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jusqu'où vont certains arrêts et quelques auteurs, et qu'il est impossible d'accorder un privilège au vendeur primitif sur le prix des reventes successives consenties par les sousacquéreurs.

Pour soutenir cette opinion, on dit que c'est la première revente qui dépossède le débiteur, et que, du moment où l'on reconnaît que le droit de préférence existe malgré cette revente, on ne peut attacher aucune déchéance aux reventes ultérieures. On ajoute que le prix de la chose vendue, par quelque personne qu'il soit dû, représente cette chose, et doit être grevé du privilège de celui qui l'a aliénée. Enfin on fait remarquer que le sentiment d'équité qui a fait accorder le privilège du vendeur milite au profit du vendeur primitif, aussi bien dans le cas de reventes ultérieures que dans le cas d'une première revente : c'est toujours le prix de sa chose qui va être en distribution, et il serait injuste. que ce prix profitât à d'autres qu'à lui, tant qu'il n'est pas payé.1

Ce système a été repoussé par la jurisprudence, et à bon droit, selon nous, car il est en opposition manifeste avec le texte de l'article 2102, qui subordonne le privilège du vendeur à la condition que les choses vendues soient encore en la possession du débiteur. On peut aller jusqu'à dire, et nous avons pensé qu'il fallait aller jusque là, que le débiteur doit être considéré comme étant encore en possession de sa chose lorsque le prix lui est dû par son acheteur direct: cette créance du prix, qu'il a créée, représente la

ques, no 358; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, 1, no 497. Adde les arrêts cités au numéro 393 infrà. Compar. Cassation, 19 février 1894, Dalloz, 94, I, 413, et Pandectes françaises, 94, 1, 448.

1 Paris, 23 mai 1838, Sirey, 38, II, 264; Caen, 24 juin 1839, Dalloz, RÉPERT., V' Privilèges et Hypothèques, no 346; Tribunal de Cosne, 27 avril 1847, Sirey, 48, II, 74. Valette, Des Privilèges et Hypothèques, n° 116; Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, no 121; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 150.

chose dans son patrimoine. Mais lorsque la chose est revendue ensuite à des acquéreurs successifs, le vendeur originaire n'a plus sur ces créances de droit direct, et il ne peut les atteindre qu'en exerçant les droits de son débiteur : il est donc impossible de dire, à quelque point de vue qu'on se place, qu'il a encore la chose « en sa possession », et cela suffit pour faire écarter tout privilège.1

393. — Les principes que nous venons d'exposer ont reçu de fréquentes applications en matière de cession d'offices ministériels: ces offices sont en effet, avec les fonds de commerce, les meubles les plus importants, et il est naturel que des difficultés se soient surtout élevées à leur occasion. Ainsi l'on a décidé d'abord, conformément à l'opinion que nous avons émise,' que le cédant primitif de l'office peut faire valoir son privilège sur le prix de la seconde cession."

C'est aussi en matière de cession d'office qu'ont été rendus les arrêts que nous venons de citer, et qui jugent que le privilège n'existe pas sur le prix des reventes ultérieures.

394. -- La jurisprudence décide avec raison, en matière de cession d'office, que le privilège qu'elle reconnaît au vendeur primitif sur le prix de la rétrocession faite par le cessionnaire à un nouveau titulaire cesse d'exister, si ce prix est payé aux mains du cessionnaire, ou transporté par lui à un tiers de bonne foi, avant que le cédant primitif ait

'Orléans, 3 juillet 1847, Sirey, 48, II, 74, et Dalloz, 47, II, 81 ; Paris, 28 janvier 1854, Sirey, 54, II, 305, et Dalloz, 54, II, 148; Paris, 24 mai 1854, Sirey, 54, II, 305; Caen, 8 juillet 1857, Sirey, 58, II, 1; Cassation, 8 août 1860, Sirey, 60, I, 845, et Dalloz, 60, I, 377. Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 68, p. 156-157; Brésillion, Note, Dalloz, 1860, I, 377; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 498.

* Suprà, no 391.

3 Cassation, 16 février 1831, Sirey, 31, I, 74; Paris, 1o décembre 1840, Sirey, 45, II, 560; Amiens, 27 août 1844, Sirey, 45, II, 561; Paris, 26 avril 1850, Sirey, 50, II, 388; Cassation, 13 juin 1853, Sirey, 53, I, 497, et Dalloz, 53, I, 183.

4 Suprà, no 392.

pratiqué aucune opposition ou saisie-arrêt sur ce prix. Le motif en est que du moment où le prix n'est plus dû au cessionnaire primitif, il est impossible de déclarer qu'il est << en possession » de l'office à lui vendu; il ne possède plus l'office lui-même, le prix ne lui est plus dû, sur quoi pourrait s'exercer le privilège?'

Il importe peu d'ailleurs que le transport qu'aurait fait le cessionnaire soit antérieur ou postérieur à la prestation de serment du nouveau titulaire de l'office ministériel. Ainsi que nous l'avons établi dans notre Traité de la Vente, tout droit conditionnel est cessible, et le droit au prix de l'office est, avant la prestation de serment du nouveau titulaire, un droit conditionnel comme un autre, subordonné au décret de nomination de ce titulaire.'

Il importe peu aussi que le cédant ait été ou non de bonne foi en matière d'actes à titre onéreux, c'est la bonne foi de l'acquéreur seul qu'il faut considérer, et elle suffit pour rendre inattaquable l'acte qui l'approprie."

395. — Le privilège du vendeur d'effets mobiliers existe, disons-nous, dans le cas de revente de l'objet grevé du privilège, et l'on doit appliquer cette règle à la cession d'office ministériel, qui produit la plupart des effets de la vente: mais, si le cessionnaire de l'office est destitué, on s'accorde

'Cassation, 8 novembre 1842, Sirey, 42, I, 929; Cassation, 15 janvier 1845, Sirey, 45, I, 84, et Dalloz, 45, I, 93; Cassation, 16 janvier 1849, Sirey, 49, I, 282, et Dalloz, 49, I, 35; Toulouse, 12 juillet 1851, Sirey, 51, II, 559, et Dalloz, 52, II, 33; Cassation, 11 décembre 1855, Sirey, 56, I, 112, et Dalloz, 55, 1, 464; Lyon, 11 juillet 1857, Sirey, 58, II, 6, et Dalloz, 59, I, 122; Cassation, 20 juin 1860, Sirey, 60, 1, 597, et Dalloz, 60, 1, 262; Cassation, 21 juin 1864, Sirey, 64, 1, 347, et Dalloz, 64, I, 385; Toulouse, 4 mai 1887, Pandectes françaises, 87, II, 224; Bourges, 18 novembre 1890, Dalloz, 92, II, 21.

II, no 743.

* Voir les arrêts indiqués dans notre Traité de la Vente, Loc. citat. Adde Lyon, 7 décembre 1890, Pandectes françaises, 91, II, 146; et Bourges, 18 novembre 1890, Dalloz, 92, II, 21.

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• Cassation, Arrêt précité du 20 juin 1860.

GUIL. Privilèges, 1.

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aujourd'hui à reconnaître, au moins en jurisprudence, que le privilège ne frappe pas l'indemnité fixée par le Gouvernement et mise à la charge du nouveau titulaire.

L'opinion contraire, admise par un certain nombre d'anciens arrêts, a été très bien défendue par M. Thézard:

« L'indemnité qui est alors payée, dit-il, n'est point une << pure libéralité de l'Etat; ce serait d'ailleurs une libéralité << faite à bon marché, puisqu'elle est payée, non sur les << fonds publics, mais sur les deniers du successeur nommé. << Cette indemnité ne peut être autre chose que la valeur <«< même, arbitrée par le Gouvernement, de la valeur pécu<<niaire, de la finance de l'office, laquelle était la propriété <«< du titulaire, et qui a subi cette expropriation particulière << que produit la destitution. Elle n'est point due, comme la << somme payée par l'assureur, en vertu d'un contrat dis<«<tinct dont elle forme la contre-prestation; sa seule raison << d'être est dans le dépouillement de la propriété sui gene<<ris qui appartenait à l'officier public. Si, parce que l'office <<< est à la disposition du Gouvernement, il fallait refuser << de voir là le prix d'une vente, il faudrait aussi décider de << même dans le cas de présentation par suite de démis<<sion; la seule différence est que, dans un cas, la trans<<mission est forcée, et que dans l'autre elle est volontaire. << Enfin, au point de vue de l'équité, il est très dur de pri<< ver le vendeur d'un office de son droit de préférence sur << la valeur que son successeur destitué doit retirer de cet «office, sous forme d'indemnité, sans qu'il y ait aucune << faute de ce vendeur, et alors que ce droit de préférence <«<lui serait presque toujours le plus nécessaire, à cause de << l'insolvabilité du débiteur, et cela au profit des autres «< créanciers, qui n'ont jamais dû compter, pour l'augmen<<tation de leur gage, sur la destitution de leur débiteur: << il y a là, dans le règlement des droits des créanciers, un «<alea inique et dangereux. »>'

Du Nantissement, Des Privilèges et Hypothèques, n° 359.Sic Paris, 11 décembre 1831, Sirey, 35, II, 112; Bordeaux, 2 dẻ

396. Quel que soit le caractère d'équité du système qui vient d'être exposé, il doit, à notre avis, être repoussé, au point de vue du droit et dans l'état de notre législation sur le droit de présentation en matière d'offices ministériels.

Dans cette cession, l'objet transmis par le cédant au cessionnaire n'est en réalité que le droit de présentation; or, lorsque le titulaire est destitué, le droit de présentation est anéanti, et la condition de l'article 2102, que l'objet soit << en la possession » du débiteur, n'est plus remplie.

En vain objecte-t-on que l'indemnité fixée par le Gouvernement et imposée au nouveau titulaire représente la valeur de l'office sans doute elle a pour cause l'investiture du titulaire dans l'office ministériel aliéné, mais elle représente si peu cet office et le droit de présentation dans lequel il s'analyse que le titulaire destitué n'y a aucun droit. L'indemnité est attribuée non pas à lui, mais à ses créanciers et ayants-cause: c'est une indemnité, ce n'est pas le prix d'un droit qui n'existe plus, qui a péri, et sur lequel ne peut dès lors reposer aucun privilège.

Cette solution, aujourd'hui affirmée par une jurisprudence unanime,' est, nous le reconnaissons, peu équitable; si réduit

cembre 1842, Sirey, 43, II, 146; Tribunal de la Seine, 21 mars 1843, Sirey, 43, II, 148; Tribunal de commerce de la Seine, 7 octobre 1844, Sirey, 45, II, 561, et Dalloz, 45, V, 371; Orléans, 31 janvier 1846, Sirey, 47, II, 470, et Dalloz, 47, II, 101; Paris, 9 janvier 1851, Sirey, 51, II, 7, et Dalloz, 51, II, 69. - Mourlon, Exam. crit. du Comment. de M. Troplong, I, n° 125.

1 Cassation, 7 juillet 1847, Sirey, 47, I, 496, et Dalloz, 47, I, 457; Rouen, 29 décembre 1847, Sirey, 48, II, 68, et Dalloz, 48, II, 1 ; Cassation, 13 février 1849, Sirey, 49, 1, 285, et Dalloz, 49, I, 40; Cassation, 26 mars 1849, Sirey, 49, I, 318, et Dalloz, 49, I, 103; Paris, 3 février 1852, Sirey, 52, II, 55, et Dalloz, 52, II, 203; Paris, 9 mars 1852, Sirey, 52, II, 132, et Dalloz, 52, 11, 203; Orléans, 2 juillet 1852, Sirey, 53, II, 159; Cassation, 23 mars 1853, Sirey, 53, I, 273, et Dalloz, 53, I, 61; Cassation, 10 août 1853, Sirey, 54, I, 110, et Dalioz, 53, 1, 325; Paris, 17 novembre 1855, Sirey, 56, 11, 154; Bordeaux, 27 février et 5 mars 1856, Sirey, 56, II, 241, et Dalloz, 56, V, 303; Orléans, 7 juillet 1876, Sirey, 76, II, 269, et

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