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décret des 20-27 septembre 1790 portait en effet ce qui suit, dans l'article 3:

<< A compter du jour où les tribunaux de district seront << installés dans les pays de nantissement, les formalités de << saisine, dessaisine, déshéritance, adhéritance, vest, de<< vest, reconnaissance échevinale, mise de fait, main assise, << plainte à loi, et généralement toutes celles qui tiennent au << nantissement féodal ou censuel, seront et demeureront «abolies; et jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, << la transcription des grosses des contrats d'aliénation ou << d'hypothèque en tiendra lieu, et suffira en conséquence << pour consommer les aliénations et les constitutions d'hy<< pothèques, sans préjudice, quant à la matière d'hypo<«<théquer les biens, de l'exécution de l'article 35 de l'édit << du mois de juin 1771, et de la déclaration du 23 juin 1772, << dans ceux des pays de nantissement où ces lois ont été << publiées. >>

Le même décret, dans ses articles 4 et 5, chargeait les greffiers des tribunaux de district de la situation des biens de faire les transcriptions, dans l'ordre de la présentation des grosses de contrats : « Ils seront tenus, dit l'article 4, de <<< communiquer les registres sans frais à tous requérants. »

Le décret n'était applicable, comme l'indiquent les termes mêmes de l'article 3, que dans les pays de nantissement, et, pour ces pays, il remplaçait les formalités de dessaisine et de saisine par un mode de publicité nouveau, la transcription, qui s'étendait, comme la dessaisine et la saisine, aux hypothèques aussi bien qu'aux mutations de propriété. C'est l'apparition, dans notre droit Français, de la transcription, qui va plus tard être généralisée, au moins pour les mutations de propriété à titre onéreux, et présenter pour toute la France des avantages analogues à ceux qu'offrait le nantissement dans les coutumes où il était admis.

31. Le décret du 9 Messidor an III, ou plutôt les décrets, car il y en a deux du même jour, constituent une œuvre importante de la législation intermédiaire dans le do

maine hypothécaire, et une tentative hardie, mais très digne d'intérêt, pour assurer la publicité des, hypothèques et des transmissions de propriété foncière.

Ce décret supprime l'hypothèque tacite de notre ancien droit, et n'admet que deux sortes d'hypothèques : l'hypothèque volontaire ou conventionnelle, et l'hypothèque forcée ou résultant des jugements de condamnation ou de reconnaissance d'écriture. Pour les uns comme pour les autres, la publicité est désormais exigée:

Il n'y a d'hypothèque, dit l'article 3, que celle résultant d'actes authentiques inscrits dans des registres publics << ouverts à tous les citoyens. »

Toutefois, si le principe de la publicité est désormais fondé, il ne l'est encore que sur des bases incomplètes, et il reçoit un double et grave échec des dispositions suivantes.

D'abord l'hypothèque n'est pas spéciale: l'article 16 porte bien qu'il n'y a plus d'hypothèque indéfinie, en ce sens que tout titre de créance hypothécaire doit en déterminer le montant, mais l'hypothèque judiciaire porte sur les biens à venir comme sur les biens présents, et, quant à l'hypothèque conventionnelle, l'article 8 dispose que tout citoyen majeur a le droit d'hypothéquer ses biens « présents et à << venir ». De plus, l'hypothèque ne prend pas rang d'une manière invariable du jour de son inscription, mais, lorsque l'inscription est prise dans le mois de la convention ou du jugement donnant naissance à l'hypothèque, l'effet de l'inscription rétroagit au jour de l'obligation ou de la décision judiciaire.

32. Le décret de Messidor an III renferme une innovation très hardie, d'un mérite contestable précisément à raison de sa hardiesse, mais qui n'est pas sans affinités, comme le fait remarquer justement M. Besson,' avec les lettres de gage de l'Allemagne dont nous parlerons plus tard :' cette innovation est la cédule hypothécaire, ou hypothèque

Les livres fonciers et la réforme hypothécaire, p. 92. * Infrà, no 82 1.

sur soi-même, organisée dans les articles 35 à 83 du décret. Toute personne propriétaire de biens et droits susceptibles d'hypothèque peut se faire délivrer sur elle-même, pour une durée n'excédant pas dix années, une cédule hypothécaire, à concurrence des trois quarts de la valeur des biens désignés dans la cédule. A cet effet, elle déclare, d'une manière détaillée, au bureau de la conservation des hypothèques, tous les immeubles qu'elle possède dans l'arrondissement de ce bureau, en déposant les titres à l'appui de sa déclaration; et elle indique en même temps la valeur de ces biens.

Après examen des titres et contrôle de la déclaration de valeur, le conservateur délivre une cédule qui sera transmissible << par la voie de l'endossement nominatif à ordre >> (article 83). Le conservateur qui la délivre est garant de la valeur en capital des biens désignés dans la cédule et du montant des créances hypothécaires antérieures. Si le conservateur et le propriétaire ne s'entendent pas sur la fixation de cette valeur, il sera procédé à une expertise dont le décret règle minutieusement les formes.

33. La déclaration foncière, que le propriétaire de biens susceptibles d'hypothèque doit faire pour arriver à obtenir la délivrance d'une cédule hypothécaire, est requise aussi toutes les fois que ses biens sont hypothéqués et que le créancier auquel il a consenti une hypothèque réclame cette déclaration: faute par le débiteur de la faire, sa dette devient exigible.

Les inscriptions hypothécaires et les déclarations foncières sont reçues dans les bureaux de la conservation des hypothèques, qui seront créés dans chaque district, et qui recevront aussi, comme nous allons le dire, les déclarations relatives aux transmissions de propriété. Les mentions des différents registres tenus par le conservateur pour recevoir les déclarations foncières, les procès-verbaux d'expertise, les actes translatifs de propriété, les inscriptions hypothécaires, etc..., sont centralisés sur un registre dit livre de

raison, suivi d'une table alphabétique. Tous ces registres tenus par les conservateurs sont « publics et ouverts à tous « les citoyens », aux termes de l'article 226.

34. Les transmissions de propriété foncière doivent être rendues publiques, sous le régime du décret de Messidor, par une déclaration au bureau des hypothèques : les articles 38, 93 et 99 prononcent en effet la nullité de toute délivrance de cédule, action en revendication ou expropriation qui ne serait pas précédée de la déclaration foncière dont nous venons d'indiquer le fonctionnement à propos des hypothèques.

Mais, tandis que l'inscription des hypothèques aux bureaux de la conservation constitue pour les créanciers régulièrement inscrits un titre assuré, il n'en est pas de même, pour l'acquéreur, de la déclaration foncière et du dépôt des titres qui l'accompagne. L'acquéreur, dont le titre est régulièrement publié, n'aura d'autres droits que ceux qui appartenaient à son auteur: « Cette formalité, dit avec raison « M. Besson, ne fortifie la position du nouveau possesseur « qu'en un seul point : c'est d'arrêter le cours des inscrip<<tions hypothécaires du chef de l'aliénateur. >>1

35. Le décret de Messidor an III, avec ses qualités et ses défauts, arrivait à une heure très inopportune. Cette loi avait l'incontestable mérite d'avoir compris et réalisé, dans une large mesure, la publicité du régime hypothécaire, et d'avoir entrevu l'utilité de la publicité des transmissions foncières. Mais sa conception de la cédule hypothécaire, dans laquelle la sécurité du prêteur n'était assurée, quant à la valeur des biens donnés en hypothèque, que par la responsabilité du conservateur, aurait été, à toutes les époques, une tentative bien téméraire de mobilisation du crédit immobilier. En 1795, au milieu de la crise économique causée par le bouleversement social de la France, ces innovations étaient difficilement praticables.

Les livres fonciers et la réforme hypothécaire, p. 88.

Aussi l'opinion générale était-elle, jusque dans ces derniers temps, que le décret de Messidor n'avait jamais été appliqué, et M. Besson s'est fait l'interprète de cette opinion en écrivant ce qui suit :

«La loi de Messidor ne fut jamais appliquée. La seule << mesure d'exécution qui s'y rapporte est le décret du << 4er Thermidor an III, nommant le citoyen Jean-Baptiste<< Moïse Jollivet aux fonctions de conservateur général des << hypothèques. Prorogé par les lois du 26 Frimaire an IV, << du 19 Ventôse et du 19 Prairial suivant, puis suspendu in<< définiment par une loi du 28 Vendémiaire an V, le Code << hypothécaire de l'an III restait encore à l'état de lettre <«< morte, lorsque ses dispositions firent place à celles de la << loi du 11 Brumaire an VII. »1

Mais il paraît au contraire que le décret a été appliqué, autant que les circonstances le permettaient :

« Un préjugé très généralement répandu, dit M. Challa<«<mel, et que nous-même nous avons partagé longtemps, << est que le décret de Messidor an III n'ait jamais reçu d'exé<<cution. Le contraire a été prouvé par M. Georges Rondel, << dans l'ouvrage très intéressant qu'il a publié en 1888 sur «La mobilisation du sol. Plus récemment encore, notre << honorable collègue, M. Flour de Saint-Genis a eu la bonne << fortune de retrouver, dans les archives du premier bureau << des hypothèques de la Seine, une série de vingt volumes << ayant servi à l'accomplissement des formalités hypo«<thécaires du 17 Frimaire an IV au 9 Germinal an VII; il << y a constaté l'existence de 8,827 articles passés en con«<formité de la nouvelle loi »...2

Mais cette exécution du décret de Messidor, que la hardiesse de la tentative, d'une part, et les circonstances dans lesquelles elle se produisait, d'autre part, ont nécessairement limitée, n'a été, en somme, qu'un essai incomplet, ne per

Les livres fonciers et la réforme hypothécaire, p. 92-93. Rapport sur le crédit hypothécaire, Procès-verbaux de la Commission extra-parlementaire du cadastre, Fascicule V, p.519.

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