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Nous n'approuvons pas cette exigence, et il suffirait, en législation, d'exiger que les droits du bailleur fussent garantis par le sous-locataire ou par les créanciers, mais la loi est faite ainsi, et sa solution précise doit être respectée.' 324. Si, par suite de l'insolvabilité du preneur, le bailleur n'a touché qu'une partie des loyers à échoir auxquels il a droit, deux ans sur quatre par exemple, les créanciers sont-ils obligés de payer les deux années encore dues, ou peuvent-ils, sans les payer, se borner à relouer pour les deux années pour lesquelles le bailleur a reçu ses loyers?

La question est discutée, et, d'après un certain nombre d'auteurs, les créanciers seraient forcés de faire cette avance. C'est, dit-on, la solution que commande le texte clair et précis de la loi, « à la charge de payer au propriétaire tout « ce qui lui serait encore dû »; c'est par là que les créanciers doivent commencer, avant de pouvoir relouer. Cette décision est équitable, ajoute-t-on : le bailleur a droit au respect de son contrat dans son intégralité, on ne peut en devancer le terme et lui dire qu'on l'exécutera pendant la moitié du temps qui reste à courir ; et si les créanciers veulent user du droit personnel que la loi leur accorde, le droit de relouer, il faut qu'ils prennent le bail comme il est et pour toute sa durée.2

A notre avis, les créanciers n'ont pas besoin de faire ce versement, et ils peuvent relouer les immeubles pour la durée

1 Paris, 4 mai 1857, Sirey, 57, II, 727; Paris, 7 décembre 1858, Dalloz, 59, I, 62; Cassation, 28 décembre 1858, Sirey, 59, I, 423, et Dalloz, 59, I, 63; Rouen, 29 juin 1859, Dalloz, 60, II, 21; Paris, 26 janvier 1860, Dalloz, 60, V, 298; Orléans, 22 août 1860, Dalloz, 62, II, 118; Cassation, 28 mars 1865, Sirey, 65, I, 201, et Dalloz, 65, I, 201; Orléans, 10 novembre 1865, Dalloz, 65, II, 227; Cassation, 15 juillet 1868, Sirey, 69, I, 13, et Dalloz, 72, I, 95 ; Cassation, 16 février 1870, Sirey, 70, I, 318, et Dalloz, 70, I, 261. Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 30, p. 145-146; Laurent, XXIX, n° 403; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 438.

• Duranton, XIX, n° 91; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, no 64; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 399.

pour laquelle le bailleur est payé. Le droit de relocation qui leur est accordé est la compensation au profit des créanciers du paiement par avance fait au bailleur, et un arrêt de la Cour de cassation, rendu au rapport de M. Laborie, donne une formule excellente de ce droit, en même temps qu'il fixe son étendue en précisant le sens de l'article 2102, 4o:

<< Attendu qu'en considération du préjudice causé aux «< créanciers du locataire par l'exercice d'un privilège qui << absorbe, à leur détriment et au préjudice du bailleur, << une partie plus ou moins importante de l'actif du débi<< teur commun, l'article 2102 permet de relouer à leur pro<< fit; que ce droit de relocation, introduit en leur faveur << par un motif de haute équité, en dehors des règles géné<<< rales du contrat de louage, est pour eux le seul moyen « de réaliser le droit de jouissance qui fait partie de l'ac«tif de leur débiteur; qu'il peut s'exercer dans sa pléni<<tude et pour tout le restant du bail, lorsque le prix des « effets affectés au privilège suffit au paiement intégral des «<loyers échus et à échoir;

<< Attendu que dans l'hypothèse contraire les obligations << et les droits des créanciers varient selon la nature et l'objet << de l'action du bailleur ; qu'ils peuvent, si celui-ci demande << la résolution, y mettre obstacle par l'offre de payer le com<< plément de la somme des loyers à échoir, et, sous cette << condition, relouer à leur profit pour le restant du bail; << mais, lorsque le bailleur se fait attribuer, par imputation << sur les loyers à échoir, le produit de la vente de tout ce << qui garnit les lieux loués, il aliène le droit de jouissance « dont il reçoit ainsi le prix, et qui rentre dès lors dans << l'actif du locataire pour tous les termes payés par antici<«<pation; que les créanciers puisent donc, dans le fait « même du bailleur privilégié, le droit corrélatif d'utiliser << cette portion de l'actif de leur débiteur, en relouant à leur profit, soit pour toute la durée du bail, à la charge de << payer le complément des loyers à échoir, soit pour le << temps correspondant à la somme des loyers dont le paie

<<ment anticipé a été réalisé par l'exercice du privilège s'ils << ne veulent ou ne peuvent faire l'avance du surplus. »'

Telle est, selon nous, la vérité juridique; en recevant le paiement des loyers par avance, le bailleur aliène pendant un temps correspondant à ce paiement le droit de jouissance, et l'article 2102 permet aux créanciers de l'utiliser, soit qu'ils veulent l'utiliser pour toute la durée du bail, ce qui est le cas prévu par le texte, à la charge de payer tous les loyers, soit qu'ils se contentent de l'utiliser pour la durée du temps pendant lequel le bailleur est payé, hypothèse qui n'est pas textuellement prévue, mais dont la solution résulte du principe posé dans l'article.'

325. Le droit de relouer l'immeuble appartient aux créanciers, avons-nous dit, lors même qu'une clause du bail l'interdirait au preneur. Ce n'est pas en effet dans le bail que les créanciers puisent ce droit, mais dans l'article 2102, 1o, qui le leur accorde dans tous les cas, que le bail le permette ou le défende. D'ailleurs la loi ne devait pas distinguer, car on n'est plus dans l'hypothèse prévue par le bail, qui n'exigeait pas le paiement des loyers par avance; et, comme nous l'avons dit au numéro précédent, le bailleur, en recevant ainsi ces loyers en dehors des conditions du bail, est réputé avoir aliéné le droit de jouissance pour une portion de temps correspondante à celle pour laquelle il est payé.'

1 Cassation, 4 janvier 1860, Sirey, 60, I, 17, et Dalloz, 60, 1, 35. * Persil, Régime hypothécaire, I, article 2102, § 1, no 18; Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, n° 96; Aubry et Rau, III, 261, texte et note 31, p. 146; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 129; Laurent, XXIX, n° 402; Thézard, Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothèques, no 339; BaudryLacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 439.

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* Cassation, 28 décembre 1858, Sirey, 59, I, 425, et Dalloz, 59, I, 63; Rouen, 29 juin 1859, Dalloz, 60, II, 21. Persil, Régime hypothécaire, I, article 2102, § 1, n° 20; Grenier, Des Hypothèques, II, no 309; Duranton, XIX, n° 90; Troplong, Des Privilèges

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326. Le droit de relocation donné aux créanciers n'étant que la conséquence du paiement par avance des loyers, si le bailleur, au lieu de demander une collocation pour les loyers à échoir, demande et obtient la résiliation du bail, les créanciers ne peuvent lui offrir les termes à échoir pour obtenir le droit de relocation.

Mais peuvent-ils intervenir sur la demande de résiliation et s'y opposer, en offrant le paiement des loyers à échoir ? Si le bail contient une clause interdisant la sous-location, on s'accorde à reconnaître que cette intervention est impossible, et que le bailleur a le droit de demander la résiliation pour éviter l'inconvénient de la sous-location qu'il a entendu interdire par son bail.

Si au contraire la sous-location n'est pas interdite, les opinions sont divisées, et, d'après certains auteurs, les créanciers peuvent contraindre le bailleur à recevoir les loyers à échoir, de manière qu'il leur soit permis de souslouer :

<< Les créanciers pourraient alors, dit M. Pont, en s'armant << de l'article 1166 du Code Napoléon, relouer la maison oula << ferme sans tenir aucun compte de l'offre que ferait le pro<< priétaire d'abandonner les loyers ou fermages à venir. »1 Nous ne le croyons pas. Le droit de relocation donné par l'article 2102 aux créanciers n'est pas une subrogation dans les droits du débiteur, mais un droit propre qui ne leur est donné que dans le cas où le bailleur a demandé et obtenu

et Hypothèques, I, n° 155; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, no 64; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 32, p. 146; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 128; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, 11, no 397; Laurent, XXIX, no 405; Thézard, Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothèques, n° 339; Thiry, IV, n° 372; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 440. Contrà, Paris, 24 février 1825, Sirey, C. N., VIII, II, 33.

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1 Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 128. Sic Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 64; Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, n° 94.

le paiement des loyers à échoir : ... « et, dans ces deux cas, <«<les autres créanciers ont le droit de relouer la maison << ou la ferme. » Cette solution est juridique en présence d'un preneur qui n'accomplit plus ses engagements, le bailleur a le droit de demander la résiliation du contrat ou le paiement des loyers à échoir, et ce n'est que dans cette seconde hypothèse que la loi devait donner aux créanciers une compensation, le droit de relocation.

Quant à l'article 1166, il est étranger à la question: il ne s'agit pas en effet pour les créanciers d'exercer le droit du preneur qui n'en a pas, puisqu'il n'accomplit point ses engagements, mais d'user d'un droit propre qui ne naît à leur profit que dans l'hypothèse où le bailleur a opté pour le paiement des loyers à échoir.1

3261. — Telle était, au point de vue de la créance de loyers ou de fermages, l'étendue du privilège du bailleur sous l'empire du Code civil. Cette législation s'appliquait aussi bien au cas de faillite qu'au cas de déconfiture, puisque les règles du Code civil sont applicables en matière commerciale, en tant que la loi commerciale n'y dégoge pas, et il n'y avait ni dans le Code de commerce de 1807, ni dans la loi du 28 mai 1838, aucune disposition spéciale au privilège du bailleur dans le cas de faillite.

Cette étendue des droits du bailleur présentait, au cas de faillite, les inconvénients les plus graves. On décidait en effet, par application des principes que nous venons de poser, que le droit de relocation ne pouvait être exercé par la masse des créanciers de la faillite, pas plus que par les créanciers d'un débiteur en déconfiture, qu'à la condition du paiement effectif de tous les loyers à échoir; et on déduisait logiquement de ce principe les conséquences suivantes :

1o Le bailleur pouvait demander le paiement préalable des loyers à échoir, même si les lieux loués restaient garnis

'Cassation, 30 janvier 1827, Dalloz, RÉPERT. ALPHAB., V° Privilèges et Hypothèques, no 276. - Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 33, p. 146-147; Laurent, XXIX, n° 400.

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