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304. En limitant avec l'article 1753 les droits du bailleur à ceux du locataire principal, nous avons supposé une sous-location régulière, faite par un locataire auquel son bail ne la défend pas: dans cette hypothèse le bailleur ne peut se plaindre de voir ses droits diminués, car, en ne prohibant pas la sous-location, il a pu et dû prévoir l'inconvénient qu'il subit.

Mais, si le bail interdit toute sous-location, nous croyons que le mobilier introduit par le sous-locataire, dont le titre a été créé malgré la volonté du bailleur, répondra de la dette intégrale du bailleur principal. Ce que l'article 4753 prévoit et réglemente, ce sont les effets d'une stipulation licite, autorisée ou du moins non défendue par le bail priInitif: mais lorsque le bailleur a pris soin de défendre la sous-location, peut-être dans le but d'échapper à la limitation du gage prévue dans l'article 1753, cette sous-location ne lui est opposable dans aucune de ses conséquences. Le mobilier du sous-locataire répondra alors de la créance du bailleur avec la même étendue que le mobilier appartenant à un tiers qui ne lui aurait pas fait connaître son droit de propriété, c'est-à-dire pour la créance tout entière.'

305. La limitation du privilège du bailleur, résultant de l'article 1753, existe-t-elle encore dans le cas où le locataire principal, autorisé par son bail, a cédé au sous-locataire, en même temps que son droit au bail, le fonds de commerce qu'il exploitait dans l'immeuble et le mobilier. qui le garnissait? Un arrêt de la Cour de Paris' a jugé qu'il n'y avait alors aucune restriction au privilège du bailleur, par le motif « que les meubles du locataire ont été, dès leur <<< entrée dans les lieux, frappés du privilège du propriétai«re, et que le locataire principal, en les vendant au sous

1 Cassation, 11 avril 1892, Sirey, 92, 1, 433; Dalloz, 92, I, 345 ; et Note de de Loynes. Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, n° 375.

* 28 février 1832, Dalloz, RÉPERT., V Privilèges et Hypotheques, n° 240.

<< locataire, n'a pu lui en transmettre la propriété qu'avec << la charge du privilège dont ils étaient précédemment « grevés. »

La solution de cet arrêt peut se justifier par les clauses particulières du bail primitif soumis à la Cour; mais nous croyons, avec M. Laurent,' qu'elle doit être repoussée en thèse générale, et cela par les motifs suivants. Lorsque le propriétaire d'un fonds de commerce, en vendant ce fonds. et en louant l'immeuble où s'exerce le commerce, a autorisé la cession du fonds et la sous-location, il a dû compter sur l'application de l'article 1753 et prévoir que les meubles, dont il autorisait la cession, ne resteraient son gage que dans les limites fixées par ce texte. Sans doute, en principe, du moment où les meubles continuent de garnir la maison, le locataire primitif ne peut les céder qu'avec la charge du privilège du bailleur dont ils sont grevés; mais, lorsque le bailleur a consenti éventuellement à la réduction de ce privilège, il a autorisé par là même que les meubles cédés fussent dégrevés dans la mesure où son privilège est réduit. Il s'opère une interversion de possession dans les meubles qui garnissent la maison, et, par l'effet de la cession autorisée qui en est faite, ces meubles ne sont plus ceux du locataire primitif, mais ceux du sous-locataire, obligé seulement dans la mesure de l'article 1753.

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306. Le privilège du bailleur n'appartient pas seulement au propriétaire ou à l'usufruitier de l'immeuble loué, il appartient aussi au preneur principal sur les meubles et les récoltes du sous-locataire ou du sous-fermier, ainsi que nous l'avons dit et que le prouve l'article 819 du Code de procédure.'

La Cour de Metz a fait une application exacte de ce principe, en décidant que le locataire principal a un privilège sur les matériaux provenant de constructions élevées par le sous-locataire sans le consentement du propriétaire et dont

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• Suprà, no 263, et les autorités qui y sont citées.

GUIL. Privilèges, 1.

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celui-ci exige la démolition. Nous pensons, en ce qui nous concerne, que les constructions élevées par un preneur ont toujours, par rapport à lui, un caractère mobilier, même pendant qu'elles adhèrent au sol;' mais en admettant, avec la jurisprudence, qu'elles soient immeubles pendant la durée du bail, les matériaux qui les composent reprennent le caractère mobilier lorsque le bailleur en a exigé la démolition, et le locataire principal exerce son privilège sur ces matériaux comme sur tous les autres meubles du souslocataire."

307. Dans le cas de sous-location, le privilège du bailleur est réduit sur les récoltes du sous-fermier dans la même mesure qu'il l'est sur les meubles de celui-ci; et, comme les meubles, les récoltes ne répondent des fermages dus au bailleur qu'à concurrence de ce que doit le sousfermier. C'est ce qui résulte du texte de l'article 819 du Code de procédure, qui place sur la même ligne les meubles et les récoltes: « Peuvent les effets des sous-fermiers et << sous-locataires... et les fruits des terres qu'ils sous-louent << être saisis-gagés, etc... »

307 I. Depuis la loi du 19 février 1889, le privilège du bailleur est transporté, au cas de sinistre, non-seulement sur l'indemnité d'assurance du recours locatif ou des risques de voisinage, mais encore, dans la théorie que nous avons adoptée, sur l'indemnité d'assurance due au preneur à raison du sinistre arrivé aux meubles garnissant les lieux loués.*

Nous avons donné à propos de cette loi, dans le Chapitre préliminaire de ce Traité, des explications sur lesquelles nous n'avons pas à revenir.

307 II.

Doit-on accorder au bailleur un droit de préférence sur l'indemnité donnée au preneur pour privation

1 Voir notre Traité du Louage, I, no 297-300.

2 Metz, 8 décembre 1869, Sirey, 70, II, 237, et Dalloz, 70, II, 139. Sic Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 95.

4 Suprà, n° 165-165 III.

de jouissance au cas d'expropriation pour cause d'utilité publique ?

Pour soutenir l'affirmative, on invoque le caractère de l'indemnité accordée au preneur, qui représente principalement la jouissance à laquelle il avait droit d'après son bail. On ajoute que le bailleur non payé a le droit de rentrer dans la jouissance du bien par lui loué; et ce droit est transporté, dit-on, sur l'indemnité d'expropriation par l'article 18 de la loi du 3 mai 1844, aux termes duquel toutes les actions réelles sont transportées du bien exproprié sur l'indemnité qui le représente.'

Nous croyons que l'opinion contraire doit être préférée, pour deux raisons. En premier lieu, l'article 18 de la loi du 3 mai 1841 prévoit, dans son texte, à propos de l'expropriation d'un immeuble, l'existence d'actions réelles sur l'immeuble et leur transformation en un droit sur l'indemnité ; et l'action du bailleur contre le preneur n'a pas ce caractère. Puis, et c'est l'argument décisif, au moment de l'expropriation, le bailleur n'avait aucun droit à la résolution du bail, et par conséquent n'avait pas d'action dont l'effet pût se reporter sur l'indemnité : son droit n'est né que plus tard, par le fait du non-paiement de ses loyers ou fermages, et à ce moment l'indemnité est entrée dans le patrimoine du preneur et elle doit y être l'objet d'une discussion entre tous ses créanciers, sans que le bailleur y ait aucune cause de préférence."

308. III. Pour quelles créances le privilège du bailleur est accordé. L'étendue du privilège du bailleur doit être examinée à deux époques, sous l'empire du Code civil, puis sous l'empire des modifications apportées au Code par les lois du 12 février 1872 en matière de faillite, et des 19 février 1889 et 18 juillet 1889, en matière de bail de fonds rural et de bail à colonage partiaire.

Mais, avant d'entrer dans cet examen, nous devons pré

Rouen, 12 juin 1863, Sirey, 63, II, 175.

Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 11, p. 140.

senter deux observations relatives, la première, à la situation du bailleur, lorsque le preneur n'a pas d'autres créanciers que lui, la seconde, à l'effet de la faillite ou de la déconfiture sur le bail.

308 I. Lorsque le bailleur n'a en face de lui que le preneur seul, et non d'autres créanciers de celui-ci, le privilège de l'article 2102, 1°, n'existe point à son profit: ce privilège, qui lui donne, comme nous allons le voir, le droit exceptionnel de se faire payer des loyers ou fermages non échus, alors que le bail est un contrat successif, dans lequel les loyers ne sont dus qu'au fur et à mesure de la jouissance du preneur, suppose, comme tout privilège, le concours de plusieurs créanciers: un privilège n'est que le droit pour un créancier de passer avant d'autres.

Si le bailleur n'est en présence que du preneur, il n'a que le droit de se faire payer des loyers échus, et, pour y arriver, de faire saisir et vendre les biens du preneur et notamment les meubles qui garnissent la maison louée ou la ferme ; et si, après cette vente, l'immeuble loué demeure suffisamment garni pour que le paiement des loyers soit assuré, le bailleur ne peut rien demander au preneur et il devra laisser continuer le bail de celui-ci.

Ce n'est donc qu'au cas de déconfiture ou de faillite, lorsque le bailleur sera en concours avec d'autres créanciers du preneur, qu'il pourra se prévaloir du privilège que la loi lui accorde.1

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309. Le seul fait de la faillite ou de la déconfiture ne donne même pas naissance au privilège du bailleur, il faut de plus que, par les résultats de la faillite ou de la déconfiture, le preneur soit mis dans l'impossibilité de remplir les obligations que le contrat de bail lui impose, par exemple, que le mobilier garnissant la maison louée ou la ferme ait été vendu.

Le rapport de M. Delsol à la Chambre des députés, lors 1 Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 6; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 394.

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