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<< née » n'appartient qu'aux personnes qui ont travaillé directement à la récolte, soit parelles-mêmes, comme les ouvriers, soit en fournissant les chevaux ou les ustensiles aratoires ayant servi à la préparation des terres ou à la rentrée des récoltes.

Mais c'est à bon droit qu'un jugement' a refusé ce privilège à la personne qui avait fourni des aliments aux ouvriers travaillant à la récolte sans doute, ce créancier avait fait une dépense utile aux travaux de la récolte et avait indirectement concouru à cette récolte. Mais cette créance d'aliments ne peut rentrer parmi les « frais de récolte » que l'article 2102 déclare seuls privilégiés.

364. Le privilège pour semences ou pour frais de récolte doit-il être accordé non seulement dans le cas où la ferme est donnée à bail, mais aussi dans le cas où elle est exploitée par le propriétaire lui-même, et à l'encontre des autres créanciers de ce propriétaire ?

Oui, d'après une opinion. La créance du fournisseur de semences ou de l'ouvrier qui a travaillé à la récolte n'est pas moins favorable, que le débiteur soit le propriétaire du sol ou le fermier. Il est vrai que l'article 2102 s'en occupe spécialement à propos des récoltes faites par le fermier et du conflit qui va naître avec le bailleur, mais cela ne signifie pas qu'il entende restreindre le privilège à cette hypothèse."

Nous croyons au contraire que le privilège n'existe pas, lorsque la récolte a été préparée et faite par le propriétaire du sol. L'article 2102 crée un privilège « par préférence au << propriétaire », c'est-à-dire en cas de déconfiture du fermier, et on ne peut l'étendre à une autre hypothèse, la déconfiture du propriétaire cultivant lui-même sa terre.

Il est vrai que les raisons de décider sont les mêmes, mais nous l'avons déjà dit plusieurs fois, cette analogie ne suffit

Tribunal de Vitry-le-François, 31 juillet 1884, Dalloz, SUPPLÉMENT, V' Privilèges et Hypothèques, no 143 et 322.

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Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 134, Note 1.

GUIL. Privilèges, 1.

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pas en matière de privilèges, et, là encore, il n'y a d'autre remède qu'une réforme législative.'

Cette réforme a été opérée en Belgique : l'article 20 de la loi du 16 décembre 1854, consacré aux privilèges spéciaux et correspondant à notre article 2102, traite, dans le paragraphe 1er, du privilège du bailleur, et, dans le paragraphe 2, des trois privilèges des frais de semences, de récoltes, et des sommes dues pour ustensiles servant à l'exploitation. Avec cette rédaction, ces trois privilèges constituent des privilèges spéciaux existant dans toute déconfiture du débiteur, que ce débiteur soit le propriétaire ou le fermier.

Il en a été de même dans le Code civil du Japon, dont nous avons cité le texte plus haut,' et qui accorde le privilège à ceux qui ont fourni « au propriétaire, à l'usufruitier, << au fermier ou au possesseur les semences, etc... »

365. Une question plus difficile, à notre avis, mais que nous résoudrons encore par le rejet du privilège, s'est élevée à propos de la fourniture de barriques destinées à loger des vins de certaines espèces, qui ne peuvent être faits qu'en les mettant avant toute ébullition dans des barriques neuves. Cette fourniture donne-t-elle à celui qui l'a faite le privilège sur les vins pour « frais de récolte », ou seulement le privilège du vendeur restreint au prix à provenir de la vente des barriques?

La jurisprudence de la Cour de Bordeaux s'est prononcée dans le sens du privilège pour frais de récolte,' et le dernier arrêt, à notre connaissance du moins, rendu par elle sur la question, après avoir exposé avec une très grande clarté les procédés de fabrication des vins dont il s'agit, et la nécessité de les loger avant l'ébullition dans des barriques neuves pour y recevoir les soins nécessaires à une complète vinification, arrive à la conclusion de droit suivante :

1 Cassation, 11 décembre 1861, Sirey, 62, 1, 153, et Dalloz, 62, I, 119.

* Suprà, no 361.

Bordeaux, 2 août 1831, Sirey, 32, II, 158; Bordeaux, 1" janvier 1872, Dalloz, 73, II, 14.

« Qu'il faut donc reconnaître que l'emploi immédiat des << barriques est un élément essentiel, indispensable, de cette << récolte spéciale, élément sans lequel elle ne saurait rem<< plir sa destination, puisqu'il est admis par les viticulteurs << que tout autre mode de procéder aboutirait à une dimi<<nution de la qualité des vins et à une dépréciation notable << de leur valeur ; qu'il est juste, dès lors, de placer la cré<<ance résultant de cette fourniture dans la catégorie de << celles que l'article 2102 du Code civil, n° 3, et no 1, § 4, << assortit d'un privilège sur la récolte de l'année. »

Nous n'acceptons pas, en ce qui nous concerne, cette interprétation: elle nous paraît reposer, en fait, sur une confusion entre la récolte et la fabrication, et, en droit, sur une interprétation extensive, et par conséquent inexacte, de l'article 2402.

<< Récolte, dit M. Littré, action de couper, d'arracher les << produits du sol et de les transporter dans le lieu où ils << doivent être conservés jusqu'au moment de leur utili<< sation. >>1

On récolte des moissons, des fruits, des raisins, on fabrique du vin la récolte des raisins est terminée lorsqu'ils sont détachés de la vigne et placés dans les cuves ou récipients destinés à les recevoir, et alors commencent les opérations, souvent longues et complexes, de la fabrication du vin. Les divers travaux nécessaires pour cette dernière opération ne sont pas des travaux de récolte.

Lorsque l'article 2102 déclare privilégiés « les frais de la << récolte de l'année », il a pris les mots dont il se sert dans leur sens général et usuel, et non en vue de la méthode particulière à certains vignobles, où la récolte et la fabrication, tout en étant distinctes à notre avis, sont simultanées; et on ne peut, sans étendre le privilège dont nous nous occupons au delà des limites fixées par le texte de notre article, voir dans la fourniture des barriques des «< frais de récolte ».2

1 DICTIONN. De la langue française, V' Récolte. Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 48, p. 151.

Ce n'est donc, en principe, que le privilège du vendeur, et non le privilège sur le prix du vin renfermé dans les barriques qui devrait être accordé au vendeur de ces barriques.

Nous croyons toutefois qu'il pourra le plus souvent exercer sur le prix des vins renfermés dans les barriques un autre privilège, le privilège pour frais de conservation de la chose. Sans les fûts, en effet, le vin n'aurait pas pu être conservé jusqu'au moment de la vente, et l'article 2402, 3o, nous paraît directement applicable à cette hypothèse.'

366.- Le privilège des sommes dues pour les semences et pour les frais de la récolte n'est pas, comme le privilège du bailleur l'est par exception, muni d'un droit de suite. Il rentre sous l'application de la règle générale de l'article 2119, les meubles n'ont pas de suite par hypothèque, et il se perd lorsque la récolte est vendue et livrée à un tiers de bonne foi, qui ignore au moment où il traite que les frais d'ensemencement ou de récolte sont encore dus.'

Il en sera différemment si l'acquéreur des récoltes, par exemple le bailleur auquel le fermier aurait cédé ses récoltes en paiement lors de la résiliation du bail, n'ignore pas, au moment où il traite, l'existence de la créance pour fournitures de semences ou frais de récolte. Il n'est pas de bonne foi, il ne peut par suite invoquer l'article 2279, et il n'acquiert les récoltes qu'avec la charge qui les grevait dans le patrimoine du fermier."

367. Le privilège accordé aux sommes dues << pour << ustensiles » est donné pour les objets de toute nature qui peuvent servir à la préparation des terres, à la conservation ou à la récolte des fruits. C'est ce que disait la loi romaine, dans l'hypothèse du legs d'un fonds de terre cùm instrumento:

« In instrumentum fundi ea esse, quæ fructus quærendi, « cogendi, conservandi gratiâ parata sunt, Sabinus eviden«ter enumerat. »*

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'Cassation, 10 mai 1887, Sirey, 87, I, 200.

Bourges, 3 mars 1877, Sirey, 80, II, 104, et Dalloz, 78, II, 56. 5 Cassation, 11 juillet 1864, Sirey, 64, 1,311, et Dalloz, 64, 1, 488.

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L. 8, D., De instruct. vel instrum. legat. (XXXIII, 7).

Mais il n'est donné que pour les objets qui servent à l'exploitation du fonds, et non pour ceux qui servent au ménage du preneur. M. Troplong' en donne très bien la raison : les «< ustensiles » qui ont servi à préparer ou à faire la récolte ont été utiles au bailleur, dont ils ont préparé ou conservé le gage, tandis que les ustensiles de ménage ne servent, comme tous les objets mobiliers du preneur, qu'à garnir la maison ou la ferme. Les sommes dues à propos de ces objets doivent donc rentrer dans le droit commun, et donner lieu, suivant les cas, au privilège du vendeur ou à celui du conservateur.

368. M. Pont' étend le privilège des sommes dues pour ustensiles à ceux employés dans une exploitation autre que les exploitations rurales:

<< La raison de décider est la même en effet, dit-il, et, << sous ce rapport, nous regardons comme bien rendu un << arrêt de la Cour d'Amiens' suivant lequel le privilège du << charron, du maréchal et du bourrelier, s'exerce de pré«<férence à celui du locateur sur le prix des ustensiles << par eux fournis ou réparés, sans qu'il y ait à distinguer << si les ustensiles s'appliquent à une usine ou s'il s'agit << d'ustensiles aratoires. >>

Nous croyons que le privilège n'existe qu'au cas d'exploitation rurale. Le rapprochement de ce privilège avec celui accordé pour les semences et pour les frais de la récolte montre bien qu'il s'agit, dans tout ce paragraphe de l'article 2102, de la même idée, de la distribution du prix des récoltes et des ustensiles qui ont servi à ces récoltes, et de la préférence donnée aux créanciers qui ont contribué à leur production ou à leur conservation. D'ailleurs, s'il ne s'agit plus de la distribution du prix d'ustensiles agricoles, mais d'ustensiles industriels, de deux choses l'une: ou le créan

Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 166.

* Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 135.

20 novembre 1837, Dalloz, Répert. alphab., V° Privilèges et Hypothèques, no 298.

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