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Toutefois cette idée de droit réel retenu, que le législateur aurait pu étendre aux récoltes de toutes les années, a été restreinte par lui aux récoltes de l'année: quant aux récoltes des années antérieures, comme le bailleur est en faute de n'avoir pas stipulé ou de n'avoir pas exigé le paiement annuel des fermages, qui est dans les mœurs, il n'aura de droit sur elles que si elles garnissent la ferme.'

298.-Comme conséquence de la solution qui précède, on doit décider que le privilège du bailleur sur les récoltes de l'année n'est pas subordonné à la possession, comme nous venons de le décider pour les objets servant à l'exploitation de la ferme, et que, si ces récoltes ne sont pas engrangées sur la ferme, le bailleur n'en a pas moins son privilège. Il ne sera même pas obligé, pour l'exercer, d'observer les délais imposés pour la revendication par l'article 2102, lorsqu'il s'agit du mobilier garnissant la ferme. La Cour de Besançon l'a décidé à bon droit, en ce qui concerne les délais de la revendication, et la forme même de rédaction de l'article 2102, 3o, § 5, l'indique très bien, puisque ce texte ne fixe de délai que pour la revendication « des meubles qui « garnissent la maison louée ou la ferme ».*

299. Une difficulté naît toutefois lorsqu'il s'agit des récoltes de l'année, dans l'hypothèse où ces récoltes ont été engrangées dans les bâtiments d'un tiers, qui loue ces bâtiments au fermier: il y a alors deux privilèges en con

'Persil, Régime hypothécaire, I, article 2102, § 1, n° 9; Grenier, Des Hypothèques, II, n° 312; Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 158-159 et 165 bis; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 94; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 14, p. 140-141; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 123; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, 11, no 424-425; Colmet de Santerre, IX, n° 28 bis X; Thézard, Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothèques, no 347.

* Besançon, 11 décembre 1845, Dalloz, SUPplément, V° Privilèges et Hypothèques, n° 80. - Adde les auteurs cités au numéro précédent.

Voir toutefois Poitiers, 30 décembre 1823, Sirey,

C. N., VII, II, 282.

flit, celui du bailleur des terres et celui du bailleur des bâtiments; lequel devra l'emporter ? Ce sera, à notre avis, le privilège du bailleur des bâtiments, du moment où il n'a pas eu connaissance, par une notification ou autrement, que ces récoltes provenaient d'une ferme appartenant à

autrui.

Deux motifs doivent assurer la préférence au bailleur des bâtiments: le premier, c'est que, en matière mobilière, entre deux personnes qui prétendent droit à un meuble, la préférence est donnée à celui qui possède. Le second motif est un argument à fortiori de l'article 2102, 4o, § 3: ce texte, mettant en présence le vendeur de meubles non payé et le bailleur nanti de ces meubles, donne la préférence à celui-ci, du moment où il a été de bonne foi; et le premier bailleur, qui n'a qu'un privilège fondé sur la possession, ne peut avoir de droits plus étendus que n'aurait le vendeur.1

300.MM. Aubry et Rau' prévoient, à propos du privilège du bailleur sur les récoltes de l'année, une situation qui se présentera assez fréquemment: le preneur fait valoir en même temps des terres qu'il prend à bail et des terres qui lui appartiennent, ou encore des terres qu'il tient à bail de différents propriétaires, et l'ensemble des récoltes excrues sur ces terres est déposé par lui dans les mêmes bâtiments.

MM. Aubry et Rau proposent alors de laisser aux tribunaux le soin de déterminer, d'après les circonstances de la cause, l'importance des baux, la nature des récoltes, etc....., la mesure dans laquelle le bailleur ou chaque bailleur exercera son privilège; et nous croyons que cette solution doit être adoptée, et même étendue aux animaux élevés sur des terres

1 Poitiers, 30 décembre 1823, Sirey, c. N., VII, II, 282; Paris, 25 juin 1853, Dalloz, 55, 11, 353. Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 165 bis et ter; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 14, p. 140-141; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 123; Colmet de Santerre, IX, n° 28 bis IX; Laurent, XXIX, n° 431.

舅 Op. et Loc. citat.

Jouées sans bâtiments. Le privilège du bailleur ou de chaque bailleur existe sur les récoltes de sa terre, sur les animaux qui y ont été élevés, et il faut bien, pour fixer l'assiette du privilège, que ces récoltes soient déterminées, soit par leur nature, soit par leur quotité proportionnelle, et que l'on sache avec les fruits de quelle terre les animaux ont été nourris.' 301. La vente des fruits provenant de la récolte de l'année, tant qu'elle n'est pas suivie de livraison, n'a pas pour résultat de faire cesser le privilège du bailleur : les fruits vendus, mais non livrés, continuent de garnir la ferme, et le droit du bailleur sur la récolte de l'année, joint au fait de la possession de ces récoltes, lui permet de lutter victorieusement contre l'acquéreur.'

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Mais, si les fruits de la récolte étaient livrés à l'acheteur de bonne foi, celui-ci pourrait s'opposer à leur saisie par le bailleur, et, si le prix en était encore dû, ce prix ne serait point affecté par privilège au paiement de la créance du bailleur. En effet, la vente suivie de livraison approprie l'acheteur d'une manière définitive, ergà omnes, de l'objet par lui acquis; et le bailleur ne peut plus exercer son privilège sur une chose qui a cessé d'appartenir au preneur et sur laquelle son propre nantissement n'existe plus.'

302. - Dans le cas où l'immeuble a été sous-loué par le preneur originaire, le bailleur a privilège sur les meubles du sous-locataire, et, s'il s'agit d'une ferme, sur le mobilier

Tribunal de Cambrai, 30 mai 1884, Sirey, 87, II, 21; Douai, 29 juillet 1890, Sirey, 93, I, 353; Caen, 3 avril 1894, Dalloz, 95, II, 170; Cassation, 22 mars 1893, Sirey, 93, I, 353. Contrà, dans

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le sens du refus de privilège pour la location de terres non bâties, Bourges, 1" juin 1886, Sirey, 88, II, 185; Amiens, 4 décembre 1886, Sirey, 87, II, 140; Tribunal d'Arbois, 14 juin 1888, Sirey, 89, II, 119.

Limoges, 26 août 1848, Sirey, 49, II, 321, et Dalloz, 49, II, 173; Cour de cassation de Rome, 28 décembre 1882, Sirey, 83, IV, 39. 3 Lyon, 24 février 1836, Sirey, 36, II, 414. - Aubry et Rau, III, § 361, texte et note 43, p. 149-150; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 426-427; Laurent, XXIX, n° 432-433.

d'exploitation et sur les récoltes, dans la mesure de l'action directe qui lui appartient contre le sous-locataire.

Nous avons vu en effet, dans notre Traité du Louage,' que le sous-locataire est tenu envers le bailleur jusqu'à concurrence du prix de sa sous-location, aux termes de l'article 1753, et que, dans cette mesure, il est soumis à une action directe de la part du bailleur, qu'il y ait cession de bail ou sous-location, du moins dans la théorie que nous avons adoptée. Cette action directe a été affirmée à diverses reprises par la jurisprudence, notamment par un arrêt récent de la Chambre civile, où on lit ce qui suit:

<< Attendu qu'il résulte des termes de l'article 1753 que les << sous-locataires sont, vis-à-vis du propriétaire, bailleur ori

ginaire, dans la situation d'obligés personnels; qu'il suit << de là que le propriétaire, pour agir contre les sous-loca<«<taires, n'est pas réduit à exercer les droits du locataire << principal; qu'il puise dans le contrat du bail, et dans le fait << de l'habitation, le droit de les poursuivre directement... >>

Or, dans cette mesure, nous disons que le bailleur a un privilège sur les meubles, le mobilier d'exploitation et les récoltes du sous-locataire.

C'était déjà la solution de la loi romaine ... « In eam « duntaxat summam invecta mea et illata tenebuntur, in « quam coenaculum conduxi. »3

Elle était admise aussi dans notre ancien droit, comme l'indique Ferrière :

<<< Le propriétaire, dit-il, a pareil privilège sur les meu<< bles du second locataire que sur ceux du premier, c'est-à<< dire que si le locataire a rétrocédé son bail à un autre, le << propriétaire aura le même privilège sur les meubles de <«< celui à qui la rétrocession a été faite : la raison est que le << privilège est fondé sur l'occupation des meubles, et non sur << le bail; ainsi il n'importe que le second locataire n'ait

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⚫ Cassation, 13 janvier 1892, Dalloz, 92, I, 509.

L. 11, §5, D., De pignerat. act. (XIII, 7).

<< point contracté avec le propriétaire, ses meubles ne lais<< sent pas de lui être obligés et hypothéqués, parce qu'ils << occupent sa maison. >>1

En présence des termes de l'article 1753 du Code civil et de l'article 820 du Code de procédure, qui permet la saisie gagerie sur les effets « des sous-fermiers et sous-locataires », l'existence du privilège au profit du bailleur principal, dans la mesure du droit direct qui lui est donné par l'article 1753, ne pouvait pas être contestée dans notre droit et ne l'a pas été.2

Ce privilège sur les meubles du sous-locataire est expressément consacré par plusieurs législations étrangères : le Code fédéral des obligations de Suisse, article 294; le Code civil italien, article 1958; le Code civil du Japon, livre De la garantie des créances, article 150; et le Code civil du canton de Fribourg, article 1630.

303. Il importe de constater, avec l'article 820 du Code de procédure et l'article 1753 du Code civil, que l'action directe du bailleur et par suite son privilège cessent d'exister contre le sous-locataire ou le sous-fermier, lorsque celui-ci a payé sans fraude ses loyers au locataire ou au fermier principal. Comme nous l'avons dit au Titre Du Louage, le bailleur, au cas de sous-location, n'exerce les droits que la loi lui accorde que dans la limite des droits du locataire principal,' et, lorsque celui-ci est payé sans fraude, aux termes d'usage, le bailleur ne peut rien réclamer."

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Compilat. des commentat. sur la Cout. de Paris, sur l'article 171, n° 29.

* Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 151 bis ; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 57; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 17, p. 141; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 119; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 419; Laurent, XXIX, n° 426; Thézard, Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothèques, no 345. — Compar. Cassation, 2 avril 1806, Sirey, c. N., II, I, 231.

• Voir notre Traité du Louage, I, no 343.

4

• Toulouse, 5 février 1845, Dalloz, 45, II, 80.

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