, 230. Sic Aubry et Rau, III, § 260, texte et note 31, p. 136; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 91.

• Des Privilèges et Hypothèques, no 35.

• Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 91.

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distribution par contribution n'a rien de fixe, elle dépend de la plus ou moins grande diligence des créanciers, et la durée des privilèges ne peut être subordonnée à cette diligence ou à cette lenteur. Au contraire, en prenant comme point de départ le jour de la saisie du mobilier, rien n'est laissé à l'arbitraire cette saisie révèle aux tiers l'état de déconfiture du débiteur, et fixe les droits des créanciers; et la durée plus ou moins longue de la procédure de distribution, conséquence de cette déconfiture, ne modifiera pas ces droits.'

Sic Thézard, Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothè ques, no 378.

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