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« unique intérêt, à quelque époque de l'année que ce soit, << disposer de ces animaux et les déplacer. »>1

D'un autre côté, MM. Aubry et Rau, examinant l'hypothèse du bail d'un terrain vague sur lequel le preneur avait élevé un échafaudage, s'expriment ainsi :

<< Le sens du mot ferme, employé dans l'article 2102, se << trouve restreint aux bâtiments d'habitation et d'exploita<«<tion, par le terme maison qui le précède immédiatement. << C'est d'ailleurs évidemment forcer l'expression garnir << que de l'appliquer à des échafaudages élevés sur un ter<< rain nu. »>*

264 I. Voici les motifs qui nous déterminent à repousser cette opinion, et à admettre que le bailleur d'un pré, d'un herbage ou d'un terrain vague peut avoir, selon les circonstances, un privilège sur les meubles morts ou vifs qui y sont placés par le preneur.

C'est, d'abord, le texte de l'article 2102, 1°, dans la partie où il déclare privilégiés « les loyers et fermages des immeu<«<bles »; tout bailleur d'immeubles a donc droit à ce privilège, qu'il s'agisse d'un terrain nu ou bâti, d'une ferme avec des bâtiments ou d'un herbage. Si plus loin l'article emploie les expressions « maison, ferme », dont argumente l'opinion que nous combattons, c'est pour proscrire la distinction romaine sur l'étendue du privilège pour les héritages urbains et les héritages ruraux, et nullement pour limiter le privilège aux maisons et aux fermes.

Nous invoquons, en second lieu et surtout, les motifs qui ont fait créer le privilège du bailleur: comme le dit très bien le regretté M. Labbé à propos d'une autre difficulté née de l'article 2102, 1° : « Plaçons-nous à un point de vue plus

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Bourges, 1er juin 1886, Sirey, 88, II, 185, et Dalloz, SUPPLÉMENT, V Privilèges et Hypothèques, no 90. Sic Tribunal d'Amiens, 4 décembre 1886, Dalloz, 94, I, 129, en note; Tribunal d'Arbois, 14 juin 1888, Sirey, 89, II, 119.

III, § 261, texte et note 12, p. 140. Privilèges et Hypothèques, I, no 153.

Compar. Troplong, Des

« élevé, recherchons le but du législateur en organisant la << sûreté spéciale du bailleur, et, les yeux fixés sur ce but, << interprétons la loi. »' Or le but du législateur a été de favoriser le contrat de louage, à raison de l'utilité qu'il présente, et de protéger le bailleur contre les conséquences du crédit par lui accordé qui est la suite naturelle de ce contrat; et ces motifs s'appliquent aussi bien au bail d'un herbage ou d'une prairie que d'une ferme bâtie.

Nous donnerons un dernier motif à l'appui de la solution que nous proposons. Si, comme le veut l'opinion que nous combattons, on applique littéralement ces mots de l'article 2102, « la maison louée ou la ferme », voici à quelle conséquence on va arriver: le privilège du bailleur ne devra être donné ni pour le bail d'une grange, sur les grains qui garnissent la grange, ni pour le bail d'un magasin, d'une cave ou d'un grenier, sur les objets que le locataire y dépose. En effet, le mot maison et le mot ferme ont un sens très précis : << Maison, bâtiment servant de logis. » — « Le nom de ferme << se donne à un assemblage de terres, prés et autres héri<< tages unis à une maison composée des différents bâti<<ments nécessaires au labourage. » Cette conséquence serait tellement contraire au but du privilège du bailleur que personne, à notre connaissance, n'est allé jusque là, ce qui montre bien que l'interprétation littérale des mots « maison >> et << ferme » doit être écartée.

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Notre conclusion est donc que tout bailleur d'immeubles a droit au privilège, quelle que soit la nature de l'immeuble loué.

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'Littré, DICTIONN. DE LA LANGUE FRANÇAISE, V° Maison. "Denisart, Collect. de décis. Nouv., V' Ferme.

Voir Pothier, Du Louage, no 227-228.

Aix, 30 mars 1865, Sirey, 65, II, 333, et Dalloz, 66, II, 9; Metz, 8 décembre 1869, Dalloz, 70, II, 139; Douai, 29 juillet 1890, Dalloz, SUPPLÉMENT, V° Privilèges et Hypothèques, no 90; Motifs d'Aix, 9 mai 1892, Dalloz, 92, II, 376; Caen, 3 avril 1894, Sirey, 94, II, 312; Cassation, 22 mars 1893, Sirey, 93, 1, 353, et Dalloz,

Mais, nous le reconnaissons volontiers, cette solution de principe présente des difficultés d'application, lorsqu'il s'agit du bail de terres sans bâtiments d'exploitation: il ne suffira pas, pour l'exercice de son privilège, que le bailleur trouve sur ses terres, à un moment donné, des bestiaux appartenant au preneur, il faut encore que ces bestiaux y aient été mis pour un certain temps. Le mot « garnir », dont nous aurons bientôt à déterminer le sens, ne pourrait pas s'appliquer à des animaux mis pour quelques jours, en passant, mais à ceux-là seulement qui ont été amenés pour dépouiller la terre, avec le caractère de permanence que comporte la nature de la récolte de cette terre. Mais ce n'est là qu'une difficulté de fait, que l'article 2102, 1°, présente dans beaucoup d'autres hypothèses, et qui ne fait point obstacle à l'application des principes que nous venons de développer.

265. Pour qu'il y ait lieu au privilège du bailleur, dans les termes de l'article 2404, 1o, il faut qu'il y ait entre les parties un contrat de louage. Nous n'avons pas à indiquer ici les caractères qui distinguent le contrat de louage des autres contrats, nous l'avons fait en étudiant le titre VIII du livre III du Code civil.1

Mais nous voulons signaler une hypothèse particulière dans laquelle il n'y a pas louage, et par suite pas de privilège du bailleur, bien que, dans notre Traité du Louage,* nous l'ayons signalée, incidemment et sans donner de motifs, comme un cas de louage : nous voulons parler du contrat qui intervient entre une commune et l'adjudicataire des droits de places dans les halles, foires et marchés. Un arrêt de la Cour d'Aix, aux motifs duquel nous ne pouvons que nous associer, l'a très bien démontré :

<< Considérant, dit cet arrêt, que le produit des droits de << place perçus dans les halles, foires et marchés, d'après

94, I, 129. Laurent, XXIX, n° 381; Roussellier, Rapport, Dalloz, 94, I, 129; Tissier, Note, Sirey, 93, I, 153.

Voir notre Traité du Louage, I, no 5-15.

2 1, n° 67.

<< les tarifs dûment établis, constitue, aux termes du paragraphe 6 de l'article 133 de la loi du 5 avril 1884, sur l'or«<ganisation municipale, un des éléments en recettes du << budget ordinaire des communes; qu'il est de jurispru<< dence certaine, tant de la Cour de cassation que du Con«seil d'Etat, que ces droits sont des taxes indirectes de la << même nature que les octrois municipaux, et que c'est << uniquement pour ce motif que, conformément aux lois << des 6-7-11 septembre 1790, 2 vendémiaire, 27 frimaire «<et 5 ventôse an VIII, les contestations relatives à leur per<<<ception doivent être jugées par les tribunaux ordinaires;

Qu'il est évident que si les taxes dont s'agit devaient << être considérées comme des prix de location, résultant << de baux consentis par les communes, c'est en vertu des << principes généraux du droit, et non par l'effet d'une lé<< gislation spéciale, que les difficultés auxquelles leur perception peut donner lieu seraient de la compétence de la juridiction civile ;

« Considérant, du reste, que lorsqu'il a prévu la possibi<<lité d'un contrat de louage en une matière analogue, le « législateur l'a formellement exprimé; qu'on lit en effet << dans le paragraphe 7 de l'article 133 sus-visé que les re<cettes du budget se composent encore du produit des per<<< mis de stationnement et de location sur la voie publique,

etc..., d'où suit que les communes sont autorisées à louer << partie de leur domaine public et même du domaine na«<tional, sous réserve en ce cas d'approbation régulière, << par décret présidentiel, du tarif municipal; mais que cette << faculté implique alors manifestement l'existence d'un bail << entre elle et l'occupant. >>1

266. Le privilège du bailleur doit-il être accordé à la personne qui loue une maison en garni? La négative a été jugée par le tribunal de Bruxelles,' qui donne les motifs suivants à l'appui de cette solution: le privilège de l'article 'Aix, 9 mai 1892, Dalloz, 92, II, 376. 10 décembre 1866, Dalloz, 67, III, 79.

2101, 1°, ne peut exister que vis-à-vis du locataire obligé par l'article 1752 de garnir la maison qu'il loue, car le privilège dérive alors de l'intention, que les parties ont eue, que le bailleur trouve sa garantie dans les meubles apportés par le locataire. Mais cette intention ne peut exister dans la location en garni, où le locataire n'apporte aucun meuble; le bailleur se repose pour la perception des loyers sur la solvabilité personnelle de son débiteur, et il ne peut exister de privilège à son profit.

Cette solution nous paraît inexacte, et, sans nier la corrélation qui existe entre les articles 1752 et 2102, 1o, nous contestons que le privilège n'existe que si le locataire est obligé de garnir la maison de meubles suffisants pour répondre des loyers. Il est certain, et nous l'avons nous-même constaté,' que le locataire en garni n'est pas obligé de nantir de meubles suffisants l'appartement qu'il loue; mais il n'en est pas moins locataire d'une maison ou d'une partie de maison, et, à ce titre, les meubles qu'il apporte sont atteints par le privilège du bailleur, d'après les termes absolus de l'article 2102, 1°. Qu'il s'agisse du locataire en garni ou de tout autre preneur, les meubles apportés dans la maison sont possédés par le bailleur, etle privilège de celuici, qui a pour base à la fois la qualité de la créance et le nantissement, doit exister dans tous les cas. Le droit du bailleur est moins étendu, en ce sens que, l'article 1752 n'étant pas applicable, il ne peut exiger que le preneur apporte des meubles; mais pour ceux qu'il apporte, ils seront, comme les meubles de tout preneur, soumis au privilège de l'article 2102, 1°.

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267. Il importe peu, pour que le privilège du bailleur existe, que le prix du bail consiste dans une somme déterminée à l'avance, ou, lorsqu'il s'agit d'un immeuble loué à usage commercial ou industriel, d'un prélèvement de tant pour cent sur les bénéfices du commerce ou de l'in

1 Voir notre Traité du Louage, II, no 464.

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