Page images
PDF
EPUB

cier sera le vendeur de ces objets, et le privilège de l'article 2102, 4o, lui suffit; ou il n'a fait que les améliorer ou les réparer, et celui qui a amélioré ou réparé les objets garnissant les lieux loués n'a point de privilège, dans le système de notre Code, sauf dans certains cas le privilège du conservateur; et on ne comprendrait pas que la loi lui en donnât un à propos de ces ustensiles.'

[ocr errors]

369. Des explications que nous venons de donner il résulte que, dans notre pensée, lorsqu'il s'agit d'ustensiles destinés à une exploitation agricole, le privilège sur le prix de ces ustensiles est accordé non seulement au vendeur, mais à l'ouvrier qui les a transformés, améliorés ou réparés.

M. Laurent, à propos de l'article 20 de la loi belge du 16 décembre 1851, qui emploie les mêmes expressions que l'article 2402,« sommes dues pour ustensiles », émet des doutes sur cette solution:

<<< Il est douteux, dit-il, que le privilège existe pour les réparations d'ustensiles : la loi dit, il est vrai, en termes « généraux, les sommes dues pour ustensiles, mais cela «s'entend des ustensiles fournis au fermier; et d'un autre <«< côté la loi ne privilégie point toutes les réparations, mais << seulement les frais de conservation. »*

Cette interprétation trop restrictive doit, à notre avis, être rejetée. Le texte ne la rend pas nécessaire, puisqu'il emploie des expressions générales, « sommes dues pour ustensiles », qui s'entendent aussi bien des sommes dues pour améliorations ou réparations que pour vente; et les raisons de décider sont absolument les mêmes, la créance de l'ouvrier qui a réparé ou transformé un ustensile destiné à la récolte n'étant pas moins favorable que celle du vendeur de ces objets.'

-

370. Le privilège accordé aux sommes dues pour ustensiles n'est donné que si la vente ou la réparation de

1 Compar. Laurent, XXIX, no 453 .

XXIX, n° 448.

3 Pont, Des Privilèges et Hypothèques, 1, n° 135.

ces objets a eu lieu au cours du bail. Si elle est antérieure, et que le bailleur n'ait pas su, au moment où les ustensiles ont été introduits dans sa ferme, que le vendeur ou les ouvriers qui les avaient réparés n'étaient pas payés, on appliquera les principes que nous avons exposés à propos des meubles appartenant à autrui et apportés sur la ferme pour la garnir ;' le bailleur, qui a la possession de bonne foi de ces objets, sera préféré au vendeur ou à l'ouvrier sur le prix à en provenir.'

§ III

Du privilège du créancier gagiste.

371. L'article 2102, 2o, déclare privilégiée « la créan<< ce sur le gage dont le créancier est saisi »><.

Si les rédacteurs du Code civil parlent ici du privilège du créancier gagiste, ce n'est que pour ordre, et dans le but de présenter, dans l'article 2102, le tableau complet des privilèges spéciaux sur les meubles. En effet, les formes de la constitution du gage et les droits qui résultent de ce contrat pour le créancier forment l'objet de tout un chapitre du titre XVII, et notamment le privilège du créancier gagiste est organisé dans les articles 2073 et 2078.

Nous avons présenté l'explication de ces textes dans notre Traité Du Nantissement,' et nous n'avons qu'à nous référer aux développements que nous y avons fournis.

1 Suprà, no 282.

* Duranton, XIX, n° 99; Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, n° 107; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, 1, n° 135.

3 N° 87 et suiv.

§ IV

Du privilège à raison des frais faits pour la conservation de la chose.

372. En donnant un privilège au créancier qui a «fait des frais pour la conservation de la chose », le législateur s'inspire du même motif qui, dans l'article 2101, 4o, l'a amené à attribuer un privilège à raison des frais de justice; comme le créancier pour frais de justice, celui qui a fait des dépenses pour la conservation de la chose a sauvé le gage commun: « Hujus enim pecunia salvam fecit totius « pignoris causam », dit avec raison la loi romaine.'

373. Le privilège du créancier qui a conservé la chose a son origine dans le droit romain, et nous le trouvons mentionné dans un texte d'Ulpien, avec le caractère de généralité qu'il a sur les meubles dans notre droit moderne, et, en outre, avec une extension sur les immeubles:

« Interdùm posterior potior est priori: ut puta, si in rem << istam conservandam impensum est, quod sequens credidit: « veluti si navis fuit obligata, et ad armandam eam (rem), « vel reficiendam ego credidero. »2

On a beaucoup discuté, parmi les commentateurs du droit romain, sur les effets de ce privilège; mais l'opinion la plus répandue, et qui paraît la plus exacte, ne lui attribue que les effets d'un privilège personnel, sauf dans deux cas: si le créancier a exigé expressément une hypothèque au moment où s'est formée sa créance, ou s'il a prêté de l'argent pour la reconstruction d'une maison, un sénatusconsulte de Marc-Aurèle donnant dans ce dernier cas une hypothèque tacite au prêteur de deniers.'

L. 6, D., Qui potior in pignor. (XX, 4).

L. 5, D., Qui potior. in pignor. (XX, 4).

3 Schilling, Droit de Gage et d'Hypothèque, Traduction Pellat. § 212, 3, et 218, 1. Compar. Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, 1, n° 174.

-

Il ne semble pas que notre ancien droit l'ait admis. Pothier parle bien des « frais de garde » d'objets mobiliers appartenant au débiteur,' mais c'est à propos des frais de justice et de la garde des objets mis sous main de justice par la saisie. Quant aux dépenses de conservation en général, ni Pothier ni nos anciens jurisconsultes n'en parlent.

Dans le projet de Code civil, ce privilège n'existait pas; il a été ajouté au texte primitif de l'article 2102, sur l'observation de la section de législation du Tribunat, que << le fon<< dement de ce privilège est incontestable, et qu'il est à pro«pos de l'insérer. »2

374. Ce privilège s'applique à toute espèce de meubles, corporels ou incorporels: telle est du moins l'opinion générale, et, à notre avis, celle qu'il convient d'adopter.

M. Laurent combat cette théorie, ou du moins indique que la solution opposée lui paraîtrait préférable:

« Il y a, dit-il, un motif de douter. Dans le langage du << droit, on entend par frais de conservation les impenses << dites nécessaires, par opposition aux impenses utiles et << voluptuaires. Cela implique des travaux manuels, donc << une chose corporelle sur laquelle ces travaux se font. On << dira qu'interpréter ainsi la loi, c'est en restreindre les ter«< mes généraux. L'objection est vraie pour le mot chose, << mais le mot conservation ne limite-t-il pas le sens de cette << dernière expression? Ce serait bien notre avis. Il en ré<< sultera, il est vrai, que l'interprétation restreindra le pri<< vilège, mais les privilèges ne doivent-ils pas être inter<< prétés restrictivement? »3

Ces objections ne nous paraissent pas convaincantes.

Sans doute l'interprétation, dans la matière des privilèges, doit être restrictive, en ce sens que l'on ne peut admettre de privilège à moins d'un texte formel, et qu'on ne doit pas en créer par voie d'analogie; mais l'interprète ne peut restreindre arbitrairement la loi qui les crée, et, si elle

2

Introduct. à la Cout. d'Orléans, Tit. XIX, n° 116,

• Locré, XVI, p. 314.

[blocks in formation]

accorde un privilège dans toutes les hypothèses, il est impossible de ne le donner que dans quelques-unes.

C'est pourtant ce que fait le système soutenu par M. Laurent. L'article 2102 donne un privilège pour « les frais faits << pour la conservation de la chose » : le mot chose comprend les meubles incorporels, comme les meubles corporels. M. Laurent le reconnaît pour le mot chose; mais les mots frais de conservation s'appliquent aussi bien aux frais faits pour sauver une créance que pour réparer un meuble corporel. On << conserve » une créance en renouvelant l'inscription hypothécaire, en interrompant une prescription, comme on << conserve » des animaux en fournissant la nourriture qui leur est nécessaire, et des meubles inanimés en les réparant.'

La jurisprudence a fait de nombreuses applications de la théorie que nous adoptons. Ainsi elle a, à bon droit, reconnu le privilège pour frais de conservation au profit du créancier qui a fourni des fonds pour racheter des bons de fournitures de communes;' du créancier qui a fait payer une somme due au débiteur;' du mandataire qui, dans l'exécution de son mandat, a fait des avances grâce auxquelles le patrimoine mobilier du mandant a été conservé;* du marchand qui a fait des fournitures au liquidateur d'une société, pour maintenir en activité une usine exploitée par cette société ; du principal clerc d'une étude qui en a assuré le fonctionnement."

Troplong, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 175; Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 51, p. 151; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 139; Martou, Des Privilèges et Hypothèques, II, no 457.

Cassation, 13 mai 1835, Sirey, 35, I, 707.

Bourges, 9 juin 1846, Dalloz, 46, IV, 423.

• Paris, 16 décembre 1841, Dalloz, RéperT. ALPHAB., V° Privilèges et Hypothèques, n° 309; Angers, 8 décembre 1848, Sirey, 49, II, 91, et Dalloz, 49, II, 17. Nec obstant Cassation, 8 janvier 1839, Sirey, 39, I, 487; et Paris, 16 mai 1879, Dalloz, 80, II, 143. 5 Dijon, 17 mars 1862, Sirey, 62, II, 329, et Dalloz, 62, II, 94. 6 Tribunal de Libourne, 29 juin 1888, Pandectes françaises, 88, II, 261.

« PreviousContinue »