Page images
PDF
EPUB

que soit le prix, si transformé qu'en soit le caractère, il a toujours pour cause l'investiture d'un office dont le titulaire n'est pas payé, et il serait plus juste de décider, par une fiction légale, que cette indemnité est l'équivalent du prix et servira d'abord à désintéresser le cédant primitif; mais ce résultat ne peut être obtenu que par une modification législative, et nous croyons que cette réforme devrait trouver place dans la révision de nos lois hypothécaires. En 1888, M. Thézard, devenu sénateur, avait présenté un projet de loi pour apporter un remède immédiat à cette situation, mais ce projet, adopté par le Sénat en première délibération, a été rejeté dans la séance du 8 mars 1892.

397. Il en devrait être différemment, à notre avis, dans les diverses hypothèses où le droit de présentation n'est pas supprimé de droit, bien qu'en fait il n'y ait pas lieu à son exercice, ou que les conditions de cet exercice se trouvent modifiées.

Dans ces différents cas en effet, du moment où le droit de présentation n'est pas supprimé, l'indemnité ou le prix, quels qu'ils soient, attribués à l'ancien titulaire ou à ses représentants, constituent le prix en argent de ce droit, et le cédant qui l'a fait entrer dans le patrimoine de son débiteur doit être privilégié lorsqu'on le distribuera aux créanciers. Nous appliquerons ce principe dans trois hypothèses que nous allons indiquer au numéro suivant.

398.- En premier lieu, le privilège du cédant existera dans le cas où le Gouvernement, usant du droit que lui confère l'article 941 de la loi du 28 avril 1816, prononce spontanément la suppression d'une étude. Le droit de présenta

Dalloz, 77, II, 83; Cassation, 30 mai 1877, Sirey, 77, I, 421, et Dalloz, 79, I, 295; Tribunal civil de Lyon, 12 avril 1888, Pandectes françaises, 89, II, 3; Limoges, 6 août 1888, Dalloz, 89, II, 149.Aubry et Rau, III, § 261, texte et note 73, p. 159; Pont, Des Privilèges et Hypothèques, I, n° 148; notre Traité de la Vente, II, n° 744; Baudry-Lacantinerie et de Loynes, Des Privilèges et Hypothèques, I, no 516.

tion ne pourra pas être exercé, mais il n'est pas enlevé au titulaire, comme au cas de destitution, et l'indemnité fixée par le décret de suppression est le prix de ce droit de présentation rendu désormais inutile.1

Il en sera de même, en second lieu, dans le cas de cession de l'office à la corporation, bien qu'à la suite de la cession le Gouvernement ait prononcé la suppression de cet office au moment de la cession à la corporation, le droit de présentation existait, il a été utilisé par le débiteur, et le prix à payer par la corporation est réellement l'équivalent de ce droit."

La même solution doit être adoptée enfin dans le cas de démission, volontaire ou même forcée, du débiteur titulaire de l'office : la démission n'enlève pas le droit de présenter un successeur, ce qui a toujours été reconnu par la chancellerie, de sorte que les conditions nécessaires à l'exercice du privilège sont réunies.'

399. Pour faire valoir son privilège sur le prix de l'office cédé par son successeur, le cédant primitif aura seulement à faire une opposition aux mains du nouveau titulaire, avant que celui-ci ait payé ce prix.*

Si le prix dû au cédant primitif n'était dû qu'à terme, comme il arrive fréquemment, il n'en aura pas moins le

1 Rouen, 22 janvier 1858, Sirey, 58, II, 637, et Dalloz, sous Cassation, 24 janvier 1859, 59, I, 261; Bordeaux, 10 février 1891, Sirey, 92, II, 121, et Dalloz, 92, II, 17; Agen, 28 décembre 1892, Sirey, 93, II, 7.

• Rouen, 22 janvier 1858, Sirey, 58, II, 637, et Dalloz, 59, I, 282; Cassation, 24 janvier 1859, Sirey, 59, 1, 324, et Dalloz, 59, I, 261; Tribunal de Mâcon, 7 juillet 1858, sous Cassation, 20 juin 1860, Sirey, 60, 1, 597, et Dalloz, 60, I, 262; Rouen, 4 août 1862, Sirey, 63, II, 49; Cassation, 11 avril 1865, Sirey, 65, I, 219, et Dalloz, 65, I, 192; Bordeaux, 10 février 1891, Dalloz, 92, II, 295.

3 Nimes, 13 mars 1851, Sirey, 53, I, 606, et Dalloz, 53, I, 257; Besançon, 4 janvier 1853, Sirey, 53, II, 509; Bourges, 21 mars 1854, Sirey, 54, II, 347, et Dalloz, 54, I, 286; Rouen, 4 août 1862, Sirey, 63, II, 99; Orléans, 7 juillet 1876, Dalloz, 77, II, 83.

• Bordeaux, 2 décembre 1842, Sirey, 43, II, 146.

droit de former opposition. La revente de l'office ministériel met en danger le privilège du cédant, et comme le créancier à terme est d'ores et déjà créancier, qu'il peut en cette qualité prendre toutes les mesures conservatoires de son droit, le cédant pourra, à ce titre de créancier à terme, faire une opposition qui n'a d'autre but que d'empêcher la perte de son privilège.' Ajoutons que le privilège du vendeur frappant la totalité du prix de l'office, l'opposition portera également et sur la partie du prix que le nouveau titulaire ne doit qu'à terme, et sur celle qui est immédiatement exigible.'

400. Le droit de former opposition en cas de revente, même sur les sommes non encore exigibles, que nous reconnaissons au profit du cédant d'un office ministériel, doit être admis par les mêmes motifs au profit du vendeur à terme d'un fonds de commerce.

Cependant un arrêt de la Cour de Paris, dont la solution est approuvée par M. Martou, décide qu'en pareil cas le vendeur du fonds de commerce n'a aucun moyen de conserver son privilège :

D'après la maxime qui a terme ne doit rien, dit M. Mar<< tou, l'acheteur ne peut être l'objet d'aucune poursuite, << d'aucun acte d'exécution, avant l'échéance du terme. On << ne peut pas le considérer comme déchu du bénéfice du << terme sous prétexte qu'il a, par la revente, diminué les << sûretés du vendeur, car en revendant il n'a fait qu'user du << droit de propriété qu'il avait acquis dans toute sa pléni<<< tude. >>

Ces objections nous paraissent déplacer la question à ré

Paris, 1" décembre 1840, Sirey, 45, II, 560; Bourges, 1" mars 1844, Sirey, 47, II, 232, et Dalloz, 47, II, 180; Amiens, 27 août 1844, Sirey, 45, II, 500; Paris, 26 avril 1850, Sirey, 50, II, 388, et Dalloz, 50, II, 148; Caen, 8 août 1865, Sirey, 66, II, 224, et Dalloz, 66, II, 324.

* Poitiers, 4 avril 1881, Sirey, 82, II, 61, et Dalloz, 81, II, 156.

3 26 mai 1849, Sirey, 49, II, 408, et Dalloz, 49, II, 191.

4

• Des Privilèges et Hypothèques, II, no 477.

soudre il ne s'agit pas en effet de savoir si la revente d'un fonds de commerce rend exigible le prix stipulé payable à terme; nous croyons qu'il n'en est rien, cette vente ne diminuant pas les sûretés « données par le contrat », et c'est de celles-là que s'occupe l'article 1188. La question est celleci: en présence d'une revente qui va rendre illusoires les sûretés attachées par la loi au contrat de vente, le vendeur va-t-il pouvoir faire une opposition conservatoire qui sauvegarde ses intérêts? Nous répondrons affirmativement, parce que le vendeur à terme est créancier actuel, et qu'il a le droit de sauvegarder sa créance par l'emploi de mesures conservatoires, commandées par les circonstances, et ici l'opposition ou saisie-arrêt est une mesure conservatoire nécessaire, sans quoi le privilège du vendeur périra.

Aussi M. Demolombe, qui n'admet pas en général le droit pour le créancier à terme de faire des saisies-arrêts, l'admetil dans notre hypothèse.

« Le créancier à terme ne peut, dit-il, faire de saisie-arrêt, << à moins pourtant que la saisie-arrêt n'apparût exception<< nellement, en raison de la nature de la créance et des <<<< circonstances de fait, avec le caractère d'un acte conser«vatoire, indispensable pour la garantie du créancier. Car << alors il faudrait aussi, même dans le cas du terme de << droit, faire prévaloir son caractère d'acte conservatoire << sur son caractère d'acte d'exécution. >>1

C'est ce qui devra être autorisé dans le cas de revente d'un office ministériel ou d'un fonds de commerce, lorsque le privilège du vendeur est menacé par cette revente.

401. — Une application intéressante du principe que nous exposons, d'après lequel le prix des objets mobiliers encore dû au débiteur est grevé du privilège du vendeur, a été faite par la Cour de Paris. La vente portait sur un fonds de commerce et un droit au bail, et l'immeuble où s'exergait ce commerce ayant été exproprié, une indemnité fut

Cours de Code civil, XXV, no 610.

allouée à l'acquéreur exproprié pour la dépréciation du fonds et la perte du droit au bail. La Cour a colloqué à bon droit le vendeur par privilège sur le montant de cette indemnité, par les motifs suivants :

<< Que le montant estimatif de la dépréciation encourue << sur le fonds et la valeur du droit au bail cédé sont aujour<< d'hui transportés sur l'indemnité en distribution, confor<< mément à la règle générale en matière d'expropriation, <«<et par application, par voie d'analogie, du principe de << l'article 18 de la loi du 3 mai 1841;

<< Qu'il s'agit, dans la cause, d'une partie de la chose ven<< due, non payée et encore en la possession du débiteur << au moment de la dépossession prononcée en justice pour << cause d'utilité publique ; que les vendeurs sont donc fon«dés à faire valoir leur créance comme prix d'effets mobi<<liers, et à réclamer l'attribution à leur profit du privilège << conféré à tous vendeurs aux termes de l'article 2102, § 4, << du Code civil. »>1

402. - Le privilège du vendeur est donné, aux termes de l'article 2102, 4o, pour « le prix » d'effets mobiliers non payés.

MM. Persil' et Laurent en concluent que le vendeur n'aura de privilège ni pour les dommages et intérêts à lui alloués par la justice, ou stipulés sous forme de clause pénale dans le contrat, ni pour les dépens auxquels l'acheteur aura été condamné vis-à-vis de lui.

En ce qui concerne les dommages et intérêts, nous sommes du même avis: ils ne sont pas nés au jour du contrat, comme représentation de la valeur de la chose aliénée, et ils ont pour cause un fait postérieur de l'acheteur; ils ne sont donc pas l'équivalent d'une augmentation de valeur entrée du chef du vendeur dans le patrimoine du débiteur,

1 Paris, 11 juin 1872, Dalloz, Supplément, V° Privilèges et Hypothèques, n° 168.

• Régime hypothécaire, I, article 2102, § IV, n° 6.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »