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et de notre très ancien droit, qui, au lieu de se faire en présence du peuple, s'accomplit en présence du seigneur.

Mais, au temps de la féodalité, l'investiture exigée, tant pour la transmission de la propriété que pour l'établissement des hypothèques, se rattache à l'ensemble des mesures prises par le droit féodal pour faire connaître la suprématie du seigneur. Toutes les terres comprises dans l'étendue de sa souveraineté sont réputées sa propriété, et, par suite, on ne peut faire aucune transmission du fief, on ne peut établir aucune charge réelle grevant les immeubles qui le composent sans son consentement.

Si telle est l'origine de l'investiture féodale, il faut reconnaître, avec M. Troplong,' que les services qu'elle pouvait rendre au crédit n'échappèrent pas aux jurisconsultes féodaux, et ils en étendirent l'application aux alleux.2

17. La forme des devoirs de lois est minutieusement décrite dans la coutume d'Artois, dont voici le texte. Nous le reproduisons, car, ainsi que le dit M. Klimrath, il n'y a nulle part d'explication plus complète et plus intéressante de l'ensaisinement :

<«< Quant li hons veut par l'assentement de son hoir, il << convient premerement qu'il soit seu dou signeur de << quoi li hiretages es tenus, et des hommes qui l'ont à ju<< gier, pour savoir se li venderes i a fait about un assene<<ment. Se li sires et li houme dient qu'ils ne sevent about << ne assenement, aler poet-on avant ou vendage. Et con<< vient le vendeur reporter tout l'héritaige par raim et par << baston en le main dou signeur pour ahireter l'acheteur; <<<et convient que li hoirs,' se c'est fies, le raporte aussi, et

De la Transcription, no 8.

* Coutume du Hainaut, Chap. 106, art. II.

3 « On sait, rappelle avec raison Klimrath à ce propos, que << dans l'ancien droit coutumier les héritages (ou propres) ne pou« vaient être aliénés que par le consentement et le gré de l'héri« tier, ou par pauvreté jurée, ou pour employer en plus suffisants « héritages. Etude historique sur la saisine, dans les Travaux sur l'histoire du droit Français, Edition Warnkoenig, II, p. 378.

<< die qu'il tout le droit qu'il a en cel hiretage, ou que eskair << li pooit, il raporte en le main dou signeur ol oes l'acha<< teur, et le droit noumer. Le raport fait en ceste manière, «li sires doit conjurer ses houmes, s'ils en ont tant fait, « qu'ils n'y ait mais droit. Demander leur doit qu'il en a à << faire ; et il doivent dire par jugement que li sires en ahi<< retece l'acateur. Li sires l'en doit tantost ahireter, demandé << avant au vendeur qui se tient por paiiet et lui seur de se << droiture; saisir le doit en disant: si vous en saisi, sauf << tous drois, en main, comme ceste figure le monstre.' Ce << fait, li sires doit conjurer ses houmes, s'il en est bien << ahiretés et à loy. S'il est ensi fait, il i est fait bien et sol<< lempneument, et si coume drois et coustume le requert. << Et en cette manere le convient-il faire de terre sensive, << par les rentiers qui à jugier l'ont. »

Plus tard, ces formalités matérielles de l'ensaisinement disparurent, et on leur substitua une reconnaissance du contrat faite devant les officiers du seigneur ou les juges royaux.

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<< Les deux contractants, dit l'article 264 de la coutume << de Péronne, doivent comparaître devant le bailli ou lieu<< tenant du lieu, et illec déclarer, en présence du greffier « et de deux témoins, le contrat qui aura été fait, dont sera << fait acte, qui vaudra dessaisine et saisine, sans autre << formalité. »

-

18. L'ensaisinement une fois opéré, avec les formes que nous venons de décrire, était rendu public par son enregistrement au greffe du juge qui l'avait reçu :

<< Et sont tenus lesdits justiciers fonciers, par devant << lesquels se font lesdits vests, dévests et nantissements,

1 • La figure qui se trouve au manuscrit représente le juge ⚫ assis sur un siège doré, et tenant de la main un bâton, dont l'acheteur, à genoux devant lui, tient l'autre bout. Les hommes « ou jugeurs, au nombre de quatre, sont debout derrière l'acheteur et en face du juge. » Note de Klimrath, Op. et Loc. citat. * Coutume d'Artois, Chap. 24, § V-XII (d'après le texte donné par Klimrath, Op. et Loc. citat.).

<«<faire faire par leurs greffiers registre à part d'iceux vests, « dévests et nantissements. >>1

La tenue régulière du registre des nantissements était imposée aux greffiers sous leur responsabilité personnelle :

<< Arrest du Lundy 29 novembre 1599 par lequel jugé et <«<est enjoint aux greffiers du bailliage de Vermandois faire << registre séparément des nantissements, non en feuilles << volantes, mais en forme continue, sur peine de répondre << des dommages et interests des parties. »2

Ces registres étaient publics, et tout le monde pouvait les consulter:

« Les ensaisinements doivent être écrits dans un regis<< tre en bonne forme le registre doit être communiqué << indifféremment à tout le monde. »'

:

De plus, l'hypothèque ne pouvait être que spéciale, et le contrat devait, à peine de nullité, désigner d'une facon précise les immeubles qui y étaient soumis:

<< Toutes aliénations et hypothèques d'héritages, faites << par devoirs de loy, soubs une généralité, sont de nulle << valeur pour porter effet, si les pièces de terre ou héritages << ne sont spécifiées ou désignées particulièrement, par << aboutissans et tenans, ou par autre désignation certaine << et spéciale équipolente. »>*

Entre deux ayants-droit, c'était le premier nanti qui l'emportait sur l'autre, même si son titre était le second en date : la préférence se déterminait par l'ordre des nantissements." 19. Comme on le voit par le résumé que nous venons

Coutume de Vermandois, article 120. Adde Coutume de Reims, article 177; et Coutume d'Amiens, article 145.

• Note de Brodeau sur l'article 120 de la Coutume de Vermandois, Nouveau Coutumier général, II, p. 464. Adde Merlin, RÉPERT., V° Devoirs de Loi; Besson, Les Liores fonciers et la réforme hypothécaire, p. 57-62.

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3 DICTIONN. DES ARRÊTS, V° Ensaisinement.

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• Coutume de Cambrai, Tit. V, art. 11. Sic Coutume d'Amiens, article 137.

Coutume de Vermandois, article 128.

d'en donner, le système des Coutumes de Nantissement offre avec le droit général des coutumes un grand contraste et présente, dans son ensemble, un bon système hypothécaire, fondé sur le double principe de la spécialité et de la publicité; et l'on comprend les éloges que le Parlement de Flandre lui décerne en déclarant, dans ses remontrances au sujet de l'édit de 1771, que cette organisation était « le chefd'œuvre de la sagesse, le sceau, l'appui et la sûreté des << propriétés, un droit fondamental dontl'usage avait pro<< duit, dans tous les temps, d'inestimables effets et avait << établi autant de confiance que de facilité dans les affaires. >>

En 1804, le rapporteur du Titre Des Privilèges et Hypothèques au Tribunat, le tribun Grenier, fait timidement remonter au droit Romain l'origine de ces dispositions, puis, s'arrêtant à l'idée que le droit Romain pourrait bien y être étranger, il exprime son étonnement de cette perfection du droit féodal:

« Si on ne pouvait pas, dit-il, reporter l'origine des dis<< positions de ces coutumes à l'ancien droit Romain, et si << on ne devait le puiser que dans le régime féodal, d'après << lequel les seigneurs auraient également voulu qu'on ne « pût hypothéquer et vendre des fonds relevant de leurs << fiefs sans leur consentement; toujours est-il vrai que, de « ce régime si bizarre et si contraire en général à tout ordre « social, il en serait sorti les éléments les plus propres à « l'organisation d'un régime hypothécaire. »1

M. Laurent, qui attaque parfois avec tant de violence la féodalité, en prend ici la défense contre le tribun Grenier : « La féodalité ne mérite pas le dédain que lui prodiguaient « les hommes de la révolution, frappés surtout des abus <qu'elle avait engendrés ; nous lui devons la transforma<<tion de l'esclavage en servage et la lente émancipation des << serfs; nous lui devons notre liberté politique, notre ré<< gime représentatif. Il est vrai que c'est chose plus étonRapport au Tribunat, Fenet, XV, p. 483.

• Voir notamment ce qu'il a écrit au Tome VII, n° 126.

GUIL. Privilèges, 1.

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<< nante encore qu'on lui doive les principes essentiels de no<< tre régime hypothécaire, principes qui tiennent aux néces«sités du crédit ; et certes la féodalité n'avait aucun souci, << ni même aucun soupçon des besoins du commerce et de << l'industrie. Nous avons appelé l'attention de nos lecteurs << sur cette apparente anomalie en traitant de la transcrip<<tion; dans le développement du droit, comme dans le dé<< veloppement de toutes les faces de l'humanité, il y a une << part à faire, et une grande part, à un gouvernement pro«videntiel ce que les hommes veulent n'est pas toujours << ce que Dieu veut. Nous avons montré la main de Dieu << dans l'histoire de l'humanité, il faudrait aussi écrire l'his<< toire du droit à ce point de vue, on verrait à chaque page << la confirmation de cette consolante vérité, que les hom<< mes sont les artisans du progrès, qu'ils font eux-mêmes << leur destinée, mais sous la main de Dieu. »1

Nous nous associons tout à fait aux deux idées qu'exprime M. Laurent: c'est avec raison qu'il reproche l'exagération de leur dédain pour la féodalité aux rédacteurs du Code, qui semblent d'ailleurs l'avoir assez peu connue ; c'est avec plus de raison qu'il signale, dans l'histoire de l'humanité et dans cette marche vers le progrès qui constitue sa loi, l'intervention sans cesse marquée de Dieu, Gesta Dei per populos.

20. Le système de l'appropriance, usité en Bretagne, constituait, avons-nous dit, un autre remède au caractère occulte des hypothèques. Ce n'était pas, comme la formalité du vest et du dévest, une condition substantielle de la vente ou de la constitution d'hypothèque; mais l'appropriance fournissait à l'acquéreur d'un héritage ou d'un droit réel un moyen de consolider la propriété dans ses mains et d'éteindre les hypothèques ou autres droits réels grevant l'immeuble par lui acheté.

L'article 269 de la coutume de Bretagne décrit dans les termes suivants les formes et les conditions de l'appropriance:

1 XXX, no 164.

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