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bles, si cet enlèvement a eu lieu au vu et su de celui-ci et sans opposition de sa part. Ainsi encore on devra présumer le consentement du bailleur, s'il s'agit de la vente d'objets qui, par leur nature, sont destinés à être vendus, comme le grain provenant des récoltes du fermier, les fruits arrivés à maturité et qui sont d'ordinaire vendus par lui, le poisson des étangs, aux époques où le preneur a coutume de le vendre, etc..."

344. On doit encore, à notre avis, décider que le bailleur ne peut exercer de revendication sur les meubles déplacés, lorsqu'il en reste une quantité suffisante pour garnir les lieux loués.

Cette solution est combattue, et voici dans quels termes M. Pont soutient l'opinion contraire :

« On n'a pas pris garde, dit-il, qu'il n'y a pas une corré<<lation nécessaire entre l'obligation à laquelle est tenu le << locataire de garnir les lieux loués d'un mobilier suffisant, « et le droit qui résulte, en faveur du locateur, du privi<«<lège que la loi lui accorde. Le locataire doit un gage << suffisant; il ne doit pas autre chose au point de vue de la << garantie et son obligation à cet égard est remplie dès que <«<le locateur s'est contenté de ce que son locataire lui a << offert en gage: c'est bien évident. Mais cela fait-il que ce << qui entre en excédent dans la maison ou dans la ferme <«<louée ne soit pas grevé du privilège du locateur? Non as<< surèment, car la loi dit que le privilège porte sur tout ce << qui garnit la maison ou la ferme louée. Or, si le privilège

Persil, Régime hypothécaire, 1, article 2102, § I, n° 3; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 67; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 38, p. 148; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 131.

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* Persil, Régime hypothécaire, I, article 2102, § I, no 3; Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 163; Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 67; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 39, p. 148; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 131 ; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 434; Laurent, XXIX, n° 445 Compar. Lyon, 24 février 1836, Sirey, 36, II, 414.

<< porte sur tout, comment le locataire en pourrait-il reti<rer quelque chose sans l'aveu, sans le consentement ex<< près ou tacite du locateur? Nous ne le comprenons pas. << Et puis, d'ailleurs, sera-ce chose facile de dire, en cas de << déplacement d'une partie du mobilier, si la portion qui << reste est ou non suffisante pour garantir non seulement << le payement des loyers, mais encore l'exécution de toutes <«<les obligations pouvant résulter du bail? Il s'élève néces<< sairement sur ce point des difficultés dans lesquelles le << locateur et le locataire sont trop directement intéressés << pour n'être pas mauvais juges l'un aussi bien que l'autre. << Le plus sûr évidemment serait de voir dans la loi ce qui << s'y trouve réellement: elle dit que le privilège du loca<< teur porte sur tout ce qui garnit la maison ou la ferme << louée; elle dit donc par cela même que rien ne pourra << sortir de la maison ou de la ferme sans le consentement, << exprès ou tacite, du locateur. La jurisprudence s'était << d'abord prononcée en ce sens; nous doutons qu'en se << réformant, elle se soit améliorée. »>1

345. — C'est avec raison, selon nous, que cette opinion a été repoussée.

Elle a le tort grave en effet de méconnaître la corrélation qui existe entre les articles 1752 et 2102, 1°: le bailleur a un privilège sur les meubles du preneur parce que ces meubles forment sa garantie pour le paiement des loyers ou fermages, et, pour assurer cette garantie, la loi fait deux choses: elle oblige le preneur à apporter un mobilier suffisant, dans l'article 1752, et, dans l'article 2402, 4°, elle permet au bailleur de suivre ce mobilier et de le reprendre partout où il sera. Mais c'est toujours du même mobilier qu'il s'agit, des meubles « suffisants » pour répondre des loyers ou fermages.

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'Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 132. Sic Paris, 2 octobre 1806, Sirey, c. N., II, II, 172; Poitiers, 28 janvier 1819, Sirey, C. N., VI, II, 15. Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, n° 164.

La solution que nous combattons conduit à des résultats excessifs contre le preneur. Celui-ci subit des revers de fortune: il avait un mobilier somptueux, il veut le diminuer et le ramener au nécessaire, tout en laissant dans la maison plus qu'il ne faut pour assurer le paiement des loyers; dans la théorie que nous combattons, il ne le pourra pas, et le bailleur, qui n'aurait pas eu le droit de le contraindre à apporter une telle quantité de meubles, pourra le forcer à les laisser dans la maison. Ou bien encore le locataire marie un de ses enfants, et il ne pourra pas disposer du superflu de son mobilier pour le doter.

Mais, dit-on, il y aura des difficultés entre le bailleur et le preneur pour savoir si le mobilier qui reste est suffisant pour garantir la créance de celui-là. Peut-être, mais ces difficultés sont inhérentes à l'application de l'article 1752, qui n'exige et ne pouvait exiger qu'un mobilier «< suffisant ». Elles auraient pu naître au moment où le preneur s'est emménagé, elles naîtront au cours du bail, et les tribunaux les résoudront.'

Observons, en terminant, que cette solution doit d'autant plus être acceptée que c'était celle de notre ancien droit, auquel le Code a emprunté toute l'organisation du droit de revendication du bailleur.

<<< Il reste à observer, dit Pothier, que l'esprit de nos cou

1 Rouen, 30 juin 1846, Sirey, 47, II, 540; Besançon, 1er juillet 1886, Dalloz, Supplément, V° Privilèges et Hypothèques, n° 134; Lyon, 23 mai 1891, Dalloz, 93, II, 210, en note, et Pandectes françaises, 92, II, 119; Tribunal de la Seine, 7 octobre 1893, Dalloz, SUPPLÉMENT, V° Privilèges et Hypothèques, n° 134; Tribunal de Rennes, 9 décembre 1892, Dalloz, 95, II, 497, et Note de de Loynes. Persil, Régime hypothécaire, I, article 2102, § 1, no 4 ; Grenier, Des Hypothèques, II, no 311; Duvergier, Du Louage, II, n° 17; notre Traité du Louage, II, n° 465; Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 164; Valette, Des Hypothèques, n° 67; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 40, p. 149; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 436; Laurent, XXV, n° 247; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 451.

<< tumes en accordant le droit de suite au locateur n'est << pas d'ôter au locataire toute disposition des meubles qu'il «< a portés en la maison qu'il a louée, mais seulement au<< tant qu'elles donneraient atteinte à la sûreté du locateur << pour ses loyers et les autres obligations du bail.

« C'est pourquoi la coutume d'Orléans, art. 415, dit que << le seigneur d'hôtel peut poursuivre les biens enlevés de << son hôtel pour trois termes échus et deux à échoir; et «<l'art. 416 dit que le seigneur de métairie peut poursuivre « pour le paiement de trois années échues et garnissement « d'une année à échoir.

<< Le locataire peut donc librement disposer des effets <«< qu'il a dans l'hôtel ou métairie qu'il a pris à loyer, et le << locateur ne peut les suivre ni en demander le rétablisse<<ment, pourvu qu'il en reste suffisamment dans l'hôtel ou «< métairie, de quoi procurer au locateur la sûreté de ses <«<loyers ou fermes. »1

C'est dans cet esprit et avec cette restriction que doit être interprété le droit de revendication donné aujourd'hui au bailleur par l'article 2402.

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346. La revendication du bailleur peut, dans la limite que nous venons d'indiquer, porter aussi bien sur le mobilier appartenant à des tiers que sur celui appartenant au preneur lui-même. Nous avons vu en effet que le privilège du bailleur s'étend aux objets appartenant à des tiers, du moment où celui-ci n'en a pas connu la provenance avant leur introduction dans les lieux loués ; et le droit de revendication est le corollaire du privilège et a la même étendue.❜

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347. Le bailleur n'a pas de revendication à exercer, et il conserve son privilège malgré le déplacement des objets garnissant la maison louée ou la ferme, lorsque ce

1 Du Louage, no 268.

3 Suprà, n° 285.

3 Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 431; Laurent, XXIX, n° 442.

déplacement a été effectué non par le preneur, mais par le syndic de sa faillite, ses héritiers bénéficiaires, le curateur à sa succession vacante.

Ces diverses personnes ont reçu en effet de la loi la mission d'administrer le patrimoine du preneur non-seulement dans l'intérêt de celui-ci ou de sa succession, mais aussi dans l'intérêt de ses créanciers : ils sont donc les mandataires de ces derniers, et en particulier du bailleur, lorsqu'ils déplacent les meubles, par exemple pour les faire vendre, et le bailleur n'a pas à redouter les conséquences juridiques de ce déplacement.

La Cour de cassation a très bien caractérisé la situation juridique du bailleur dans cette hypothèse :

<< Attendu, dit-elle, que le bailleur ne peut être consi«déré comme ayant consenti à l'enlèvement des meubles << pour n'avoir pas protesté contre des actes qu'il ne dé<«< pendait pas de lui d'empêcher; qu'il suffit alors qu'il << fasse opposition sur le prix de la vente pour sauvegarder << ses droits. >>1

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348. D'après les termes de l'article 2102, le bailleur peut « saisir » les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés: il résulte de ces expressions, rapprochées de celles de l'article 819 du Code de procédure, que c'est par voie de « saisie », c'est-à-dire de saisie-gagerie, que doit en principe procéder le bailleur lorsqu'il veut exercer sa revendication.

Nous croyons toutefois que la procédure de la saisie n'est pas nécessaire, et que le bailleur pourrait agir directement en revendication, dans les délais que nous allons indiquer, sans recourir à la saisie-gagerie : l'article 2402 n'exige en effet qu'une chose, que le bailleur « ait fait la revendica<<tion » dans le délai qu'elle indique, et elle ne dit pas, à

⚫ Cassation, 9 juillet 1894, Dalloz, 95, 1,97.- Sic Poitiers, 4 mars 1863, Sirey, 64, II, 31, et Dalloz, 63, II, 218. Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 126; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 45, p. 150; Laurent, XXIX, no 437.

GUIL. Privilèges, 1.

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