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de la loi du 12 février 1872 modifiant le privilège du bailleur au cas de faillite, le reconnaît formellement :

«Le fait seul de la faillite entraîne-t-il la résiliation de << plein droit? Non assurément, cette cause de résiliation << des baux n'est inscrite nulle part et rien n'autorise à la << suppléer dans les faillites, où les créanciers ont déjà tant « à souffrir par d'autres côtés... »

Et plus loin M. Delsol ajoute :

<< Nous avons dit que le fait seul de la faillite n'entraîne <<< pas la résiliation du bail. Si nous supposons en outre que << rien n'est dû sur les termes échus, et que le preneur a <<< satisfait à tous ses engagements, le bailleur n'a rien à << demander ni rien à dire... »1

A plus forte raison en est-il ainsi en matière de déconfiture, où, dans le système de notre législation, il n'y a pas d'état général de dessaisissement du débiteur, comme il en existe un dans la faillite tant que le preneur paie ses loyers et tient les lieux garnis, le bailleur n'a rien à lui demander, fût-il en faillite ou en déconfiture; et s'il ne paie pas, mais que, après des poursuites exercées contre lui, le bailleur ait obtenu son paiement et que les lieux loués soient encore suffisamment garnis, il ne peut plus rien lui demander.'

Le privilège du bailleur ne pourra donc être exercé par celui-ci que si, n'étant pas payé ou les lieux loués n'étant pas garnis, il se présente à la distribution de l'actif mobilier du débiteur en faillite ou en déconfiture, et qu'il s'y rencontre avec d'autres créanciers de celui-ci.

310. Sous l'empire du Code civil, un privilège est donné au bailleur pour les loyers ou fermages échus et à échoir, avec une distinction que nous indiquerons suivant que le bail a ou non date certaine, pour les réparations locatives et pour tout ce qui concerne l'exécution du bail.

1 Rapport à la Chambre des Députés, présenté le 31 juillet 1871, Dalloz, 72, IV, 35.

* Laurent, XXIX, no 391.

Déjà, en droit romain, le privilège s'étendait aux indemnités que pouvait devoir le preneur :

<< Pomponius scribit non solùm pro pensionibus, sed et si « deteriorem habitationem fecerit culpa sud inquilinus, quo << nomine ex locato cum eo erit actio, invecta et illata pignori «erunt obligata. »1

Dans notre ancien droit, on suivait le système de la loi romaine en ce qui concernait les différentes obligations du preneur autres que celle relative au paiement des loyers, et le privilège était donné pour la créance résultant de leur inexécution. Mais, quant à l'étendue du privilège pour la créance de loyers, il y avait entre les Coutumes de Paris et d'Orléans une divergence que Pothier signale: à Paris le privilège s'étendait à tous les loyers échus et à échoir, lorsque le bail était authentique, mais lorsqu'il était verbal, ou même seulement sous signature privée, le bailleur n'avait de préférence que pour trois termes échus et le terme courant. A Orléans, au contraire, cette distinction était repoussée, et le droit de préférence était donné au bailleur avec la même étendue, que le bail fût fait en la forme authentique ou par acte sous seing privé:

<< La raison peut en être, dit Pothier, que les baux que les << particuliers font à Orléans de leurs maisons sont tous pas<<sés sous signatures privées, et qu'on n'a pas cru nécessai<<re de prendre ici les mêmes précautions contre les fraudes << qu'à Paris, où elles sont beaucoup plus communes. »3

311. L'article 2102 du Code civil distingue, comme la Coutume de Paris, suivant la nature du titre du bailleur, mais, tandis que la Coutume de Paris basait cette distinction sur ce que le bail était ou non authentique, le Code la base sur ce qu'il a ou non date certaine, et en cela le système du Code est préférable.

1

L. 2, D., In quib. caus. pign. vel hyp. (XX, 2).

* Pothier, Introduct. au Tit. XIX de la Coutume d'Orléans, n° 33.

Du Contrat de Louage, no 253.

Voici en effet quelle a été la crainte de nos anciens jurisconsultes coutumiers et des rédacteurs du Code : le preneur, à la veille de la déconfiture ou de la faillite, va faire avec le bailleur un bail qu'il antidatera, et dont le prix va être majoré de manière à absorber la plus grande partie de son actif mobilier. Contre ce danger de l'antidate avec majoration du prix la date certaine est un remède aussi efficace que l'authenticité du bail: dans les deux cas on est assuré que le contrat a bien été fait à la date apparente qu'il porte.

Pour remédier d'une façon complète au danger que nous venons de signaler, il eût fallu refuser le privilège d'une manière complète au bailleur dont le titre n'aurait pas date certaine, mais les rédacteurs du Code se sont bornés à diminuer dans ce cas l'étendue du privilège, comme la jurisprudence du Châtelet l'avait fait lorsque le bail n'était pas authentique. La raison en est que le bail peut être et sera même souvent sincère, quoique n'ayant pas date certaine, et il serait excessif de refuser tout droit à un bailleur honnête. Il suffit, pour préserver les tiers contre l'éventualité d'une fraude, de limiter alors l'étendue du privilège.'

312. — Nous avons maintenant à préciser la portée du privilège du bailleur sous l'empire de l'article 2102. Le texte de cet article est ainsi conçu :

<< Les créances privilégiées sur certains meubles sont 1° les loyers et fermages des immeubles....., savoir, « pour tout ce qui est échu et pour tout ce qui est à échoir, <<< si les baux sont authentiques, ou si, étant sous signature << privée, ils ont une date certaine..... Et, à défaut de << baux authentiques, ou lorsqu'étant sous signature privée, <«< ils n'ont pas une date certaine, pour une année à partir « de l'expiration de l'année courante. »

Il semble que dans la première hypothèse, celle où le bail est authentique ou a date certaine, il n'y ait pas de difficulté, et que la loi, plaçant sur la même ligne ces deux

Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 63.

titres, donne au bailleur un privilège pour tous les loyers ou fermages échus dans le passé, et pour tous ceux à échoir dans l'avenir.

M. Pont distingue cependant, dans cette hypothèse, entre le bail authentique et le bail sous seing privé qui a acquis date certaine :

« Nous pensons, dit-il, contrairement à l'opinion de quel<«<ques auteurs, que le bailleur par acte sous seing privé << avec date certaine avant la faillite du locataire ou la sai<< sie de ses meubles n'a pas le même droit que le bailleur <«< par acte authentique. Il est bien vrai qu'au premier << aperçu on pourrait croire que les deux situations sont << placées sur la même ligne par notre article; mais en re<< gardant de près, on comprend qu'il y a entre les deux << une différence nécessaire par rapport aux loyers ou fer<<mages échus. N'oublions pas en effet que la théorie de la <«<loi a pour base les principes relatifs à la preuve des obli<«<gations à l'égard des tiers. Or, pour mettre la théorie << d'accord avec ces principes, il faudra exclure du privi« lège tous les fermages échus antérieurement au jour où «<le bail sous seing privé a acquis date certaine, puisque << c'est seulement du jour où les actes sous seing privé << prennent date certaine qu'ils peuvent être opposés aux << tiers, d'après les principes généraux. (Article 1328.) »1

Cette distinction doit, à notre avis, être repoussée par les raisons suivantes. Elle est d'abord en complète opposition avec le texte de l'article 2012, qui place sur la même ligne <<< les baux authentiques ou qui, étant sous signature privée, << ont une date certaine » ; et il est impossible d'introduire une différence aussi importante en dehors d'un texte précis. Voici d'ailleurs quelle a été la pensée du législateur, pensée contraire à la distinction que nous combattons : il a divisé les baux en deux catégories, ceux qui n'ont pas date certaine avant la déconfiture ou la faillite, qui lui paraissent

1 Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 126.

suspects, et dont il réduit les effets au point de vue du privilège; puis ceux dont la date est certaine, soit parce qu'ils sont authentiques, soit parce que leur date est devenue certaine par l'un des modes indiqués par l'article 1328. Ceux-là lui paraissent sincères, et il admet leurs effets quant au privilège dans toutes leurs parties, aussi bien pour les loyers échus que pour tous les loyers à échoir.1

Observons du reste que, quel que soit le système que l'on adopte sur la question que nous venons d'examiner, le bail à date certaine ou même authentique pourra toujours être annulé et le bailleur pourra perdre son privilège, s'il est établi que ce bail a été fait frauduleusement, en vue de la faillite ou de la déconfiture prochaine, et dans le but d'empêcher l'exercice du droit des autres créanciers. C'est là une application du principe général de l'article 1467.'

313. Si le bail n'a pas date certaine, le texte emploie une formule équivoque en disant que le privilège existe « pour une année à partir de l'expiration de l'année cou«rante », et quatre interprétations ont été proposées; nous allons examiner la valeur de chacune d'elles.

Dans un premier système, le privilège ne serait accordé que pour une année à partir de l'expiration de l'année courante, mais non pour l'année courante :

<< Le privilège est restreint, dit M. Grenier, à une année << à partir de l'expiration de l'année courante... Mais cette << restriction a-t-elle pour objet de priver le propriétaire du << privilège pour l'année courante ? La question n'est pas << sans difficulté. Quant à nous, nous voyons que la loi a <<< une disposition claire et précise; et nous pensons que << c'est s'y conformer que de décider que le privilège du propriétaire, dans ce cas, n'a lieu que pour une année à partir de l'expiration de l'année courante. »3 Cette opinion est restée isolée, et c'est à bon droit, selon

1 Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 62.

• Valette et Pont, Op. et Loc. citat.

* Des Hypothèques, II, n° 309.

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