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Le Code civil du Japon a, en cette matière, une disposition expresse pour les créances, disposition qui comprend à la fois les frais de justice et les frais extrajudiciaires de conservation des créances. L'article 155 du livre De la garantie des créances est en effet ainsi conçu:

<< Celui qui est créancier pour frais de réparation ou de « conservation d'un objet mobilier a privilège sur l'objet <«< ainsi réparé ou conservé, lors même qu'il n'exerce pas << le droit de rétention qui lui appartient d'après l'article 92.

<< Le même privilège s'applique aux frais d'actes judi«< ciaires ou extrajudiciaires ayant fait reconnaître, con<< server ou réaliser au profit du débiteur des droits réels << ou personnels, des sommes d'argent, valeurs, ou autres << objets mobiliers quelconques. »

374 I. Le créancier à raison d'avances faites pour conserver l'ensemble de l'actif mobilier du débiteur, par exemple pour faire marcher l'usine qu'il dirige, aura-t-il un privilège pour « frais faits pour la conservation de la chose »?

Non, d'après une opinion admise par la Cour de Lyon,' et très bien défendue devant cette Cour par M. l'avocat général Beaudouin :

«< ... Comment comprendre, dit-il, dans l'expression la « chose conservée cette réunion si complexe, cette généra<<lité de choses variées qui s'appellent l'actif d'un débiteur << commerçant et qui comprennent les marchandises, la << clientèle, le matériel, les créances?

« Les embarras et les incertitudes auxquels conduirait << un tel système témoignent hautement en faveur de notre << opinion. Que de difficultés, de procès pour déterminer si << les frais ont été faits pour conserver la chose, et s'ils ont « en réalité atteint ce but? Que d'expertises nécessaires << pour établir la consistance de la chose au moment où les << frais ont été faits, sa consistance après les avances; et, << pour peu que la situation se prolonge, combien la difficulté

11" avril 1881, Sirey, 82, II, 165, et Dalloz, 82, II, 44.

<< ne va-t-elle pas s'aggraver? Il n'est pas admissible que «<le législateur ait voulu tolérer cette situation, lui qui a re<< fusé toute allocation de privilège aux frais faits pour << l'amélioration d'un meuble, à raison même des compli<<cations, des contestations, des procès auxquels peut don<<ner lieu son estimation ou la constatation de son exis<< tence. »>1

A notre avis au contraire le privilège doit être accordé. Que la chose mobilière pour laquelle on le réclame soit corporelle ou incorporelle, qu'elle consiste dans un objet particulier ou dans un ensemble, une entreprise commerciale, par exemple, c'est une chose, et l'article 2102, 3o, est applicable dans son texte. Il est aussi dans son esprit : du moment où le gage mobilier des créanciers a été conservé, il est équitable que les frais faits par le créancier et sans lesquels la chose aurait péri ou se serait détériorée soient pris en privilège; qu'importe, à ce point de vue d'équité, qu'il s'agisse d'un meuble particulier ou d'un ensemble?

On objecte la difficulté d'établir le service rendu et d'en mesurer la portée mais on oublie que c'est au créancier à faire sa preuve, à la faire complète et décisive, et, s'il y a un doute sur l'existence ou sur l'étendue du service rendu, c'est contre lui qu'il s'interprétera. D'ailleurs il y aura des hypothèses où le service sera aussi facile à apprécier que pour un meuble particulier : voici une usine en pleine prospérité, elle fait chaque jour des bénéfices, mais l'industriel n'a plus d'argent pour renouveler ses approvisionnements, et il va être forcé d'arrêter la marche de son usine; le créancier avec les fonds duquel l'usine a continué à marcher et à prospérer pendant un mois ou deux, pour être ensuite vendue dans de bonnes conditions, n'a-t-il pas vraiment fait, pour la «< conservation de la chose », des dépenses dont l'utilité est facile à préciser ?

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1 Sirey, 82, II, 166. Sic Paris, 21 août 1837, sous Cassation, 8 janvier 1839, Sirey, 39, I, 487. Laurent, XXIX, n° 465; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 475.

375.

L'assureur a-t-il un privilège pour le paiement de la prime à lui due, dans la distribution du prix du mobilier par lui assuré ?

Avant la loi du 19 février 1889, on s'accordait à reconnaître qu'il n'avait pas de privilège :

<< Attendu que vainement, dit un jugement du tribunal << de commerce de Paris, la Compagnie invoque les dispo<<sitions de l'article 2102 C. civ., relatif aux frais faits pour << la conservation de la chose; qu'elles ne sont pas appli<< cables à l'espèce; qu'en effet la Compagnie ne justifie « d'aucuns dépens ayant ce caractère;

<< Attendu qu'il est constant que le contrat aléatoire in<<tervenu entre les parties n'a pas pour objet la conserva<<<tion de la chose, mais seulement le règlement éventuel << d'une indemnité contre paiement d'une prime stipulée, et << pour le recouvrement de laquelle la Compagnie, comme << tout créancier ordinaire, demeure sous l'empire du droit «< commun. »1

Depuis la loi du 19 février 1889, qui décide, comme nous l'avons vu, que les indemnités d'assurances sont attribuées de plein droit aux créanciers privilégiés ou hypothécaires, suivant leur rang, cette solution doit-elle être modifiée ?

Si le risque assuré s'est réalisé, et que la distribution porte sur l'indemnité payée par l'assureur, il est certain que celui-ci aura le privilège pour frais de conservation de la chose, en d'autres termes, qu'il sera autorisé à déduire de l'indemnité le montant des primes qui seraient dues. La chose mise en distribution est l'indemnité d'assurance, et cette chose n'a pu être acquise que par le paiement des primes.

Mais, s'il n'y a pas eu de sinistre, et que la somme mise

14 juillet 1871, Dalloz, 71, III, 100. Sic Paris, 8 avril 1834, Sirey, 31, II, 307; Tribunal de commerce de la Seine, 26 juillet 1877, Dalloz, Supplément, V' Privilèges et Hypothèques, no 147 ; Tribunal de Cambrai, 30 mai 1884, Sirey, 87, II, 21. Lalande et Couturier, Du Contrat d'assurance contre l'incendie, no 364.

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en distribution soit le prix de vente de la chose assurée, nous croyons que la solution anciennement acceptée doit être maintenue. La prime avait pour but la conservation non pas de la chose, mais de l'indemnité destinée éventuellement à la représenter, et dès lors l'assureur ne peut invoquer les dispositions de l'article 2102, 3°.1

Nous regrettons cette solution, et nous croyons que les rédacteurs de la loi du 19 février 1889, en même temps qu'ils créaient un privilège éventuel pour les créanciers sur l'indemnité, auraient dû étendre le privilège de l'article 2402, 3o, pour assurer le paiement de la prime; mais ils ne l'ont pas fait, et nous croyons que l'interprète ne peut pas le faire.* Le Code civil portugais a sur ce point une disposition formelle assurant un privilège pour le paiement de la prime. L'article 883 porte en effet que les créances pour primes d'assurances pour la dernière année et l'année courante sont privilégiées sur la valeur des produits assurés.

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La loi belge sur les assurances du 41 juin 1874, article 24, contient une règle analogue à celle du Code civil portugais. 376. On doit entendre par ces mots, «< frais faits << pour la conservation de la chose, » tous ceux sans lesquels la chose eût péri ou se fût détériorée, ou fût devenue impropre à sa destination.

C'est ainsi que, s'il s'agit de choses animées, on accordera le privilège non seulement à celui qui a fourni la nourriture nécessaire aux animaux, mais au vétérinaire qui les a soignés, au maréchal-ferrant pour le ferrage des chevaux.*

La Cour d'Amiens a jugé le contraire, en ce qui concerne le ferrage des chevaux, par le motif « que l'application de << fers à cheval ne peut être considérée comme une opération

Rouen, 6 mars 1890, Sirey, 90, II, 173.

• Contrà, Dalloz, SUPPLÉMENT, V° Privilèges et Hypothèques, n° 156.

Poitiers, 8 février 1892, Sirey, 92, II, 88, et Dalloz, 92, II, 119, et Pandectes françaises, 93, II, 144.

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Caen, 10 juin 1873, Recueil des Arrêts de Caen, 73, 250.

<conservatrice des chevaux, ni additionnelle à leur valeur. >>1 Cette théorie doit, à notre avis, être écartée, car l'application de fers à un cheval qui a été ferré ou qui est destiné à l'être, en protégeant le sabot sur lequel repose le poids du corps de l'animal, a évidemment pour but et pour résultat de le conserver, et peut-être même, s'il s'agit d'un cheval ayant déjà été ferré, de l'empêcher de devenir boiteux. 377. Le privilège n'est donné que pour les frais de conservation, et non pour les dépenses d'amélioration : le texte de l'article 2102, 3°, est formel.

L'opinion contraire a été défendue. En effet, a-t-on dit, les dépenses d'amélioration, limitées à la plus-value qu'elles ont procurée aux meubles du débiteur, ont augmenté le patrimoine de celui-ci, et il est équitable que le créancier qui les a faites soit privilégié. C'est cette raison qui fait donner un privilège au vendeur d'un objet mobilier, au bailleur d'un bien rural sur les récoltes de ce bien. D'un autre côté, en matière immobilière, l'article 2103 ne distingue pas entre les améliorations et les réparations, et donne dans tous les cas un privilège aux ouvriers. On doit donc, par analogie, déclarer privilégiée à concurrence de la plus-value la créance pour amélioration aux meubles du débiteur."

Cette opinion n'a pas réussi et ne devait pas réussir.

En législation, les raisons données pour la défendre devraient être examinées, et encore croyons-nous qu'elles ne sont pas de nature à prévaloir. Il n'y a aucune analogie à tirer du privilège donné en matière immobilière : les conditions rigoureuses auxquelles il est soumis, d'un côté, et de l'autre l'importance beaucoup plus grande et de la créance et du gage ne permettent pas d'invoquer l'analogie. De plus, lorsqu'il s'agit d'une créance qui ne peut être privilégiée

1 Amiens, 20 novembre 1837, Dalloz, Répert. ALPHAB., V° Privilèges et Hypothèques, n° 299.

* Colmar, 7 mars 1812, Sirey, c. N., IV, II, 55; Rouen, 18 juin 1825, Sirey, c. N, VIII, II, 96. Grenier, Des Hypothèques, II,

n° 314.

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