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<< dinairement que les règlements les plus utiles ont leurs << difficultés dans leurs premiers établissements, et qu'il << s'en rencontre dans celui-ci qui ne peuvent être surmon<«<tées dans un temps où nous sommes obligés de donner << nos applications principales aux affaires de la guerre, << nous avons résolu de le révoquer. »1

Colbert, dans un passage souvent cité de son testament politique, rend le Parlement responsable de l'échec de l'Edit:

« Le Parlement, dit-il, n'eut garde de souffrir un si bel « établissement, qui eût coupé la tête à l'hydre des procès, << dont il tire toute sa subsistance. Il démontra que la for<< tune des plus grands de la Cour allait s'anéantir par là, << et qu'ayant, pour la plupart, plus de dettes que de biens, << ils ne trouveraient plus de resssources, dès que leurs af<< faires seraient découvertes. Ayant su, sous ce prétexte,

engager tant de gens très considérables dans leurs inté«rêts, ils cabalèrent si bien qu'il fut sursis à l'Edit qui en <<< avait été donné. »o

23. Un seul progrès fut réalisé par notre ancien droit, sinon pour donner aux hypothèques la publicité que réclame si impérieusement le crédit, au moins pour assurer aux tiers acquéreurs qu'ils ne seraient pas évincés par des créanciers hypothécaires dont ils n'auraient pas connu l'existence: ce moyen fut la procédure de décret volontaire, auquel on substitua, au XVIIIe siècle, les lettres de ratification.

« Décret d'adjudication, dit Ferrière, est le jugement qui <<< autorise la vente qui se fait en justice, au plus offrant et << dernier enchérisseur, d'un héritage saisi réellement. »*

L'effet du décret, dans cette procédure de vente sur saisie, était de purger l'immeuble des hypothèques et autres charges qui le grevaient :

<< Seront forclos, dit l'article 444 de la coutume de Poitou,

Jourdan, Decrusy et Isambert, Op. citat, XIX, p. 133.
Testament politique, Chap. XII.

* DICTIONNAIRE de droit et de pratique, V° Décret d'adjudication.

<<< tous ceux qui se diront avoir droit, rentes ou autres devoirs sur la chose adjugée, qui ne se seront opposés; et << en sera baillé possession audit acheteur, par autorité de << la Cour... »

Loisel exprime la même idée dans les termes suivants : << Un décret nettoie toutes hypothèques et droits, fors les << censuels et feudaux. »>1

Frappés des avantages de cette procédure pour donner à l'acquéreur toute sécurité, nos anciens jurisconsultes imaginèrent de feindre, dans les ventes volontaires, une procédure de saisie, à la suite de laquelle les hypothèques seront purgées, comme dans le cas d'une véritable vente sur expropriation.

Ferrière explique très bien le mécanisme du décret volontaire :

« Décret volontaire, dit-il, est celui qui se fait du consen<< tement des parties sur le vendeur, afin de purger les hy<< pothèques, et de mettre l'acquéreur en sûreté.

« Ainsi l'on convient souvent, dans les contrats de vente, << que le vendeur ne touchera le prix d'un héritage qu'après << le décret volontaire qui en sera fait, et qu'il aura été en « conséquence adjugé à l'acquéreur.

<< Pour cet effet, l'acquéreur, après avoir fait saisir réelle<< ment sur lui l'héritage qu'il a acheté, à la requête d'un de << ses créanciers, fait faire les criées et la même procé<< dure qui se font au cas du décret forcé jusqu'à l'adjudi<< cation.

<< Voici comment cela se pratique. L'acquéreur crée une << dette imaginaire au profit d'un ami qui en donne une << contre-lettre. En conséquence de cette obligation simulée << l'acquéreur de l'héritage se fait faire par son ami un com<< mandement pour payer; et sur le refus, cet ami saisit « réellement l'immeuble sur l'acquéreur: ensuite, à l'ex<< ception du bail judiciaire, on fait les criées et le reste de

1 Institutes coutumières, Liv. VI, Tit. V, sent. 15.

« la procédure, comme dans un décret forcé, jusqu'à l'ad<< judication. >>1

Ferrière ajoute que si le décret volontaire purge les hypothèques de ceux qui ne se sont point opposés, il ne purge point les droits du véritable propriétaire, « parce que le << décret ne fait qu'un même titre avec le contrat, et ne peut << pas donner plus de droits que le contrat. »><

24. Si la procédure de décret volontaire offrait aux acquéreurs un avantage réel, elle le leur faisait payer cher: les formalités de cette procédure étaient longues, embarrassantes, coûteuses, et le préambule de l'Edit de juin 1771, dont nous allons parler, a pu dire avec vérité que, sous le régime du décret volontaire, « une quantité de petits ob

jets et immeubles réels et fictifs ne peuvent être acquis << avec solidité, parce que les frais du plus simple décret << volontaire en absorberaient le prix et au delà, en sorte << que ces immeubles restent souvent abandonnés et sans <«< culture, par l'impuissance dans laquelle se trouvent les << propriétaires de les cultiver, et les obstacles que crai<< gnent ceux qui pourraient les acquérir. »

Pour essayer de remédier à ces frais excessifs et à ces lenteurs, l'Edit de juin 1774 substitua au décret volontaire les lettres de ratification, destinées, dit le préambule, « à ou<< vrir aux propriétaires une voie facile de disposer de leurs << biens, et d'en recevoir le prix pour l'employer aux besoins << de leurs affaires, et aux acquéreurs de rendre stable leur << propriété, et de pouvoir se libérer du prix de leur acqui<<sition. >>

L'institution des lettres de ratification ne réalisa pas toutes les espérances de ses auteurs.

Sans doute les formalités en étaient plus simples que celles du décret volontaire. Voici en quoi elles consistaient : l'acquéreur déposait son contrat au greffe du bailliage ou de la

1 DICTIONNAIRE de droit et dE PRATIQUE, V° Décret volontaire.

2

Jourdan, Decrusy et Isambert, Op. citat., XXII, p. 531.

sénéchaussée, où il était affiché pendant deux mois par extrait. Pendant ce délai, les créanciers hypothécaires pouvaient faire opposition, et leurs oppositions étaient enregistrées par les conservateurs des hypothèques créés par cet Edit, mais une fois le délai expiré, ils n'étaient plus recevables dans leur opposition : les registres des oppositious étaient publics. Il était ensuite délivré à l'acquéreur des lettres de ratification, soit purement et simplement, soit à la charge des oppositions, s'il en avait été fait.

Mais, si cette procédure était moins compliquée, elle n'en demeurait pas moins très coûteuse, et peu d'acquéreurs y avaient recours : « Les lettres de ratification, dit Merlin, ne « sont ni d'une nécessité absolue, ni même d'un usage gé«néral, puisqu'étant très coûteuses, les acquéreurs n'en << obtiennent qu'autant que les immeubles vendus sont de << quelque importance, ou qu'ils s'y voient en quelque sorte << forcés par la crainte d'une éviction ou de demandes en « déclaration d'hypothèque. »>>'

25. En même temps qu'il substituait les lettres de ratification à la procédure du décret volontaire, l'Edit de juin 1774, confirmé par une déclaration interprétative du 23 juin 1772, abrogeait l'usage du nantissement en matière hypothécaire, dans les coutumes où régnait cet usage. L'article 35 de l'Edit porte en effet ce qui suit:

<< Abrogeons l'usage des saisines et nantissement, pour << acquérir hypothèque et préférence, dérogeant à cet effet < à toutes coutumes et usages à ce contraires. »2

Nous ferons toutefois, avec Merlin,' deux remarques à propos de cette disposition de l'Edit.

En premier lieu, l'abrogation du nantissement n'était prononcée que par rapport aux hypothèques, et, quant aux aliénations, il continuait de produire effet dans les provinces où il était en usage:

RÉPERT., V Déclaration d'hypothèque, n° II.

* Jourdan, Decrusy et Isambert, Op. citat., XXII, p. 537 et 547. 3 RÉPERT, V° Nantissement, n' II.

« L'Edit de 4771, dit un commentateur de la coutume de << Boulonnais, n'a pas pour objet de procurer à un acqué<< reur la saisine que la coutume exige qu'il prenne des siè<<ges royaux ou des juges du seigneur, pour se rendre

propriétaire incommutable de l'immeuble qu'il a acquis, << et prévenir l'effet de toute autre aliénation au profit d'un << autre acquéreur ensaisiné ou nanti avant lui.

<< Ainsi le nouvel Edit ne change rien aux dispositions de <<< la coutume, relativement à un acquéreur qui ne peut pos«séder réellement et irrévocablement l'immeuble par lui << acquis, qu'il n'en ait été saisi par la voie de la saisine et << mise de fait.

<< Par cette raison, depuis l'Edit, tous les nouveaux ac<< quéreurs d'immeubles situés dans cette province n'obtien<<nent des lettres de ratification pour purger les droits, pri<< vilèges et hypothèques par eux acquis qu'après s'être fait <«<nantir et réaliser sur leurs acquisitions, conformément << aux dispositions de la coutume à ce sujet, que l'Edit a lais<<sées dans toute leur intégrité. »>1

En second lieu, l'Edit de 1771 et la déclaration de 1772 ne furent pas enregistrés au Parlement de Flandre, ni exécutés dans le ressort du conseil provincial d'Artois, de sorte que, dans ces deux provinces, l'usage du nantissement continua même en matière hypothécaire.

26. - A côté de l'hypothèque conventionnelle, générale ou spéciale, dont nous venons de parler, notre ancien droit admettait une autre cause d'hypothèque, celle qui résultait de la reconnaissance faite en jugement de l'obligation de payer une somme d'argent, et qui se rattache, dans une certaine mesure qu'il ne faut pas exagérer, au pignus judiciale dont nous avons parlé plus haut.'

L'ancienne coutume de Paris, rédigée en l'année 1540, s'exprime ainsi dans son article 78:

<< Une cedulle privée, qui porte promesse de payer, em

Le Camus d'Houlouve, cité par Merlin, Op. et Loc. citat. * Suprà, no 9.

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